L’homme qui ne voulait pas voir (”La Bohème”, Puccini, 1896)

Par Jazzthierry

“La Bohème” dure à peine deux heures, ce qui pour un opéra digne de ce nom, correspond presque à un court-métrage… Nous sommes au Quartier latin à Paris, vers 1830 (le nom de Guizot est d’ailleurs prononcé) et les quatre personnages qui vivent chichement dans une petite mansarde - Rodolphe le poète, Marcel le peintre, Colline le philosophe (une allusion au mythe de Sisyphe ?), et Schaunard le musicien - font penser à la bande de joyeux désargentés que formeront plus tard à Montmartre, Apollinaire, Picasso, Max Jacob, Modigliani et quelques autres.

Le personnage le plus intéressant est sans conteste, Rodolphe, joué par Luciano Pavarotti dans la mise-en-scène que j’ai pu voir (enregistrée à San Francisco en 1988). Il n’est pas du tout le poète visionnaire comme peut l’incarner Hugo ou Baudelaire à certains égards, mais définit la poésie de façon très simple, comme un art nous permettant de mieux vivre. Affirmation qu’il faut prendre au pied de la lettre car dès la première scène, nous voyons Rodolphe brûler successivement les trois actes de son drame afin de se réchauffer les mains durant un très bref moment. On songe alors à la chanson éponyme d’Aznavour: “Nous récitions des vers/ Groupés autour d’un poêle/ En oubliant l’hiver”.

Lorsqu’il voit pour la première fois, Mimi, Rodolphe pense qu’il a enfin trouvé la muse qui saura nécessairement lui inspirer, ses plus beaux vers. Mais celle-ci est gravement malade tout comme Violetta dans l’opéra de Verdi (figure tutélaire dont Puccini était considéré comme l’héritier ou le digne successeur), elle ne cesse de tousser. A tel point que Rodolphe choisit la fuite. Lorsque Mimi le retrouve finalement chez son ami Marcel, il confie à ce dernier (ne se doutant pas que sa maîtresse cachée derrière un arbre, écoute chaque mot sortant de sa bouche) qu’il est devenu très jaloux, que Mimi est une aguicheuse dont il n’est pas mécontent de se débarrasser. Puis Rodolphe face à l’incrédulité de Marcel, doit rapidement se dédire, confessant que la jalousie est une pure invention, qu’il aime passionnément Mimi mais qu’il ne supporte plus de la voir souffrir de la phtisie. Rodolphe est un poète qui ne veut pas voir. Les deux amants se séparent donc, plutôt dans la joie et l’amour réciproque.

Quelques années plus tard, alors que Rodolphe se languit de l’absence de sa bien-aimée, Musetta la maîtresse de Marcel, lui apprend que Mimi est mourante et qu’elle vient le revoir sans doute pour la dernière fois. A peine arrivée, elle s’allonge sur le lit. Rodolphe est près d’elle, tentant en vain de lui réchauffer les mains. Les anciens amants s’échangent des mots doux, se rappellent du passé avec nostalgie. Rodolphe est tellement heureux de retrouver à nouveau sa Mimi, qu’il est le dernier à s’apercevoir qu’elle est en fait… déjà morte. C’est le regard rempli de larmes de ses amis, qui le conduit à se précipiter sur le corps de Mimi pour hurler sa peine. Une fois de plus, le poète ne voulait pas voir…

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Dans l’extrait vidéo que j’ai choisi, on peut voir et entendre Musetta chantant une valse pour son ancien amant, Marcel, dans l’espoir de le reconquérir: “Quando me’n vo’ soletta per la via” (quand je me promène seule dans la rue). On aimerait être à la place de Marcel…