La crise Nestlé - Herta : le Halal Gate ?

Publié le 02 février 2011 par Muzard
Décidemment Nestlé n’a pas de chance, après ses démêlés avec Greenpace et l’affaire Kit Kat, voilà maintenant que le groupe suscite la colère de la communauté musulmane en France avec ses saucisses Herta Halal.
Pour résumer l’affaire rapidement, le site-forum « debat-halal » publie le 17 janvier les résultats d’un rapport d'analyses d’un laboratoire faisant état de traces de porc dans des saucisses de volaille de Herta.
Des centaines de consommateurs musulmans appellent Nestlé et sur la toile expriment leurs doutes sur les méthodes du groupe pour certifier les produits Halal. Dans un premier temps, le groupe Nestlé commande une contre expertise à un laboratoire allemand. Puis publie un communiqué : « l’analyse conclue à l'absence de traces d'ADN de porc dans les produits concernés. Nos productions respectent les procédures requises par la Mosquée de Paris, sont validées par elle, et vérifiées sur place par quatre contrôleurs permanents reconnus et agréés par les mêmes autorités religieuses".
Nestlé ne souhaite pas répondre à la rumeur qui affirme qu’il y aurait eu contamination sur les chaines de production : une chaine commune avec des produits à base de porc.« Nos procédés de production sont confidentiels » explique le groupe.
Nestlé ouvre un numéro vert pour les consommateurs de produits Halal et leur envoie des    réponses par mail. Le groupe explique  que « chacune de ses productions respecte ce    procédé mis en place sur recommandation de la mosquée de Paris et validé par elle ». 
 Mais la polémique se poursuit sur la toile en particulier, de nombreux musulmans mettent    en doute la fiabilité de la contre expertise réalisée par Nestlé.
Face au mouvement de mécontentement qui se renforce,  le groupe Casino décide mardi  de retirer des rayons de toutes ses enseignes les saucisses certifiées halal de la marque Herta. La communauté musulmane sur le web demande aux autres enseignes de suivre l’exemple de Casino.
Mais la polémique a dépassé la toile, TF1 lui consacre un reportage, radios et journaux couvrent le sujet même si  pour le moment, l’affaire est surtout traitée en brèves. La communauté musulmane reproche à Nestlé son « silence » au départ et sa réticence à retirer ses produits (15 jours pour retirer les produits, c’est trop selon eux).
Alors  Nestlé, coupable ou pas coupable ?
L’affaire est complexe, d’abord parce qu’elle se déroule dans un contexte de compétition soutenue entre les fabricants de produits halal.
Ainsi on apprend que le site forum qui a sorti l’affaire sur le web est financé par une société qui fabrique de la viande Halal…un concurrent de Nestlé, donc ! Certains consommateurs musulmans l’ont d’ailleurs précisé sur la toile.
Donc il n’est pas certain que celui qui s’érige en whistle Blower (le site Débat- Halal) soit aussi « innocent » qu’il y paraît. Et il est tout à fait  possible que Nestlé n’ait rien à se reprocher du point de vue de la fabrication et de la certification de ses saucisses halal et qu’il ne soit que la victime d’un débat sur le problème de la certification halal.
Mais même dans ce cas, Nestlé a commis des erreurs. Si le groupe maîtrise son processus industriel, il maîtrise moins bien sa communication.  

Certes,  la société a eu le réflexe, d’ouvrir un numéro vert pour ses clients inquiets et d’envoyer un communiqué aux médias pour défendre sa position : expliquer la lancement  d’une contre expertise, rassurer sur son process de certification.  La société a essayé d’expliquer qu’elle était victime d’un problème qui la dépassait : le débat sur la certification. Et elle a fini par décider le retrait des produits « critiques ».   Cette communication a permis de réduire probablement la polémique notamment dans les médias traditionnels mais  l’argumentation était insuffisante et les modalités et surtout le timing de sa communication n’étaient pas tout à fait adaptés notamment à la toile.

