Salon du livre : je t’aime moi non plus

Par Benard

Le saloon du livre, Brigitte Aubert

Il est des journées qu'il vaudrait mieux ajourner. B* - j'ai toujours eu un faible pour ces initiales à astérisque censées nous conforter dans l'idée que les personnages sont réels - B* donc, se dirigeait d'un pas rapide vers sa quatrième correspondance, une longue missive de huit wagons. Cinq heures quinze minutes de train vers Paris, puis trente minutes de métro et à nouveau une heure trente de train, avec un changement à mi-parcours, avant d'arriver au Salon du Livre qui l'avait invitée. B* se sentait beaucoup moins mobile que son smartphone. Assise côté couloir, elle attendait le départ, pressée d'arriver. Mais le convoi ne bougeait pas. Quatre minutes de retard. En vieux cheval de train, B* tendit le cou pour voir le quai et le contrôleur qui téléphonait, l'air agité. Mauvais signe. Effectivement deux autres minutes plus tard il se dirigea vers son micro et annonça que leur convoi était bloqué en gare en raison d'un problème de signalisation sur les voies. On devait attendre l'arrivée d'un autre train pour pouvoir repartir. Bien sûr, B* aurait pu ouvrir son ordinateur portable et travailler le texte qu'elle devait rendre d'ici quinze jours. Mais elle n'en avait aucune envie. Elle avait passé le voyage à lire un polar et à regarder le paysage. Toutes ces heures qui auraient pu être mises à profit, littéralement. Tous ces week-ends sur les rails…
Le train s'ébranla enfin avec trente minutes de retard. L'arrivée la surprit alors qu'elle commençait à s'assoupir. Une fois sur le quai, elle repéra la dame qui brandissait une pancarte avec son nom. Dégageant l'énergie d'un tracto-pelle bien décidé à aller au fond des choses, la dame se précipita à sa rencontre. Salutations, bienvenue, le voyage s'était-il bien passé ? Répondre oui par politesse et pour ne pas faire figure de grincheuse. Les salons apprécient les auteurs avenants. Voulait-elle passer se poser un moment à l'hôtel, poser ses affaires ou se rendre directement au dîner officiel ?

Hôtel ! Elle était partie de chez elle à 6h30, il était 19h30, elle se sentait sale et crevée. La dame carrée lui sembla un peu réprobatrice, émettant un signal psychique du type “petite nature, va !”. B*, de son côté, se demanda si elle n'avait pas oublié ses médicaments pour l'hypertension. Elle avait mal à la tête. La dame faisait la conversation. B* opinait tout en cherchant à savoir si l'hôtel était loin de la salle municipale où avait lieu la manifestation. Non, on pouvait y aller à pied. Ouf.
- Vous voilà arrivée, les bus partent dans une demi-heure.
- Les bus ? (quasi hoquet)
- Oui, les bus pour le dîner au Château de V*. C'est superbe, là-bas.
Damned ! B* abhorrait les dîners de gala, où il fallait faire la conversation à des inconnus en mangeant des trucs ennuyeux noyés de sauces trop souvent champignonneuses. B* abhorrait également les champignons, non par crainte d'un empoisonnement, à cause de ce goût de terre caoutchouteuse. Mais les dîners de gala ne se conçoivent pas sans champignons c'est en quelque sorte la marque de fabrique de la cuisine française.
L'hôtel. Froid, propre, impersonnel, chambre non fumeur. C'est énervant, ça aussi, qu'on ne vous demande jamais vos préférences. Au moins, il n'y avait pas de détecteur de fumée. B* versa de l'eau dans un des gobelets en plastique généreusement fournis afin d'en faire un cendrier. Elle posa ses affaires, sa trousse de toilette, entreprit d'en faire un brin. Elle reniflait. Elle avait pris froid. Une enveloppe était posée sur la commode. Badge, plan de la ville, programme. Voyons. Dîner au château de V* - demeure privée classée monument historique -, précédé d'une pièce de théâtre en un acte par la compagnie Pôle Art : Meurtres et badinage.

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