Black Swan de Darren Aronofsky

Par Geouf

Résumé: Danseuse dans une troupe de ballet, Nina (Natalie Portman) voit son rêve se réaliser lorsque lui est offert l’opportunité de tenir le rôle principal dans le Lac des Cygnes. Mais la jeune femme, déjà fragile psychologiquement, va voir petit à petit sa santé mentale vaciller sous la pression de son metteur en scène, et dans sa volonté de maitriser parfaitement le double rôle du Cygne Blanc et du Cygne Noir…

Darren Aronofsky est un réalisateur passionné par les études psychologiques de personnages à la dérive. Apres avoir étudié les effets de la paranoïa et de l’obsession (Pi), de l’addiction (Requiem for a Dream), le processus du deuil (The Fountain) et le besoin vital de reconnaissance des artistes (The Wrestler), il s’attaque cette fois à l’univers du ballet. Black Swan, sorte de « petite sœur » de The Wrestler, décrit au spectateur l’immersion extrême de la jeune Nina dans le rôle de sa vie et sa recherche de perfection. Reprenant les grandes lignes du ballet au centre de l’histoire, Black Swan est une plongée en apnée dans la psychologie fragile de son héroïne. A l’instar du catcheur Randy dans The Wrestler, Nina ne vit qu’à travers son art. Pas seulement parce qu’elle l’a choisi, mais aussi pour échapper à une existence terne et dominée par la figure imposante d’une mère étouffante. Obsédée par la recherche de la perfection (comme le héros de Pi qui recherchait la formule mathématique parfaite permettant de résumer l’univers), Nina va être rapidement déroutée par un rôle lui demandant de faire appel à des traits de caractère étrangers à sa personnalité (dont en premier lieu la sensualité et le « laisser-aller »).

A partir de ce canevas classique rappelant les premières œuvres de Polanski (particulièrement Répulsion, Le Locataire et Rosemary’s Baby) ainsi que le cinéma de Cronenberg (pour la manifestation physique des psychoses de l’héroïne), Aronofsky orchestre un véritable ballet dérangeant (les scènes de danse sont évidemment nombreuses et minutieusement réalisées) où la folie contamine petit à petit la pellicule. Tout est fait pour faire pénétrer le spectateur dans l’esprit de Nina: gros plans sur le visage tourmenté de Natalie Portman, sur ses blessures pendant son entraînement, jeu sur les reflets, les couleurs (la virginale Nina en blanc, la libérée Lily en noir), apparitions fugaces de figures démoniaques, transformation physique de Nina (certains passages feront probablement grincer des dents les plus sensibles)… Mais là où Polanski rendait petit à petit ses personnages assez antipathiques (Mia Farrow et Catherine Deneuve étaient parfois proches de l’hystérie), Aronofsky ne perd jamais de vue l’attachement à son héroïne, même lorsque celle-ci sombre dans la paranoïa et commence à mettre en danger la vie des personnes qui l’entourent. Un tour de force rendu possible à la fois par la maestria du réalisateur, qui colle constamment à son héroïne, mais aussi par la performance touchante de Natalie Portman, qui continue de s’investir dans des rôles difficiles et exigeants. L’actrice incarne à la perfection cette jeune fille timide et renfermée, à la sexualité refoulée, et qui se perdra dans son rôle, mais gagnera en même temps son émancipation.

Autour de l’actrice, le reste du casting est tout aussi excellent, de Vincent Cassel en metteur en scène aux motivations ambigües, à Barbara Hershey en mère possessive, en passant par Mila Kunis en électron libre de la troupe, à la fois objet de désir et de répulsion pour Nina. Mais encore une fois, ce qui fait la force du film, c’est son absence de manichéisme, même dans la description des personnages secondaires. Tous auraient pu facilement tomber dans la caricature (le metteur en scène libidineux, la mère folle à lier, la rivale machiavélique) mais Aronofsky casse ces archétypes en leur donnant de l’épaisseur et en les rendant foncièrement humain et attachants. Un moyen intelligent une fois encore de montrer le fossé entre les illusions et fantasmes de la pauvre Nina de la réalité.

Le dernier acte du film, véritable tour de force visuel et sonore (on ne soulignera jamais assez la symbiose parfaite entre le réalisateur et son compositeur fétiche Clint Mansell qui réorchestre ici de façon magistrale les thèmes du célèbre ballet), qui voit Nina devenir véritablement le Cygne Noir, emporte le spectateur dans un maelstrom d’émotions. Le film s’achève sur un final apaisé, sorte de bizarre happy end (après tout l’héroïne finit comblée et libérée par son expérience) qui ne sera certainement pas perçu comme tel par tous. Et le réalisateur de conclure le film en s’exprimant par la bouche de son héroïne: “J’ai été parfaite”. Oui, en effet, on n’en est pas loin…

Note: 9/10


USA, 2011
Réalisation: Darren Aronofsky
Scénario: Mark Heyman, Andres Heinz, John McLaughlin
Avec: Natalie Portman, Vincent Cassel, Mila Kunis, Barbara Hershey