En France, Internet fut libre un jour

Publié le 23 janvier 2011 par Copeau @Contrepoints

Les plus jeunes pourront en douter, mais c’est pourtant vrai : jadis, en France, Internet fut libre. Puis le turbolibéral Sarkozy prit le pouvoir. Et comme tous les turbolibéraux épris de liberté, il a enfermé Internet dans plein de petites boîtes, plein de petits concepts, plein de petites prisons légales. Et pour que ça ne se voit pas trop, il a baptisé ça « l’internet civilisé« .

Tout est parti d’une nouvelle déconfiture cuisante.

Entendons-nous bien : ce sont essentiellement les premiers camouflets qui font mal. Passé un certain nombre, et une certaine régularité, l’administration d’une paire de baffe supplémentaire ne provoque plus autant d’effet sur le receveur que les toutes premières giroflées à cinq pétales. Un économiste dirait que l’utilité marginale d’une claque supplémentaire diminue.

Et Sarkozy s’en est déjà pris un certain nombre depuis son accession au pouvoir. C’est, d’un côté, la fonction même qui veut qu’on se fasse un peu tatanner de temps en temps. Et c’est aussi la performance, la prestance et la pertinence individuelles qui diminueront ou augmenteront le nombre de coups qu’on aura à supporter.

Par exemple, si l’on regarde du côté de Ségolène Royal, tout indique qu’elle continuera de se prendre des volées de bois vert : pertinence nulle, performance catastrophique, prestance lamentable … Une tête à claque incarnée. Mélenchon pourrait se qualifier, mais sa prestance naturelle diminue sa claquabilité. Le Pen aussi, mais chez cette dernière, c’est la performance générale qui lui évite la tête de peloton.

Pour en revenir à Sarkozy, la nouvelle baffe est venue de l’organisation du G8 ; il trépignait de joie à l’idée que son agenda puisse comporter un volet sur la régulation d’Internet, mais patatras, cela lui aura été refusé. On lui aura accordé l’aumône de pouvoir évoquer, dans une petite réunion informelle, en coulisse et entre deux buffets, la question sous-jacente du droit d’auteur dans un G20 dont le sujet général sera tout autre.

Moyennant quoi, Sarkozy s’est rabattu sur une version dégradée de la régulation. Et histoire que ça ne soit pas trop visible, il a rebaptisé ça « Internet Civilisé ».

Ici, on est évidemment en pleine novlangue.

Si nous avions été au début du XXème siècle, notre cocaïnomane présidentiel nous aurait proposé « une électricité policée » avec la même aisance et la même absence totale d’à-propos. Car, ne l’oublions pas, Nicolas n’est pas exactement le l33t hax0r qu’on pourrait croire ; soyons même parfaitement clair : en matière de nouvelles technologies, Chirac, 79 ans – qui était une buse myope – n’aurait rien à envier à Sarkozy, 56 ans, qui est un n00b de première bourre.

Nos élites veulent donc se lancer à l’assaut des grands espaces numériques vierges, les deux Colts 6 coups aux hanches, alors qu’ils n’y comprennent absolument rien et qu’ils n’ont jamais dépassé le stade embryonnaire de l’utilisation basique du 3615 ULLA sur un Minitel qui le sert maintenant de référence. De même qu’il est hautement improbable que Chirac ait eu, un jour, à écrire un email, Sarkozy n’a jamais été au-delà du SMS, et encore, sans jamais approcher le niveau de finesse d’un Kévin Mîquet surentraîné.

Et c’est donc le même Sarkozy qui nous explique qu’Internet est un véritable far-west où les méchants pédophiles font bande commune avec les nazis et les escrocs pour dévaliser les cartes bancaires de jeunes éphèbes en les bombardant d’images antisémites. Cela dit, avec la pauvreté de la culture qu’on lui connaît, il n’est pas étonnant qu’il s’imagine encore la conquête de l’Ouest au travers des représentations colorées des westerns spaghettis des années 70. La réalité ne lui est déjà plus accessible.

Et « civilisé », très concrètement, ça veut dire quoi ? Outre le blocage de sites comme Wikileaks, cela veut dire, comme d’habitude, mettre en place des contrôles sur un moyen de communication. Dans le marigot intellectuel putride qui constitue la carte d’un territoire incompréhensible pour lui, il confond systématiquement le contenu (les informations) avec le médium et les individus qui utilisent ce médium. On se souviendra, ému, des tirades de l’amibe Lefebvre, déclarant qu’Internet était le nid des psychopathes, des violeurs, des racistes et des voleurs, et demandant combien il faudra de jeunes filles violées pour que les autorités réagissent, dans la plus exacte reproduction d’un cheminement intellectuel pourri ou toutes les notions se mélangent (« Maman, j’m'a fait violée par l’interweb« ).

Le fond du problème est pourtant simple : internet joue exactement le même rôle que la Poste ou le Téléphone. Mais ces deux derniers médiums ont plusieurs avantages majeurs sur Internet : ils sont monopolisables, ils sont lents, ils sont simples à comprendre.

Or, monopoliser Internet, c’est installer la même infrastructure qu’en Chine, en Corée du Nord ou dans d’autres pays à la liberté d’expression vacillante : c’est habituellement mal vu par les opinions publiques.

En outre, là où le courrier et le téléphone sont de nature bilatérale (un émetteur et un récepteur exactement), Internet permet le broadcasting immédiat (un émetteur et des millions de récepteurs qui peuvent, eux-même, ré-émettre aussi vite). Interférer, même pour des raisons de sécurité, ralentit tout l’ensemble de l’infrastructure, au détriment des activités … qui rapportent des taxes à l’état, ou des voix au politiciens.

Enfin, tant le courrier que le téléphone sont des moyens technologiques d’utilisation simple et assimilés par toute la population sans difficulté. Internet, par contraste, offre une telle palette de possibilité et de spécialisation que nos politiciens sont très vite complètement dépassés, mélangent tout et racontent n’importe quoi.

Mais surtout, ces trois facteurs combinés font qu’Internet est un moyen concret pour les citoyens de se passer des politiciens ; au fur et à mesure que l’information est de plus en plus facilement accessible, on se rend compte que le politicien n’est qu’une mouche du coche.

On comprend très bien pourquoi un tel médium le terrorise : c’est, in fine, la fin de son mandat qu’il signe s’il laisse à Internet tout l’espace pour s’épanouir.
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