Aux Antilles, le candidat Sarkozy rentabilise enfin Carla.

Publié le 10 janvier 2011 par Juan
Inutile de chercher bien loin. Les rapports de Nicolas Sarkozy avec les Antilles ont toujours été délicats, voire franchement mauvais. En 2007 déjà, son score électoral y fut piteux. En avril 2008, on lui a même interdit de s'exprimer publiquement aux funérailles d'Aimé Césaire. En 2009, deux mois de grève et manifestations avaient bousculé son agenda.
Le président français préféra attendre deux années après le décès d'Aimé Césaire pour lui offrir un hommage. Le timing ne doit rien au hasard. Sarkozy aurait pu le faire dès 2008. Mais ça aurait été gâché une si belle occasion. A 12 mois d'une élection présidentielle, l'hommage sera plus payant. Et tant qu'à faire, autant expliquer que la décision a été improvisée sur place : « le Président a convenu avec la famille de rendre un hommage de la Nation à Aimé CESAIRE en organisant, au mois d'avril prochain, une cérémonie au Panthéon. »
Carla, enfin utile
Pour réussir ce voyage électoral, financé par les contribuables, Nicolas Sarkozy avait emmené son épouse Carla. L'Elysée « teste » l'impact de Carla, nous raconte-on. On se pince pour le croire. On a déjà vu Carla avec des infirmières à Avignon, deux jours avant Noël. Auparavant, la reine de Sarkofrance n'était exhibée que dans un cadre diplomatique, comme en Inde ou pour claquer la bise au dictateur chinois. S'agissant des affaires intérieures, Carla Bruni-Sarkozy n'était pas vraiment un atout. Il y a un an, la France médiatique s'agitait sur ces rumeurs d'adultère, d'abord sur Carla Bruni, puis, comme par hasard ou par jalousie, sur Nicolas Sarkozy. On suspectait également Carla de faire perdre des points de popularité à Nicolas au sein de l'électorat le plus conservateur. Son arrivisme évident, ses tenues légères, son libertinage, ou ses soutiens à l'esprit « libre » de Frédéric Mitterrand et à Roman Polanski n'étaient pas les bienvenues. Bref, Nicolas ne savait pas comment capitaliser sur Carla depuis son mariage précipité en février 2008.
Ce temps semble révolu. Incapable d'attirer les foules exceptées UMP ou hostiles, Nicolas Sarkozy sort désormais accompagné de son épouse pour des bains de foule sans conséquence. N'attendez pas Carla aux côtés de son « mari » pour applaudir un nouveau discours de Grenoble sur le thème de l'immigration vecteur d'insécurité. Mais pour aller visiter un hôpital pour enfants malades ou le marché couvert de Fort de France, écouter son « mari » plaindre les agriculteurs victimes de la mondialisation, ou s'étonner de la cherté de la vie aux Antilles, elle est là pour ça. Tout sourire, un peu de sueur sur la robe, à peine oppressée par la foule des groupies, la Marie-Antoinette de Sarkofrance s'est donc pliée avec (bonne) grâce à l'exercice, en Martinique (vendredi puis samedi) puis en Guadeloupe (samedi puis dimanche).
Bains de foule filtrés
Même le Figaro s'est félicité de ce « petit bain de foule pré-électoral.» Vendredi, le quotidien France Antilles espérait même que le couple conçoive son futur enfant lors de ce voyage somme toute très court de 72 heures. Les commentateurs étaient lucides. Aucun supporteur d'Eli Domota, le leader contestataire, n'était présent sur les lieux. Le parcours était filtré.
Nicolas et Carla ont pu être tranquillement « salués par les passants et beaucoup de sympathisants de l'UMP, » lors de leur courte visite au marché de Fort-de-France (« une petite demi-heure »). Charles Jaigu, l'envoyé spécial du Figaro, releva cette « phrase qu'elle avait prononcée avec le même enthousiasme à New-Dehli » : « Ca fait chaud au cœur, j'ai envie de rester trois semaines », s'est exclamée Carla Bruni-Sarkozy. Elle « était déterminée à jouer le jeu » d'une « campagne présidentielle dans laquelle elle interviendra parfois. » Sur place, l'épouse du Monarque en a perdu son portable. Une gentille Martiniquaise lui rapporta (sans en lire le contenu ?). Quel émoi !
Les modestes cadeaux du candidat
En Martinique comme en Guadeloupe, Sarkozy a dit ce que tout le monde voulait entendre. Ainsi, première porte ouverte enfoncée sur l'agro-alimentaire : « compte tenu de votre éloignement, des difficultés à mettre en oeuvre la continuité territoriale, la question de l’autosuffisance alimentaire est centrale. » Sur le tourisme, il promet une liaison directe vers Roissy (en sus d'Orly). Sarkozy s'improvise patron d'Air France : « Air France a accepté de prendre le risque d'une liaison directe en Guadeloupe et en Martinique depuis Roissy à compter de novembre prochain, avec une liaison vers Pointe-à-Pitre et une autre à Fort-de-France par semaine. » explique-t-il. Il est quand même utile d'être encore actionnaire d'Air France. Cela permet de se réserver quelques cadeaux pré-électoraux utiles. La présidente du Comité Martiniquais du Tourisme était emballée. Autorité suprême des administrations du pays, il a aussi promis de la discrimination positive dans les nominations dans la haute fonction publique.
L'autosuffisance énergétique, c'est aussi important, n'est-ce-pas ? « Il faut qu’on arrive à l’autosuffisance énergétique : il y a le solaire, l’éolien, le maritime, et il y a tout ce qui est l’agro-biologie.» Sarkozy aimerait aussi que les agriculteurs s'organisent. « On ne peut pas avoir les distributeurs qui sont organisés, et les producteurs qui ne sont pas organisés. »  Il ressort les mêmes arguments qu'aux agriculteurs de métropole, visités une dizaine de fois l'an dernier. 
Pour le reste, Sarkozy ne promet évidemment rien. « Plus vous prendrez en mains votre avenir, plus on s'engagera à vos côtés. L'Etat ne peut pas tout seul » déclare-t-il à Fort-de-France. « On ne peut pas assister les gens. Vous-mêmes, pour vos enfants, vous avez une autre ambition que l’assistanat (...). Notre aide est illimitée pour vous aider à être compétitifs » ajoute-t-il le lendemain à Saint-François, en Guadeloupe. Comprenez : si ça va mal, il faut vous en prendre à vous. D'ailleurs, avant de dépenser un centime d'euros supplémentaires, Sarkozy veut être sûr que c'est utile. Cela fait bientôt 4 ans qu'il est président, deux ans depuis le mouvement social de 2009, mais Sarkozy a besoin d'audit. Il a ainsi annoncé la nomination d'un médiateur du tourisme aux Antilles chargé de faire un audit économique et financier du secteur, pour décider s'il convient ou non d'abaisser encore ses charges. Il aimerait aussi « étudier » une adaptation des aéroports locaux pour qu'ils puissent accueillir l'Airbus A380. En métropole, ses services n'ont pas attendu longtemps pour rénover l'aéroport de Villacoublay afin qu'il supporte le nouvel Airbus présidentiel (une trentaine de millions d'euros de travaux !).


