Cher : le candidat Sarkozy rate sa visite de terrain devant les maires

Publié le 04 février 2011 par Juan
Mardi dernier, le candidat Sarkozy s'est rendu dans le Cher pour une nouvelle visite de campagne. Le déplacement fut raté, car faiblement médiatisé. L'actualité était ailleurs. A force de parler de tout sauf des sujets du moment, de vouloir forcer l'agenda médiatique et d'encadrer ses prises de paroles dans des mises en scènes convenues et sans enjeu, Nicolas Sarkozy finit par être hors sujet et n'intéresser personne.
Ce jour-là, l'attention était à l'étranger (en Egypte, où la diplomatie française est à la remorque des Etats-Unis, ou en Tunisie où la ministre Alliot-Marie peine dans différentes polémiques), ou en métropole, où l'on débattait des concessions faites aux CRS,  de la découverte macabre du corps de Laëtitia près de Saint-Nazaire, et de la crise du pouvoir d'achat. « Pôles d’excellence rurale, réforme territoriale, emploi, dotations aux collectivités : le Président débat avec les élus locaux du Cher », pouvait-on lire sur le site de l'Elysée. Quel résumé ! En fait, le candidat Sarkozy s'est montré hautain, distant, et sourd.
Cérémonial habituel
Pour ce déplacement de terrain, des CRS non grévistes étaient là, avec seize fourgons, renforcés de gendarmes. Le parcours était calé avec la visite d'une usine, « Avignon-Ceramic » à Bruère-Allichamps, faussement improvisée, avant un long monologue puis un faux débat devant les maires du Cher à Saint-Amand-Montrond.
Les voeux sont terminés, Sarkozy renouait donc avec l'exercice de la table ronde. Malgré une belle centaine de déplacements similaires l'an passé, sa cote de popularité est toujours au plus bas. Mais il continue. Il était cette fois filmé assis sur une estrade, face à un public de maires et d'officiels locaux. Le visage est toujours marqué par des tics à répétition, contractions de mâchoires ou haussement de sourcils. Après une trentaine de minutes de discours, une poignée de maires eut le droit de poser chacun une question préparée, sans droit de suite. A chaque fois, les réponses avaient été préparées, et Sarkozy ne cachait même pas qu'il lisait certaines formules écrites par ses conseiller de l'ombre.
Le Monarque débuta son intervention par des « Monsieur le président de l'association ceci », « Monsieur le président de l'association cela », ponctués de « Cher Remy », « Cher Jacques » et « Cher Thierry ». Il s'échappa assez vite de ses notes. « Rémy vient de me dire qu'il y avait des inquiétudes. Me voilà rassuré, nous sommes en France.» Gros sourire... il ressert la même formule à chacun de ses déplacements. « J'ai voulu venir devant vous d'abord parce que mon devoir, c'est de me déplacer, d'aller à la rencontre des gens, de les entendre, de les écouter. Puis de tirer des conclusions de ce qu'ils me disent et d'y apporter des réponses.» Le devoir, toujours le devoir. Le candidat Sarkozy persiste à confondre déplacements et discours avec action et réalisations.
Le monde est un village
Puis le candidat embraya immédiatement sur le thème du « monde-village ». Cette prise de recul sert toujours à minorer l'importance de nos problèmes quotidiens (précarité, sécurité, santé) et à renforcer l'image d'un président qui défend la cause nationale de par le monde. « Dans un monde qui est devenu un village, les problèmes de la France trouvent des réponses au cœur de l'Afrique de l'Est, pour plaider pour les financements innovants, le développement de l'Afrique -- seule façon de réguler l'immigration. Ils trouvent également des réponses à Bruxelles, pour plaider pour un gouvernement économique européen, une stabilité des cours des matières premières agricoles, seule façon de répondre, cher Bruno Le Maire, durablement à la question du revenu des agriculteurs. Ils trouvent enfin des réponses ici, pour parler de la réforme territoriale, de la péréquation et de l'avenir des services publics. C'est la même chose !»
Le vocabulaire change, les exemples sont usés
Au fil des semaines, Sarkozy a fait évoluer son vocabulaire, mais pas ses exemples. Rupture et volonté ont fait place à des termes plus consensuels et moins anxiogènes tels réforme et modèle sociale. Même l'identité n'est plus nationale ou agricole, mais sociale.
Sarkozy ne parle plus de « casser les tabous », mais il conserve son éloge du mouvement. Il n'insiste plus sur l'identité nationale, rurale ou agricole comme en 2009, mais évoque notre « modèle social » et républicain. La dialectique est délicate. De quel modèle social parle-t-il ? La privatisation progressive de l'assurance sociale, la défiscalisation croissante des fortunes, la déstabilisation systématique de la justice par une boulimie législative, servent-elles la préservation du modèle français ? L'homme du discours de Grenoble, du bouclier fiscal, de l'affaire Woerth et de la réforme des retraites insiste sur sa « première idée » du jour : «  si nous voulons être fidèles à l'idée que nous nous faisons de l'identité de la France, il nous faut collectivement avoir la capacité à nous adapter au monde d'aujourd'hui. Nous n'avons pas le choix.»
