HADOPI: c'est pas faute d'avoir prévenu...

Publié le 24 janvier 2011 par Sid

C

e matin, Le Figaro et Les Échos reprennent en chœur une des conclusions d'un sondage commandé par la Haute Autorité sur le piratage en France : près de la moitié des sondés piratent. Un titre sur-mesure pour, soi-disant, illustrer l'ampleur du phénomène...

Et si, comme d'habitude, la méthodologie de ce sondage est déjà soumise à caution, en particulier sur l'orientation des questions, je ne serais pas très fier des résultats si j'en était le commanditaire. En effet, quand près d'un tiers des fraudeurs déclarent s'être mis au téléchargement illégal depuis moins de six mois, ça en dit long sur l'effet dissuasif des mesures en vigueur...

Alors que Les Échos s'en tiennent à exposer les chiffres, sans plus les commenter, on peut remarquer une brève mention dans l'article du Figaro à un effet depuis longtemps montré par les opposants à HADOPI. Comme Paul da Silva, président du Parti Pirate cité par le journal, qui note très justement que "beaucoups [d'internautes] se sont repliés vers des formules tout aussi illégales qui échappent au contrôle de l'Hadopi". Ce n'était donc pas faute d'avoir prévenu que la répression en l'absence d'offre légale intéressante était au mieux imbécile et ne ferait que jeter les gens dans les bras de services très probablement mafieux.

Et le constat que je faisais il y a un an et demi sur l'offre légale n'a pas franchement évolué, malgré l'optimisme du SNEP. L'offre reste chère, limitée, inattractive et surtout incroyablement restrictive pour l'utilisateur. On ne risque en effet pas faire briller les yeux du téléchargeur en lui proposant des films en VoD à 5EUR le visionnage alors que pour le double ou le triple, il aura un accès complet et illimité pendant un mois à un catalogue impressionnant. Ce qui lui permettra de récupérer le même contenu sans avertissement légal à rallonge, sans pub, en HD et plusieurs mois en avance. Le tout au nez et à la barbe de la surveillance mise en place sur les réseaux P2P...

En outre, il profitera pleinement d'un contenu sans DRM qu'il pourra visionner en Full-HD sur sa superbe dalle LED dernier cri, sur son laptop dans le train qui l'emmènera en vacances ou sur son smartphone en attendant le prochain métro. Car la présence de DRM n'est clairement pas le dernier des facteurs qui poussent les utilisateurs vers l'illégalité et le téléchargement. Pas plus tard qu'hier, Korben nous décrivait ses mésaventures face à l'ePub du dernier livre de Stéphane Guillon. Une version électronique à 14,99EUR d'un livre papier à 18,53EUR qui, pour cette coquette somme, vient avec son lot de restrictions imposées par le fournisseur du système de protection dont on taira le nom, plus par résignation que par charité. Réaction de l'intéressé ? Il s'est mis dans l'illégalité en récupérant la panoplie qui lui a permis de cracker la protection et enfin pouvoir profiter d'un contenu acquis légalement sur le support de son choix. Un comble...

Update : Mea maxima culpa, je n'avais pas fait attention que l'histoire en question était fictive (merci à Bladsburb et Luk de me l'avoir signalé). Ce qui me laisse songeur quant à l'intérêt de ce billet de Framablog...
On pourra également citer l'histoire ubuesque de cet étudiant allemand qui voulait consulter un ouvrage en ligne dans le cadre de recherches sur les biens communs. Non content d'empêcher plus d'un utilisateur à lire ce contenu numérique à un moment donné, le système de protection l'empêchera de copier le document, d'en imprimer quoi que ce soit ou d'en faire le moindre copier/coller. Le tout dans le cadre d'un consultation en bibliothèque à des fins de recherche...

Alors oui, il ne faut pas s'étonner que face aux prix de vente exorbitants agrémentés de limitations absolument scandaleuses pratiqués par de nombreux acteurs, l'utilisateur final préfère se détourner du marché légal. Car si on reprend le sondage évoqué au début, on constate que parmi les raisons évoquées comme frein à la consommation légale, le prix trop élévé[1] revient chez plus de la moitié des sondés, pendant que un sur cinq évoque le manque de diversité de l'offre et/ou les problèmes posés par les DRM[2]. On remarquera également que la gratuité du téléchargement illégal est un argument secondaire dans le débat puisque les sites illicites représentent un tiers des voies de consommation payantes[3].

Bref, autant dire que les Labs Hadopi ont du grain à moudre, ne serait-ce que pour faire entrer dans le débats les réalités du marché culturel numérique...

Notes

[1] Et non la gratuité, qui revient dans 20% des réponses, donc plus de deux fois moins.

[2] Cf. "Freins à la consommation légale", page 70.

[3] Cf. "Voies payantes de consommation culturelle", page 52.