Autour de Claude Garache (par Bernadette Engel-Roux)

Par Florence Trocmé

À la suite du très bel ouvrage consacré au peintre par les éditions La Dogana, en 2006, sous le titre Garache face au modèle et qui assemblait les noms de constellations fraternelles : Philippe Jaccottet, Jean Starobinski… paraissent, dans la seule année 2010 deux autres livres de regards échangés avec l’œuvre du peintre des nus rouges. 
Chez Hazan, des Entretiens avec Claude Garache laissent la place à la voix du peintre lui-même, que relancent deux autres voix amicales. Cependant que l’une d’elle, celle de Florian Rodari, dans le recueil A voix nues donne à voir un aspect inédit du peintre, celui des eaux-fortes et du bois gravé qui accompagnent les chants de tendresse ou de deuil que Florian Rodari a repris aux lèvres de femmes des îles Salomon. 
Ces trois livres permettent de percevoir les modulations et les déclinaisons sensibles d’une œuvre dont l’unicité de ton, le rouge, et de formes, le nu féminin, prend les aspects d’une hantise.  
De ces variations, telles que les font apparaître ces trois livres, nous avons choisi ici, à travers quelques toiles élues, l’un des instants, celui où la saturation de la forme par la couleur et de la couleur par la forme, fondent comme en un creuset pour ne plus nous laisser à voir, percevoir, éprouver, qu’une très chaude vibration.  
 
« Fascination du rouge, et plus encore lorsqu’il sature la toile sans que le corps, du fond se distingue sur des gris, des bleus, des verts, fussent-ils profonds et infusés de rouge, sur des blancs qu’atteint de rose sa lumière. Fascination du rouge lorsque le corps n’est plus que forme qui s’estompe et se dissipe dans sa buée charnelle, rouge. Soleil d’un corps dont la forme se perd dans sa couronne de feu, mais corps et non soleil, corps de femme en femme rouge rebaptisée, renaissante, corps où perdure le chaud noyau où "femme" se condense, se ramasse, pour renaître, expansion continue d’elle-même et seule. Sur la toile, l’énergie centrale perdure, c’est la confiance du peintre, sa confidence de confiance. C’est comme "pour toujours" que ce feu charnel va, ira, se diffusant. "Femme" est rouge. "Rouge" est femme. 
Absorption du regard dans la vibration de ce feu charnel qui ne brûle ni consume. Mais irradie, continûment. C’est le troublant mystère de la chair adorée, adorable, où le regard se perd sans rien voir alentour. Le mystère charnel est total, à son égard l’anecdote s’abolit. Chair mystérieuse, tentation offerte, ouverte, et ramassée sur son énigme. Le regard s’absorbe jusqu’à se perdre dans cette totalité-tonalité si chaude que toute la toile en est frémissement. La forme, ou ce qu’il en reste dans sa rouge diffusion, frémit dans l’expansion continue, inaltérable, de son feu central jusqu’aux limites extrêmes où le regard peut rêver encore qu’elle déborde, douceur, chaleur, envahissante. Et l’imagination du regard commence aux limites incertaines de la toile, comme débordée, comme elle s’était d’abord perdue, du corps au contour troublé de sa forme, et de sa frange vibrante à son halo réverbéré, rouge intensément. Rouge. » 
  
 
Bernadette Engel-Roux 
 
Garache face au modèle, La Dogana, 2006 
Entretiens avec Claude Garache, Hazan, 2010 
A voix nues, poèmes de Florian Rodari, eaux-fortes et bois gravé Claude Garache, éditions de la revue Conférence, 2010 
 
voir aussi les articles consacrés à Claude Garache et à Florian Rodari par Alain Paire