Le bilan nul du président
« Rarement, dans l'histoire de notre République, on aura autant fait pour l'Outre-mer » a déclaré Nicolas Sarkozy le 9 janvier à Petit-Bourg en Guadeloupe. Qu'a donc fait Nicolas Sarkozy pour les Antilles depuis qu'il est élu ? Pas grand chose. Les enjeux de ce déplacement de 2011 étaient d'ailleurs modestes : « témoigner de l'importance des Outre-mer en se rendant sur le terrain », « lancer au niveau national l'année des Outre-mer », et « promouvoir le développement endogène des Outre-mer.» En 2008, il était allé en Guyane. En 2009, il avait calmé l'insurrection antillaise par la tenue d'un sommet à Paris, après 45 jours de grève générale. Il avait attendu ensuite le 25 juin 2009 pour clôturer les Etats Généraux de l'Outre-Mer, dont il avait promis de « faire vivre » les « propositions concrètes et audacieuses ».
Vraiment ? Il est curieux de constater combien les bilans de l'action sarkozyenne aux Antilles furent rares. C'est vrai qu'il faut chercher. On n'a pas grand chose à commenter, exceptées de belles paroles, des créations administratives en tous genres, et un référendum en janvier 2010 par lequel Martinique et Guadeloupe décidèrent de devenir une collectivité territoriale unique. Le conseil interministériel sur l'Outre-Mer ne s'est jamais réuni depuis 2009. Quelle priorité ! La situation économique s'est dégradée. le chômage est endémique, le double du niveau officiel de métropole. « La dégradation s'accélère, rompant avec le ralentissement à l'oeuvre depuis février 2010 […]. En Guadeloupe, le nombre de demandeurs d'emploi a atteint un niveau record pour la décennie » rappelait un institut d'études, l'IEDOM. Et « la hausse des prix à l'oeuvre depuis le début de l'année 2010 se poursuit dans la plupart des départements […] à un rythme supérieur à celui de la France entière. »  Mieux, les prix alimentaires, d'après le magazine Linéaires, restent supérieurs de 84% à leur niveau en métropole... Même le patron du Medef martiniquais ne voit « aucun signe d'éclaircie au début de cette nouvelle année. » 


Des belles paroles sans fondement ni résultat, Sarkozy en avait à la pelle pour son voyage, et notamment dimanche. Ainsi, il croit savoir que « nous sortons progressivement d'une relation avec Paris qui était trop souvent fondée à la fois sur une certaine forme de paternalisme et un sentiment de culpabilité issu d'une histoire de part et d'autre mal assumée. » D'où tire-t-il ses constats ? L'unique véritable progrès d'autonomie fut justement cette révolte de janvier 2009, 45 jours durant, qui imposa le sort de l'Outre-mer au coeur de l'actualité médiatique de métropole.
Nicolas et Carla, ce weekend, étaient tels Louis XVI et Marie-Antoinette visitant leurs sujets dans une lointaine province. Les morts de deux otages Français, tués quelques heures après leur capture au Niger et une intervention militaire franco-nigérienne, puis d'un 53ème soldat français en Afghanistan, ont à peine terni ce périple électoral. Sarkozy put dénoncer la « barbarie terroriste » au Niger et rappeler la « détermination de la France à continuer d'œuvrer au sein de la Force Internationale d'Assistance à la Sécurité.» Le bourbier afghan nous coûte des vies partout et sans qu'on en voit l'issue.
Ce lundi, Nicolas Sarkozy est à Washington. Carla est toujours là. Son « mari » rencontre Barack Obama pour parler régulation mondiale...