ALICE OU LA DERNIERE FUGUE (Claude Chabrol - 1976)

Par Actarus682

Oeuvre méconnue de la riche filmographie du regretté Claude Chabrol, Alice ou la dernière fugue se démarque de l'esprit des autres films du metteur en scène, puisque pour la seule et unique fois de sa carrière, le réalisateur de Que la bête meure et Masques investira le genre fantastique.

Transposition très personnelle du Alice au pays des merveilles de Lewis Carrol, le film de Chabrol nous raconte l'histoire d'Alice, interprétée par la sublime Sylvia Krystel, encore auréolée du succès d'Emmanuelle deux ans plus tôt, décidant un soir pluvieux de quitter son mari et de partir au volant de sa voiture loin de son époux qu'elle ne supporte plus. En chemin, son pare-brise éclatera, et elle se réfugiera dans une immense demeure tenue par le maître des lieux, interprété par Charles Vanel, et son serviteur, incarné par Jean Carmet, qui lui proposeront l'hospitalité. Au petit matin, Alice découvrira une maison désertée par ses occupants, et pénètrera toujours un peu plus dans un monde étrange, incompréhensible, où l'espace et le temps n'ont plus de raison d'être.


Les évènements du film, échappant à toute logique (les murs n'ont pas de fin, les habitants ne répondent pas aux questions, les pendules cessent de fonctionner), épouseront une approche totalement onirique de la part du metteur en scène, Chabrol plongeant son héroïne et le spectateur dans un monde que l'on devine parallèle, à moins qu'il ne s'agisse d'un rêve de la belle Alice, ou de toute autre chose encore... C'est ainsi un délice de se perdre en même temps qu'Alice dans un univers où les repères n'existent plus, et dans lequel la logique n'a plus le droit de cité.

L'héroïne de Lewis Carroll pénétrait au fond d'un terrier, celle de Chabrol s'aventurera en plein coeur d'une forêt, dans laquelle elle découvrira des situations et des être tous plus étranges les uns que les autres: un domestique lui expliquant qu'ici, le temps n'a aucune importance, un mystérieux jeune homme tout de blanc vêtu (André Dussolier), refusant de répondre aux questions de l'héroïne et lui annonçant que l'on peut pénétrer dans ce monde, mais pas en sortir, un jeune enfant (interprété par Thomas Chabrol, fils du réalisateur) capturant des oiseaux dans une cage puis les relâchant, et plus tard une véritable bacchanale inquiétante au cours de laquelle les convives fêtent la mort d'un proche. Autant de situations totalement surréalistes qui participent de l'entreprise d'envoûtement à laquelle se livre Chabrol, et qui distillent tout au long du métrage une hypnose lente, sourde, délicieuse.

Les motifs du basculement d'Alice dans ce monde mystérieux seront dévoilés en fin de métrage, à travers une révélation que l'on pourra deviner petit à petit au cours du déroulement du film, sans que cela ne nuise en rien à la totale réussite de cette oeuvre singulière, déroutante, envoûtante, qui rappelle l'un des meilleurs films avec Yves Montand, Un soir, un train, lui aussi méconnu, et totalement surréaliste et onirique, que j'espère pouvoir aborder prochainement dans ces lignes.