Angoulême 2011 : Jean Van Hamme, commandeur dans l'ordre des arts et des lettres

Par Manuel Picaud


Dimanche 30 janvier 2011, Frédéric Mitterrand, Ministre de la Culture et de la Communication, a remis au scénariste belge Jean Van Hamme les insignes de commandeur dans l’ordre des arts et des lettres au théâtre d'Angoulême. La cérémonie a eu lieu quelques instants avant le palmarès du 38e Festival International de la Bande Dessinée d'Angoulême en présence de quelques happy few et notamment tout l'aréopage des maisons d'édition du groupe Média Participations (Dargaud, Dupuis et Le Lombard). Voici en exclusivité le texte du discours prononcé par le ministre avec les photos prises à cette occasion.
Frédéric Mitterrand a ajouté avec un grand sourire que Jean Van Hamme était tout à fait son type d'homme, créant une petite gêne chez le récipiendaire ! En remerciement, Jean Van Hamme, manifestement ému et ravi, s'est amusé en disant que cela servira pour sa nécrologie ! En même temps, il s'est dit réellement touché par cette attention de la France quand la Belgique ne l'a toujours pas honoré. Blessé à la jambe en raison d'une chute de ski, Jean Van Hamme vient de fêter ses 72 ans. Il a vendu en 2011 plus d'un million d'albums et voit ses œuvres adaptées au cinéma et à la télévision. L'abonné au classement des meilleures ventes d'albums continue de marquer l'écriture de scénarios de bande dessinée. Symboliquement sa célébration à Angoulême est aussi la reconnaissance méritée et attendue d'une profession sans qui la bande dessinée ne serait que des dessins !

Discours de Frédéric Mitterrand :
"Cher Jean Van Hamme,
Vous rendre hommage en ces terres angoumoises où vous avez été maintes fois célébré n’est pas chose facile. Votre œuvre culte s’apparente pour beaucoup au monolithe noir que Le grand pouvoir du Chninkel et L’Odyssée de l’espace ont en partage : nous sommes tous vos lecteurs et vos admirateurs qui, au son de la musique de Ligeti, tentent d’en percer le mystère.

Ce qui fait du scénariste de Thorgal, de XIII et de Largo Winch l’un des plus grands noms du neuvième art, c’est probablement votre extraordinaire capacité narrative, celle qui tient le lecteur en haleine d’album en album, dans la lignée d’Alexandre Dumas, d’Eugène Sue et de Ponson du Terrail.
Comme c’est souvent le cas dans les plus belles pages de la bande dessinée franco-belge, votre très belle aventure commence à Bruxelles, dominée par l’ombre inquiétante et protectrice du Palais de Justice de Poelart, quand un agrégé d’économie politique s’essaie à l’écriture de scénarios. Jean Van Hamme à ses débuts, c’est l’histoire d’un jeune cadre dirigeant de multinationale qui se met en tête d’écrire des gags pour le Gaston Lagaffe de Franquin.
Avec Epoxy, qui sort en 1968, vous signez avec Paul Cuvelier votre entrée en matière. Les centaures, Argos et les amazones y croisent une jolie mortelle victime d’un accident de voilier en mer Egée, dans une fantaisie érotique qui marque les débuts de la bande dessinée pour adultes. Repéré par Greg, le patron de la maison Dupuis que vous serez amené à diriger quelques années plus tard, vous transformez vite l’essai, et vous décidez de quitter l’entreprise Philips pour la seule écriture. Dès lors, les romans et les scénarios se succèdent. Celui qui signa en 1975 avec Dany une Histoire sans Héros devient alors, presque a contrario, le créateur des héros parmi les plus mémorables de l’histoire de la bande dessinée.
En 1977, vous vous lancez dans l’aventure de Thorgal, avec Grzegorz Rosinski au dessin. Sa parution dans Tintin, puis aux éditions du Lombard, s’impose alors très vite parmi les plus grands succès du genre. Le guerrier viking aux racines extra-terrestres, son fils Jolan, la mystérieuse Kriss de Valnor, autant de personnages qui ont bercé l’imaginaire de générations de lecteurs. C’est également avec votre complice Rosinski, que vous commettrez plus tard le Chninkel, en mêlant la Bible et Tolkien, Kubrick et Gustave Doré.
Au-delà de l’heroic fantasy, Jean Van Hamme, c’est aussi celui qui signe avec XIII, à partir de 1984, chez Dargaud, l’un des chefs-d’œuvre les plus reconnus de la bande dessinée. Sous la ligne à la fois classique et racée de William Vance, vous retracez les aventures d’un agent de contre-espionnage, perdu entre amnésie et glamour, entre les États-Unis et le Costa Verde, où j’ai souvent vu une version reaganienne du Costaguana de Joseph Conrad. Les belles gueules carrées de Vance y croisent les pin-ups les plus flamboyantes, dans une Amérique paranoïaque en quête d’elle-même.