Sarkozy ne parle finalement plus de volontarisme politique. Il préfère défendre le devoir incontournable et l'absence de choix. Il n'y a pas d'alternative, tenez-le vous pour dit ! C'est l'argument réactionnaire, habituel et séculaire des classes dirigeantes. La mondialisation ne serait pas « une question de gauche ou de droite, d'opposition ou de gouvernement.» Le mythe du président protecteur en prendrait-il un coup ? Sarkozy pédale. L'assistance est silencieuse. « Qui pense que les mêmes recettes marcheraient ? » Il faut bouger, nous dit-il, car « l'immobilisme c'est la mort.» Et lui, il bouge, il voyage dans son nouvel Airbus, et s'il se démène autant, c'est pour nous défendre : «  il y a un lien pour moi entre tous ces déplacements que je fais à longueur de semaines : c'est défendre le modèle français en essayant de convaincre qu'il doit s'adapter pour que la France reste un pays qui compte dans le monde et que demain vos enfants aient la meilleure formation et que des emplois puissent rester dans des territoires ruraux comme ici. » Quels déplacements ? Son voyage touristique de 4 jours en Inde ? Ses weekends à répétitions à Marrakech ou au Cap Nègre ? Ou ses allers-et-retour expresses, aux quatre coins du pays, avec hélicoptère, avion, fourgons de CRS et journalistes silencieusement parqués au fond des salles ?
Sur un registre au moins, Sarkozy reste constant : il ne cesse de rabâcher les mêmes exemples, refrain et anecdotes.
Travailler, c'est si facile !
« la France est dans un monde qui bouge à une vitesse stupéfiante. (...) il nous faut nous adapter pour survivre dans la compétition d'aujourd'hui. » La vraie nouveauté de ces dernières années n'est pas l'accélération de la mondialisation, mais celles des inégalités, et surtout en France.Sarkozy ne l'évoque pas. Les études sont pourtant là.
L'usine « rurale » qu'il vient de visiter a été bien choisie par les conseillers élyséens : « Cette usine et ses salariés extraordinaires, s'ils avaient continué à fabriquer simplement de la vaisselle, cela ferait longtemps que l'usine serait fermée. A partir d'un savoir-faire ancestral, ils fabriquent désormais des pièces du Rafale, de l'Airbus A380 ou des turbines à vapeur. » Sarkozy prêche pourtant dans le désert. Le chômage progresse, dans toutes les catégories; le nombre d'offres d'emplois collectées par pôle emploi en 2010, année de prétendue reprise, est identique à l'année creuse de 2009. Sarkozy en devient presque insultant, quand il poursuit son exemple local : « On aurait pu manifester, protester -- « on veut rester, on a été formés pour fabriquer des assiettes, on reste fabriquer des assiettes, cela ne nous intéresse pas le reste ». Parfait, alors on ferme. Voilà la problématique qui est la nôtre. » Qui manifeste pour ne pas « bouger » ? Le chômage ou les faillites d'entreprises seraient-elles dues à des blocages idéologiques, des résistances aux nouveaux marchés ?
Service après-vente
Sarkozy a peu de totems, son bilan est pauvre en médailles. Seul l'enrobage compte désormais. Parfois, la suppression de la taxe professionnelle (remplacée par deux autres taxes), ou la réforme des retraites sont citées en exemple du courage présidentiel. D'autres fois, et ce fut le cas ce mardi, elles servent à illustrer la nécessité du changement. D'autres choses, en Sarkofrance, ne changent pas, comme la fiscalité des revenus, le fameux « partage de la valeur ajoutée ». Mais chut !
Sur la taxe professionnelle, Sarkozy n'évoque pas le fond du sujet : « Les élus qui étaient attachés à la taxe professionnelle, ce que je peux parfaitement comprendre, auraient tout perdu le jour où il n'y aurait plus eu d'usines sur leur territoire.» Les inquiétudes exprimées au passage de la réforme ne concernaient pas le principe même de la taxe professionnelle, mais la compensation de sa disparition et l'autonomie budgétaire des collectivités locales.
Sarkozy se félicita aussi de sa réforme des collectivités locales. On connaît le refrain, mais Sarkozy le chanta quand même : « Au total, nous avions 7 niveaux d'action disposant tous, ou presque, de la compétence générale. Est-ce que vous ne pensez pas qu'il y a là une des raisons qui fait que nous avons plus de dépenses que nos voisins ? » Sa réforme territoriale devait générer des économies. On sait que ce sera loin d'être le cas.
