Troisième correspondance en direct de Tunis de Ridha Kéfi (*) (directeur du portail d’informations Kapitalis).
Cinquième jour après Ben Ali: la situation est encore confuse et tendue. Le Premier ministre a du mal à faire accepter la composition du gouvernement d’union nationale, qui compte de nombreux éléments issus de l’ancien régime. Des groupes d’activistes, islamistes et autres, continuent de manifester, exigeant la dissolution de l’ancien parti au pouvoir, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD).
Atmosphère lourde et cœur léger
Le pouvoir, incarné aujourd’hui par un président par intérim très contesté et un premier ministre en sursis, va devoir faire de nouvelles concessions à une rue qui n’est pas prête à se laisser voler sa révolution.
Malgré cette atmosphère lourde, les Tunisiens ont le cœur léger. La vie reprend son cou
Après avoir goûté à l’ivresse de la liberté retrouvée, il va falloir reconstruire tout ce que la dictature a détruit: des institutions républicaines en lambeaux, une scène politique éclatée, une économie minée par la corruption et la concussion.
Il va falloir surmonter les suspicions, les rancunes et les ressentiments pour rétablir le dialogue et restaurer la confiance entre le peuple et ses dirigeants.
Il va falloir aussi relancer la machine économique, car un pays comme la Tunisie, qui vit des fruits de son labeur et de ses échanges avec l’extérieur, risque de se ressentir durement de l’inactivité à laquelle est condamnée sa population depuis bientôt une semaine.
Le pyromane pompier
Les Tunisiens, réputés pour leur pacifisme et leur esprit consensuel, et qui ont horreur de la violence, découvrent l’ampleur du complot ourdi par l’ex-président avant sa fuite à l’étranger. Avant de signer un décret attribuant les fonctions de président par intérim au Premier ministre et de quitter Tunis, Ben Ali a laissé derrière lui une horde de miliciens armés, chargés de faire régner la terreur dans le pays.
Selon le scénario que Ben Ali a élaboré avec ses proches collaborateurs, notamment le chef de la sécurité présidentielle, le général Ali Sériati, le chaos qui serait ainsi instauré devait accélérer son retour dans l’habit du sauveur.
Ce scénario classique du pyromane pompier a été mis à exécution dès vendredi soir. Des bandes organisées attaquaient les hypermarchés, les banques et les entreprises nationales et étrangères. Des tireurs, à bord de voitures banalisées, tiraient sur les civils dans les principales villes du pays. Des snipers, postés au-dessus des toits, terrorisaient les citoyens. Plusieurs tireurs d’élite étrangers, munis de passeports allemands, suédois et suisses, étaient déployés à Tunis et ses quartiers périphériques. Ils seraient probablement des Israéliens commandités par le clan de Leïla Trabelsi, l’épouse du chef d’Etat déchu. Bref, tout était prévu pour mettre le pays à feu et à sang.
La révolution du peuple et de l’armée
L’armée, qui a joué un grand rôle dans la révolution en contraignant Ben Ali à quitter le pays, s’est gardée, dès le premier jour de son déploiement dans le pays, le 12 janvier, de commettre la moindre violence à l’encontre des civils. Des scènes de fraternisation entre soldats et manifestants étaient même immortalisées par les photographes et les cameramen.
Le général Rachid Ammar, le jeune chef d’Etat major, a pris ses responsabilités. En acceptant de déployer l’armée dans les rues, tout en mettant ses conditions – pas de tirs sur les civils –, il a joué gros face à un dictateur aux abois. Sa fermeté a finalement porté ses fruits, puisqu’elle a permis aux manifestants de maintenir la pression
Autre grain de sable qui a fait dérailler la machine du complot: la constitution, à l’initiative de l’armée, des comités de quartiers pour garder les endroits où l’armée ne peut pas assurer cette tâche, comme les cités résidentielles, les zones industrielles, etc.
Ces comités, constitués de citoyens de tous âges et de toutes conditions, ne se sont pas contentés de garder leurs résidences et de préserver ainsi leurs biens de la dégradation et du pillage. Ils ont aussi contribué à l’arrestation de nombreux miliciens armés qu’ils ont livrés à l’armée et aux forces de l’ordre.
Ridha Kéfi de Tunis
Photo 1: L'ex-Président Ben Ali
Photo 2: Ali Sériati
Photo 3: Rachid Ammar
Photo 4: Scène de fraternisation entre un soldat et une citoyenne
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