Au vu du succès de cette série mythique, vous laisserez d’autres auteurs explorer le passé de ses personnages principaux, dans XIII Mystery – une dérivée narrative qui est à la BD ce que les spin-off sont aux séries télévisées. La souplesse de vos fictions vous rendront d’ailleurs familier des allers-retours entre le monde des cases et celui des écrans : vous signez l’adaptation de Diva, le roman de Delacorta porté à l’écran par Jean-Jacques Beineix, qui en tirera quatre Césars. Plus tard, les Maîtres de l’Orge, cette famille de brasseurs belges que vous imaginez avec Francis Vallès et qui recevra l’Alph’Art du meilleur scénario au Salon d’Angoulême en 1998, seront adaptés en téléfilm. Aujourd’hui, c’est au tour de Largo Winch II d’être très attendu dans les salles.
Car Jean Van Hamme, enfin, c’est évidemment Largo Winch. Largo naît en roman en 1977, au Mercure de France. Puis vous l’adaptez en bande dessinée à partir de 1990, chez Dupuis, avec Philippe Francq au dessin. On y retrouve probablement des éléments de votre vie antérieure de cadre chez Philips. Du souvenir de vos années marketing est né un univers où les hélicoptères volent au-dessus de Hong Kong, un univers d’attachés-case et de pilotes en veste et blue jeans, de complots et d’explosions, de multinationales et de conseils d’administration sur lesquels règne le charme d’un jeune milliardaire capricieux, incarné désormais à l’écran par Tomer Sisley.
La notoriété méritée se mesure aussi aux filiations. Lorsqu’en 1992, la question se pose de donner une suite à Blake & Mortimer dans une lignée qui soit digne d’Edgar P. Jacobs, seul un auteur de votre calibre peut répondre à l’appel : vous publiez alors L’affaire Francis Blake, en 1996, qui fut une fois de plus un succès retentissant. Nombreux sont ceux qui ont pu ressentir votre engagement pour l’ensemble de la profession, à la tête du Centre belge de la Bande dessinée de 1992 à 2000, ou encore quand vous enseignez à l’Institut des Arts de Diffusion de Louvain-la-Neuve. Aujourd’hui, vous veillez aux traductions de votre œuvre, à leur fidélité, au devenir de vos héros sous d’autres plumes que la vôtre, à la qualité des adaptations.
Dans le monde les scénaristes, on reconnaît les grands maîtres à leur capacité à susciter chez leurs lecteurs un appel unanime : « la suite !» - celle que tout le monde réclame.

Dans le monde de la bande dessinée, pour des millions de lecteurs, vous êtes l’un des grands artistes du désir de récit.

Cher Jean Van Hamme, au nom de la République française, nous vous remettons les insignes de Commandeur dans l'ordre des Arts et des Lettres."
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Photos Jean Van Hamme et Frédéric Mitterrand lors de la cérémonie de remise © Manuel F. Picaud
Remerciements à Sylvie Duvelleroy (éditions Dupuis ) et Laëtitia Armenoult (Ministère de la culture et de la Communication)