Moins de services publics
Sarkozy dériva aussi sur les services publics. Un grand moment !  « Je voudrais toutefois vous demander dès à présent qu'on ne fasse pas, sur la question des services publics, la même erreur qu'avec les 35 heures. Je m'explique. Avec les 35 heures, on a raisonné sur le travail en quantité, en ignorant totalement le débat sur la qualité.» C'est le seul argument qui reste aux ténors de Sarkofrance pour répondre aux critiques contre la faiblesse de certains moyens publics (enseignement, police, justice). Boulimique en lois, Sarkozy est radin en effectifs. Il préfère parler « qualité que quantité ». La belle affaire !
Il s'enfonce avec quelques considérations sans intérêt ni logique. Il fallait sans doute meubler de quelques évidences : « travailler 35 heures dans un travail qu'on n'aime pas, c'est une catastrophe, et travailler plus dans un travail qu'on adore, c'est fantastiquement épanouissant.» Ou encore : « Je dis simplement que pour les territoires ruraux qui s'en allaient mourants, comme pour le chômeur qui n'a pas de travail, la question n'est pas d'accompagner la mort. »
Parfois, l'argument se cache derrière la formule : « Ce que je pense, mes chers compatriotes, c'est que la meilleure façon de faire que le chômage ne soit pas douloureux, c'est de permettre à celui qui est au chômage de trouver un emploi.» Comprenez : il faut réduire le traitement social du chômage (indemnités, etc) pour mieux subventionner les embauches. Pour 2011, le gouvernement a réduit de 15% les crédits de la politique de l'emploi. En août dernier, le gouvernement a resserré les conditions d'accès à la dispense de recherche d'emploi (DRE), notamment pour les seniors : l'âge de DRE pour les chômeurs senior non indemnisés a été porté à 60 ans depuis le 1er janvier. La DRE sera abrogée en janvier 2012.


La rigueur pour les uns
Le gel des dotations publiques aux collectivités locales pour 3 ans ? « Oui et je l'assume car c'était mon devoir. Avec la crise de 2008, les recettes fiscales de l'Etat, en quelques semaines, ont diminué brutalement de 22%. » Sarkozy s'emballe et raconte n'importe quoi. L'Etat ne pilote pas ses recettes fiscales à si court terme. Ce taux de 22% sort d'un chapeau. Du grand n'importe quoi. Il faut des mois après la cloture d'une année pour que les services fiscaux identifient le niveau des recettes. Que ces dernières aient baissé à cause de la récession, personne ne le conteste. Sarkozy aurait pu ajouter que la dégradation des comptes publics était aussi due au Grand Emprunt, et... à divers cadeaux fiscaux sarkozyens comme la TVA sur la restauration ou le paquet fiscal de l'été 2007.
Pour s'excuser, le Monarque rappelle aux édiles locaux : « je fais exactement le même travail que vous. ». Ou encore : « Avec le Premier Ministre, nous avons pris l'engagement de rétablir l'équilibre des comptes de la France. Cet engagement, nous le tiendrons. Il n'y a pas d'autre solution sauf à souhaiter que la France ne soit plus un pays indépendant.» Indépendant de qui ? Des marchés ou des agences de notation ?
Sur les pôles d'excellence, Sarkozy prévient : « pour le Cher, vous avez déjà 10 pôles d'excellence qui ont été labélisés, dont 4 au titre de la 2ème génération.  (...). Si nous créons de nouveaux pôles, les ministres et notamment celui chargé de l'aménagement du territoire devrons avoir le courage de délabéliser les pôles actuels qui ne remplissent pas leurs objectifs.»
Haro sur les associations et la décentralisation
Au bout d'une trentaine de minutes, place au « débat.» Les questions sont préparées; les réponses également. Sarkozy puise abondamment dans ses notes.
Un maire s'inquiète du sort de l'aide aux communes, non obligatoire, des conseils généraux dans la réforme territoriale. Sarkozy reformule et répond à côté. Le maire exprimait la crainte, partagée, de voir des crédits supprimés. Sarkozy lui répond par une éloge du guichet unique ! « Non seulement nous sommes le seul pays du monde qui a tant de strates administratives mais de surcroît chacune aspire, exige la compétence générale. Quelle est la conséquence de la compétence générale ? C'est la demande générale. ... Bien sûr... Si la région est compétente pour tout, tous les groupes s'adressent à la régions. (...) Niveau départements, c'est pareil. » Il critique ensuite les lacunes de l'évaluation à la française. Pour lui, une subvention acquise par une association, « c'est un droit de l'obtenir, c'est scandale de la retirer. Vous connaissez ça naturellement... » Il se fait timidement applaudir. Nous avons voulu y mettre un terme. Comment ? Nous considérons... J'vais prendre mes responsabilités Monsieur le Maire, je ne vais pas me cacher derrière le petit doigt... qu'il y a deux niveaux de compétence générale légitimes : le niveau communal qui reste le niveau de proximité de tous les jours. (...) La réforme territoriale c'est d'abord une réforme qui renforce la commune. (...) Puis il y en a un deuxième, c'est l'Etat. »
En quelques mots, Sarkozy résume bien l'affaiblissement inédit de la décentralisation que représente cette réforme. Entre les 36 000 communes et l'Etat central, les régions et départements auront des compétences « attribuées ».
