Eux, c'est le goût? (la théorie du burger au foie gras)

Publié le 05 janvier 2011 par La Trempe

Qui prétend tenir un blog, poser un certain regard sur l’actualité voire, plus modestement, exprimer un avis se voulant personnel sur le monde tel qu’il défile sous nos fenêtres -tant de choses à ce point farfelues- doit in-di-scu-ta-ble-ment (détachez les syllabes, ça donne l’air sérieux) se frotter à la dure réalité du « terrain ». Bizot style, en quelque sorte. C’est vrai quoi, ras la New Era de Wikipédia, il nous incombe -jeune bloggeurs en devenir que nous sommes- de tremper notre plume dans la vie, la vraie. Après tout, sommes-nous jamais mieux servi que par nous-meme? Paraitrait que non… C’est pourquoi j’y suis allé, sur le terrain.

Voilà donc: samedi 18 octobre 2010, j’ai mangé chez Quick. Tout seul, en mission. Une « immersion totale » façon Dirty Harry.

12h27, j’entrai d’un pas assuré et commandai un menu Burger-foie gras. Une dénommée Jasmine réceptionna ma volonté. De longues et vaines négociations s’en suivirent: j’essayai tant bien que mal d’obtenir une « dégustation » (sic) aux frais de la maison; celle-ci me la refusait en bloc. A court d’arguments, sans doute mû par l’énergie du désespoir, j’entamais mes dernières munitions, arguant d’un oubli malheureux de ma carte de presse, promettant monts et vallées, cascade d’éloges comme avalanche de superlatifs, bref un papier tout ce qu’il y a de plus dithyrambique… Sans succès. D’un air las, elle récapitula: « une grande frite, un grand Coca, un Suprême foie gras, 7,50 € ». Ne restant jamais plus de vingt minutes dans un Quick, voilà qui facturait pas loin des quarante centimes le tour de cadran… Une somme quand même. Enfin qu’importe, puisque ces vingt minutes-ci devaient rester à tout jamais gravés dans ma mémoire et peut-etre meme -oserais-je le mot?- dans la mémoire collective.

Assis sur un interminable tabouret au confort pour le moins douteux, je me plus tout d’abord à contempler le mets mis à ma disposition par la célèbre chaine de fast-food. Le packaging revêtait une certaine allure, du bon job à l’évidence… ni une ni deux, ce fut noté sur mon Moleskine. La phase d’observation close, j’attaquai les frites avec détermination. A mesure qu’elles disparaissaient, une préoccupation d’intérêt supérieur se fit néanmoins sentir: que valait donc réellement ce fameux Burger au foie gras annoncé par Quick comme l’attraction majeure de l’hiver? Le mystère gonflait, s’épaississait, n’en finissait plus d’enfler… Dieu soit loué, la dernière frite vint marquer la fin du suspense. Résolu à savoir, je plantais enfin mes crocs dans le vif du sujet.

Première bouchée: « Tiens c’est étrange, pas franchement imbouffable, un brin chelou cependant ».

Seconde bouchée: « Hum… ça tend un peu vers le n’importe quoi quand meme ».

Troisième bouchée: « Allons donc, pourquoi toujours dénigrer les braves gens de chez Quick? Et si ce n’étaient pas là de véritables pionniers du gout métissé, des bousculateurs d’idées reçues, de vaillants avant-gardistes luttant acharnement contre nos exécrables à-priori d’occidentaux en fin de course, hein pourquoi pas? ».

Et le débat se poursuivit ainsi entre mes deux hemisphères… Beaucoup de pensées pour pas grand-chose… A chaque croc suffit sa peine disait le poète. D’autant qu’émergeait, dissimulée sous ces houleuses réflexions et en provenance directe des tréfonds de mon subconscient, la représentation d’un visage.

Un visage, quel visage? Au diable le suspense: celui de Kanye West. Ben oui, Kanye, encore lui… Mais attention, une vue de l’esprit, rien d’autre! Ou plutot une évidence, une forme d’Eureka. Comme si d’un trait la théorie du Burger au foie gras venait de m’être révelée. C’est souvent comme ça, les plus grands découvertes sont celles qui vous saisissent à l’improviste.

