Z comme zoo

Publié le 26 janvier 2011 par Jlhuss

« Abrèv. de (jardin) zoologique. Emplacement où des animaux rares, exotiques, sont présentés dans des conditions rappelant leur vie en liberté. »
Rappelant à qui ? Aux visiteurs ? Aux animaux eux-mêmes ? Aux deux sans doute. D’abord aux visiteurs, tous enfants gais en ces prisons chamarrées, vaguement dieux ou princes en leur royaume  : « Tout est à nous ! »  Mais les bêtes ? Comment savoir à quoi elles pensent entre les grilles ? nées ici ou arrachées aux terres natales de si longue mémoire qu’elles en ont perdu la saveur, l’odeur, et cet on ne sait quoi de lumière au vaste ciel qui donne brusquement envie de courir. Pour l’animal sauvage, le zoo c’est l’Arche échouée en centre ville, son permis de subsister au cœur du monde technique, puisqu’il est dit que nous dévorerons ses eaux, ses herbes, ses arbres jusqu’au dernier. Pour l’homme, le rugissement du lion dans ses murs, comme dit Giraudoux, c’est « le remède au klaxon », l’animalité du monde à son chevet, son filet de sève première dans la sécheresse du temps qui reste.

-Tu crois, Dadou, qu’ils sont heureux là-dedans ? me demandait Noé comme nous nous trouvions devant l’enclos des singes.
Noé est mon petit-fils. Il ne commencera d’être patriarche que vers 2070. Dieu sait ce qu’il restera alors à embarquer. En aura-t-on fini avec le chimpanzé, le tigre, l’éléphant, le rhinocéros ? La liste est longue des trouvailles génétiques en sursis.
-Heureux est un grand mot, Noé, tu vas commencer à le savoir. Au moins ici les animaux sont nourris, soignés, aimés de leurs gardiens -et contents de te voir !- mais loin de chez eux… Heureux, je ne sais pas, mais vivants, c’est déjà quelque chose.
-Tu supporterais, toi, Dadou, d’être regardé par tant d’yeux ?
-Je crois que j’en mourrais le troisième jour. Mais il y a plus sociable que moi dans la nature, heureusement … Tu vois ce singe, là-haut ? je suis sûr qu’il pirouette pour nous, pour faire l’intéressant. C’est comme la panthère tout à l’heure : rien ne l’empêchait d’aller se rencogner sous le rocher pour dormir. Non, elle s’étalait comme un gros chat qu’elle est, en plein sur le promontoire exposé. L’un des  miracles du zoo, c’est de rendre m’as-tu-vu les sauvages.”

Une dame montrait à son marmot  comment applaudir aux pirouettes de notre singe, qui soudain descendit de sa branche, se planta devant l’assistance et, en retroussant haut ses babines pour dégager  les dents -ce que nous appelons “rire”-, se gratta le cul. Noé la trouva bien bonne. La dame, choquée, entraîna son petit vers les quartiers présentables : la volière du grand duc, animal sans mains qui reste à sa place.

Sa place… La place des bêtes… Savoir si elle ne grandit pas au coeur de l’homme à mesure qu’elle se réduit au monde. Nous les aimons coupablement, sachant que nous les tuons jour après jour, que c’est écrit depuis Lascaut, que leur salut serait notre départ. Ce que l’homme appelle “fin du monde” n’est que la fin de l’homme ; le monde peut continuer sans lui comme il a commencé. Fous d’orgueil, nous nous figurons que, pour être, le monde a besoin de la conscience que nous en avons, qu’il cesserait d’exister hors de notre regard, de notre pensée… Je restais là, pensif, devant mon singe cyclothymique qui, maintenant grave, me fixait du regard -ou quel horizon derrière moi ? Lequel baisserait les yeux ? Ça durait, ça durait… Noé m’évita sans doute la défaite :
-Bon, Dadou, on y va maintenant ? dit-il en me tirant par la manche. J’ai un peu soif.
-Et moi vaguement faim.
-Alors une petite glace ?
-Bonne idée, ça nous réchauffera !


Noé, Robert, les bêtes et moi , juillet 2010, décembre

Arion