Compte tenu des informations dont on dispose sur cette affaire, il semble que Nestlé ait commis un certain nombre d’erreurs notamment dans sa communication :
-   Une appréciation du risque médiatique insuffisante : Si Nestlé a demandé récemment le retrait de saucisses pouvant causer des allergies (sésame), le groupe a probablement considéré que l’affaire Herta était nettement moins grave car elle ne relèvait pas de santé publique mais de religion. C’est oublier que les questions d’ordre religieux mobilisent désormais tout autant l’opinion que les questions de santé publique.
-   Une communication trop tardive : Nestlé n’a pas communiqué pendant 15 jours : c’est trop long, il aurait fallu justifier le délai nécessaire pour réaliser la contre expertise, montrer que la marque faisait son possible pour faire le clair sur cette affaire. Proposer en attendant un remboursement ou toute autre solution montrant une vraie attention de Nestlé pour ses clients. 
-   Une réaction pas assez forte : il ne fallait pas se limiter à une contre expertise mais  en lancer au moins deux en parallèle, en veillant à les confier à des laboratoires au-dessus de tout soupçon par rapport à la communauté musulmane. Une contre expertise ne suffit pas à convaincre : la communauté a le sentiment que c’est la parole de Nestlé contre celle du site forum (à priori moins suspect).  Etant donné que la crise se déroule sur la toile, il était essentiel d’être encore plus solide sur les preuves à apporter : les internautes n’acceptent pas le discours d’affirmation des entreprises, ils veulent des preuves nombreuses et argumentées.
-   Une réaction trop « rationnelle » :  A partir du moment ou la contre expertise a confirmé qu’il n ‘y avait pas de contamination, Nestlé a considéré que le problème était réglé et n’a donc pas jugé nécessaire de retirer ses produits. C’était oublier que  la communauté musulmane était sous le coup de l’émotion.   Elle attendait un geste plus fort : le retrait des produits au titre du principe de précaution. Au final, Nestlé, sous la pression de l’opinion, a fini par retirer ses produits, mais son image a été impactée au sein de la communauté. 
-   Très faible présence sur la toile. Nestlé s’est limité à publier ses communiqués sur son site dédié à la marque Herta (et dans une rubrique très peu visible). Il n’a publié aucune info sur Facebook :  étrangement aucun Fan ne mentionne l’affaire, on peut se demander si Nestlé n’a pas modéré sa Fanpage… Il aurait fallu ouvrir un blog de crise et mettre en ligne un FAQ, y associer l’organisme de Certification (Mosquée de Paris) et engager le dialogue sur le blog de crise voire sur Facebook (à condition que les Fan aient posté de nombreux commentaires à propos de l’affaire).
-   Un refus de transparence : le fait que Nestlé se refuse à expliquer les modalités de production a été perçu comme une preuve de sa culpabilité : les produits halal sont probablement fabriqués sur la même chaine que les produits à base de porc…
-   Stratégie d’alliés : Nestlé n’a pas suffisamment fait front commun avec la Mosquée de Paris, laissant croire qu’il « chargeait » son partenaire.
 
   Conclusion,
 Nestlé a essayé d’apporter une réponse industrielle, rationnelle à un problème émotionnel    d’ordre religieux. C’est pourquoi, il n’a pas réussi à apaiser les doutes de la communauté    musulmane, n’a pas suffisamment ouvert le dialogue avec ses clients alors même que le    problème mobilisait fortement cette communauté sur le web. Moyennant quoi, la    polémique s’est aggravée avec la communauté musulmane et  a  même gagné les médias traditionnels.
Espérons que Nestlé affirmera dans les prochains jours sa volonté de fiabiliser le process    de certification en travaillant main dans la main avec les organisations « les plus    légitimes » en produit Halal et qu’elle engagera un dialogue on et off line plus constructif    avec ses clients musulmans afin de restaurer un lien de confiance.
 C’est un fait, une crise se gère en deux dimensions désormais : « on et off » line, la mise    en place de plans de communication avec les médias traditionnels ne suffit plus, il faut    aussi  savoir gérer la toile, les réseaux sociaux.... Cette nouvelle donne représente un vrai challenge pour les grands groupes aujourd’hui.