Énoncé:

La culture est une grande bouffe, tel sera notre postulat de départ. Qui en douterait encore ferait bien de penser à la « culture-confiture », vous savez cette marmelade indigeste de références culturelles prêtes à l’emploi et donc à l’étalage (aux ultimes réfractaires, je préconise l’observation attentive de certains profils Facebook). Culture rime avec nourriture, posons cela comme acquis.

Cela étant, qu’est-ce donc que ce fameux « Burger au foie gras »? Un mélange audacieux: d’une part beaucoup de mainstream, une dose conséquente d’entertainement, autrement dit du tout-cuit pret à la consommation; d’autre part une pointe d’ambition artistique, une certaine exigence, des traces lointaines d’ « art noble » (ce que cela signifie? aucune idée, sinon qu’il doit s’agir d’un art qui n’est pas celui des roturiers).

Le Burger culturel, ne le cachons pas, c’est le résultat d’études de marché, donc le bruit du tiroir-caisse au loin. En règle générale, tout le monde s’accorde à dénigrer ses vertus. Et pourtant, derrière les faux-semblants, on s’en baffre impunément… au motif « qu’il faut bien se substanter ». Tout autre est le foie gras, à la croisée du goût et du prestige, plat envers lequel il est toujours bien vu de développer une certaine accoutumance, marque d’une fermeté intellectuelle évidente. Tout le monde prétend en raffoler, n’est-ce pas? Pour autant, les uns comme les autres n’en mangent qu’exceptionnellement et c’est alors avec modération. « Normal, ça reste sur le ventre »… on se console comme on peut.

Quelques illustrations: Marc-Edouard Nabe? Foie gras, « mousse de vilain petit canard » pour les rigolos. Justin Bieber? Burger, « Happy Meal » lâcheraient les plus subversifs d’entre nous. Kanye West? Burger au foie gras, l’exemple ultime de cette théorie, ç’en est même l’instigateur (on en déjà parlé ici). Idem pour Lady Gaga. Continuons: Booba? « Burger-filet mignon », quelque-part entre Céline, must-eat de la haute gastronomie, et Akon, casse-croûte bas-de-gamme, l’équivalent du Hot-dog mayo’ servi à la baraque à frites du coin. Marc Levy, U2? Burgers. Bret Easton Ellis, Philip Glass? Foies gras. Jeff Koons? Disons Burger au foie gras.

Le Burger au caviar, théorie concurrente développée par d'obscurs chercheurs russes

A ce stade de la démonstration, une question s’impose: Quid du Burger au foie gras français? A la réflexion, il semble avoir connu ses plus belles heures grâce à l’émission Nouvelle Star. Souvenez-vous en effet de la première « Star »: Jonatan Cerrada, un ringard complet, moins hipster tu meurs, tout juste bon à briser le coeur des plus assidues lectrices de « Fan 2», pas loin d’être le Burger le plus cheap du marché en somme. Quelques années plus tard, l’émission propulse un beau-gosse lettré fraîchement sorti de son école d’art, « anti-conformiste » devant l’éternel portant tatouage Jean d’Ormesson et vouant -cerise sur le Burger!- un culte au très respecté Marcel Duchamp. La mue est flagrante; on ne peut s’empêcher de penser à une lamelle de foie gras venue trouver refuge entre les deux tranches de cheddar d’un Royal Cheese bien épais, le pire dans tout ça étant qu’on y goûte malgré tout… Une preuve de plus que les cuistots de chez M6 sont parmi les plus redoutables du marché.

Cette parenthèse d’histoire anecdotique fermée, finissons -ainsi que le veut la tradition- par une prometteuse problématique: quel avenir pour le Burger au foie gras? A priori, deux horizons possibles. D’une part, il se pourrait que le grand public, bien vite lassé de l’hamburger, n’aie plus envie que du VRAI foie gras, le bon, celui du Sud-Ouest, celui que l’on mange avant la dinde de Noel ou à la place des huitres. D’autre part, subitement avide de nouvelles sensations, le mangeur traditionnel de foie gras pourrait aussi bien quitter son Périgord natal et partir sillonner les routes de France en quête d’expériences inédites. Tombé sous le charme du Suprême au foie gras, il délaissairait fatalement son foie d’amour, le condamnant de la sorte à une sordide perspective: la mort, certaine et sans gloire. Impossible pour l’heure de s’aventurer vers de plus amples précisions, d’aucuns s’accorderont néanmoins sur un point décisif: il faut manger pour vivre.