L'île

Par Luc24

Pavel Lounguine (le réalisateur entre autres de Taxi Blues) fait un retour discret dans les salles avec un nouveau film au pitch particulier : la vie d'un rescapé de guerre qui vit dans un monastère.Ok, on a fait plus glamour mais le cinéma c'est aussi parfois s'aventurer en terre inconnue non ?

La critique  

Un très beau moment de cinéma : étrange et passionnant

Seconde guerre mondiale, la Russie. Les nazis débarquent sur une petite île la nuit. Ils sont de mauvaise humeur et compte bien exterminer une ou deux innocentes victimes sur leur passage. Ca tombe bien puisque se trouve sur place le capitaine Tikhon et un homme terrifié : Anatoli (Piotr Mamonov). Ce dernier supplie les SS de le laisser en vie. Ils le mettent alors au défi de tuer devant eux son camarade capitaine , contre quoi ils le laisseront tranquille. Dans un état second, complètement paniqué, le faible Anatoli accepte et tire sur son ami qui tombe à l'eau. Les nazis repartent , Anatoli crie victoire...avant qu'une bombe explose (ah ces nazis ils prévoient toujours tout). Par on ne sait quel miracle, Anatoli survit à l'explosion. On le retrouve 30 ans plus tard sur la même ile qui s'est développée. Anatoli y vit désormais dans un monastère. Le meurtrier de guerre est devenu moine mais vit dans une petite cabane à l'écart des autres. Car il n'est pas comme les autres. Epargné par l'explosion, il s'est découvert par la suite des dons divins. Il peut en effet faire des miracles et lire dans le présent et l'avenir des gens. Cette faculté lui vaut d'être souvent visité par des croyants désespérés qui le supplient d'arranger leur situation. Demandé par les gens en détresse, jalousé par certains de ses collègues, incompris de presque tous, Anatoli est surtout rongé par le souvenir de l'assassinat de Tikhon dont il a été l'auteur. Trouvera-t-il la paix ?

Moine veut pas tomber !

Les premières minutes donnent le ton : nuit et brouilard, photographie et réalisation sublimes. Nous sentons que nous ne sommes pas devant un film anodin fait par n'importe quel réalisateur. Pavel Lounguine nous montre ,brièvement mais avec une remarquable intensité, l'horreur et la torture psychologique qu'a pu apporter la seconde guerre mondiale. Puis très vite on bascule à la nouvelle vie du personnage de Anatoli. Cet homme lâche et égoiste est devenu un moine, plus encore : un saint. Campé par un Piotr Mamonov tout simplement sidérant, ce personnage énigmatique mais aussi profondément attachant car vulnérable, va nous plonger au coeur d'une réflexion sur la foi et la rédemption. L'île est un film qui invite à méditer, à réfléchir, le tout en proposant de somptueuses images d'une nature russe qu'on a rarement vue au cinéma. Le rythme est donc plutôt lent, il s'agit bien d'une oeuvre contemplative mais que ça fait du bien ! Moi qui suis de nature stressé je peux vous garantir que ce film m'a fait un bien fou et m'a franchement ressourcé. Car Lounguine nous plonge en plein milieu de ce monastère où les hommes sont seuls face à leur existence, leur foi. La quête d'un sens à la vie, de soi-même. Avec un très joli travail sur le son et une bande originale qui invite à se perdre.

Un rythme lent ne veut pas forcément dire "chiant" pour autant : le réalisateur offre des respirations, des moments assez cocasses qui nous permettent de ne pas tomber dans le cliché d'une oeuvre trop intello. Et il serait bien dommage de se priver de ce portrait d'un homme aussi atypique que charismatique qui au final après avoir ôté la vie d'un homme pour profiter de la sienne, a décidé de finir sa vie au service des autres. Lounguine interroge les hommes sur leur foi, leurs limites, qu'ils soient victimes ou guérisseurs, moines ou grand pêcheurs. On pourra d'ailleurs noter que de tous les hommes, les moines sont les plus rongés par leurs pêchés.

On se sent bien en leur compagnie, on écoute avec plaisir et attention leurs interrogations intérieures, on suit avec plaisir leur quotidien. Et quand le générique de fin apparait (avec une fin diablement appaisante pour le personnage principal comme le spectateur), on aurait presque envie de rester sur cette île glaciale au charme étrange. L'île est une véritable expérience de cinéma, une oeuvre singulière que je ne saurais trop conseiller aux plus curieux d'entre vous.