Les élections sénatoriales sont proches. Il faut flatter...
Un autre maire questionne le gel des dotations aux collectivités locales, et en particulier à l'encontre des communes rurales, fiscalement moins dynamiques. Il demande aussi une révision des règles de péréquation entre communes riches et pauvres. Sarkozy est laconique : « on ne peut pas toujours dépenser plus. On ne peut pas.» Sur la péréquation, Sarkozy annonce un grand chantier : « attendez vous à une sacrée bagarre. » Mais sur le gel, « je ne peux pas y revenir. On a tellement de déficits que nos notes seraient dégradées. » On l'avait compris. Que ne l'avait-il pas glissé plus tôt dans son argumentaire sur le monde qui bouge et qui est un village ?  Les agences de notations stressent le Monarque élyséen.
Un peu plus tard, Sarkozy s'évade. Il promet une simplification des lois. C'est drôle, ou triste, quand on se souvient de ses voeux aux parlementaires, quelques semaines auparavant, où il se félicitait du nombre record de 67 lois votées l'an passé. 
Débat encadré
Un autre maire s'alarme de l'affaiblissement des services publics, et notamment de la fermeture de classes ou de gendarmeries, ou de la distribution du courrier : « êtes vous prêt à renoncer à la destruction de centaines d'emplois publics programmés dans notre département cette année 2011 ? ». Sarkozy l'éconduit brutalement : « Non mais bien sûr... j'vais y répondre... Je ne reviendrai pas sur ce que j'ai dit et qui est un désaccord entre nous... Monsieur le Maire... » Et il enchaîne sur les regroupements de gendarmerie (« mieux vaut un gendarme en tournée qu'à attendre le chaland »), et la réforme de la carte judiciaire : « la justice de proximité, c'est pas d'avoir un tribunal dans sa ville, c'est d'avoir un jugement qu'on comprend dans des délais raisonnables. (...) Sur la santé, y a 69% des hôpitaux de France qui sont en déficit... C'est quand même des questions qui faut poser aux citoyens français !» La santé est-elle un coût ou une solidarité ? Avec la tarification à l'acte (depuis 2003), Sarkozy a choisi sa réponse, celle du Président des Riches.
« Vous m'dites qu'une lettre met 8 jours pour faire 2 kilomètres... Ecoutez... faites les deux kilomètres...» Une partie de la salle applaudit... Dans la salle, le maire ainsi interpellé ne peut répondre. Le micro lui a été retiré.
Sarkozy enfonce ses arguments, la télétransmission, le télétravail, le monde a changé, l'informatique « que nos enfants manient si bien »... « On ne va pas garder un tribunal avec son juge d'instruction... tout seul dans son bureau... et deux audiences la semaine.» Quel cliché inopérant ! De quelle justice parle-t-il ? Les tribunaux sont surchargés. « Si vous voulez qu'on investisse dans plus de TGV... vraiment... on ne ne peut garder le postier avec sa casquette au liseré jaune... vous savez... et qui dit 'mon métier c'est la poste et pas le service public'. Le service public c'est la polyvalence. (...) Il n'y a pas de désengagement de l'Etat.  » Sarkozy reste catégorique.
Un autre élu lui demande pourquoi n'a-t-il pas supprimé le numerus clausus de certaines professions encadrées tels les médecins, pharmaciens, notaires ou dentistes. « C'est un sujet très important... et très compliqué sur lequel il nous faut prendre des décisions rapidement. » commence-t-il par répondre. Premier blocage évoqué à toute réforme de ces professions électoralement favorables à la cause sarkozyenne, les 8 années et demi de formation des médecins généralistes passées à l'hôpital. « Un jeune qui a passé 8 années de formation à l'hôpital n'a qu'une seule envie c'est de continuer à l'hôpital. » Vraiment ? Quand Sarkozy n'enfonce pas des portes ouvertes, il balance des idioties.
Au final, cet exercice de communication politique fut assez étonnant, une formidable synthèse de l'action actuelle de Nicolas Sarkozy : peu d'annonces ni de promesses, un maigre bilan enrobé d'évidences, aucun débat contradictoire... Sarkozy est en campagne, mais tout seul.