“les pieds nickelés” : Picketty, Landais et Saez

Publié le 04 février 2011 par Jlhuss

… Ou le petit livre rouge : le retour …

Revoilà le petit livre rouge ! Seulement, modernité oblige, on a changé l’auteur, l’objectif et l’éditeur. Ne reste que la couverture ce qui n’est pas grave. Le concepteur est présentement réduit à l’état de momie et ses héritiers, occupés à réaliser la fusion dialectique du capitalisme financier et de la dictature du parti unique et néanmoins prolétarien, ont d’autres tigres (en papier) à fouetter.C’est ce qui a permis à Messieurs Picketty , Landais et Saez (car ils sont trois comme les Pieds Nickelés) de commettre un opuscule intitulé modestement « Pour une révolution fiscale ». Edité au Seuil, cet ouvrage qu’on peut se procurer pour la modeste somme de 12,50 €, promet à ses éventuels lecteurs qu’ils découvriront le moyen de mettre en place « une fiscalité, juste, simple et même compréhensible, le tout réalisé grâce à un site de simulation sur Internet » (1) ce qui est, on en conviendra, le fin du fin de la modernité.

Quand on apprend que l’idée principale est de fusionner la CSG et l’impôt sur le revenu et d’accentuer la progressivité de l’ensemble, tout en rendant la chose relativement indolore par l’instauration du prélèvement à la source, on se dit que Joseph Caillaux y avait déjà pensé et qu’en fait de révolutionnaires fiscaux on peut trouver plus actuel que les radicaux de la III° République. Ce retour vers le passé ne me gêne d’ailleurs nullement. Je suis plutôt d’accord avec ces propositions sauf dans sa partie prélèvement car je prétends qu’un citoyen doit savoir ce qu’il verse pour faire tourner la machine ce que le système actuel, qui privilégie l’impôt indirect et complique à plaisir l’impôt direct, ne permet en aucune manière.
Où les choses se compliquent c’est quand ces intéressants jeunes gens se lancent dans l’innovation ou prétendue telle. L’idée de supprimer le quotient familial  pour le remplacer par une allocation fixe ne date pas non plus d’hier. Des esprits aussi distingués que ceux de Messieurs Saez, Landais et Picketty, n’ignorent certainement pas que, sur cette question, le long terme de la raison démographique s’oppose au court et au moyen terme de la raison fiscale ce qui n’a pas permis, jusqu’à aujourd’hui, de trancher le débat avec assurance.
Il faut donc chercher ailleurs une idée neuve et, malheureusement, on finit par la trouver ce qui est d’autant plus aisé que Ribouldingue, Filochard et Croquignole (2) n’en sont pas peu fiers. Je résume soit deux contribuables touchant exactement le même salaire moyen dans une PME du centre de la France et doués tous deux d’une femme et de deux enfants de même âge. Pour la commodité de la démonstration et en hommage à Jean de la Fontaine le fabuliste bien connu, nous appelerons nos sujets, Monsieur Cigale et Monsieur Fourmi. Contrairement à ce que son nom peut laisser penser, Monsieur Cigale est quelqu’un de prévoyant.  Un plan d’épargne logement alimenté régulièrement au fil des années, grâce à une stricte gestion des ressources familiales, lui a permis d’acquérir un coquet pavillon, labellisé développement durable et basse consommation. Il vient de finir de rembourser le prêt souscrit au moment de l’achat. Son collègue, Monsieur Fourmi, a fait le choix de rester locataire ce qui était son droit le plus strict. Moyennant quoi, pendant que Monsieur Cigale partait en vacances quinze jours à La Chaux du Sauveur (Haute Saône), Fourmi découvrait les îles Seychelles (Océan Indien). Si l’ordinateur du second s’ornait d’une pomme entamée, le premier ahanait sur une machine d’origine aussi chinoise qu’incertaine et quand Madame Fourmi faisait les soldes à la Halle ou chez Farfouille, elle ne croisait jamais Madame Cigale occpée à la même activité mais dans des enseignes plus prestigieuses.
Résultat des courses : Au jour d’aujourd’hui, Monsieur Fourmi paie toujours son loyer (revalorisé annuellement comme le prévoit son contrat sur la base d’une formule qu’il serait trop long de recopier ici) et Monsieur Cigale NE PAIE PLUS RIEN. Justement révolté par cette injustice criante et pour rétablir la sainte égalité qui doit régner entre les citoyens d’une grande démocratie (patrie des Droits de l’Homme de surcroît) nos révolutionnaires fiscaux émettent une idée brillantissime. Puisque ces salopards de propriétaires occupent des  appartements et des maisons qui, certes, leur appartiennent, mais pour lesquels ils ne paient pas un fifrelin, ils proposent d’ajouter à la somme des revenus  déclarés au fisc par ces privilégiés, le loyer qu’ils devraient payer si leur logement ne leur appartenait pas.
On peut certes regretter que le trio n’ait pas osé pousser sa rréflexion jusqu’au bout. Pourquoi par exemple, ne pas avoir songé à ajouter à la déclaration des revenus, la différence entre le coût du transport domicile travail selon qu’il est réalisé en RER ou en Rolls Royce, ou encore les économies réalisées par un ménage qui se nourrit à domicile avec des aliments achetés et préparés par ses soins au lieu de fréquenter, comme il le pourrait, et peut-être le devrait, le trois étoiles Michelin le plus proche ?
Les Pieds Nickelés ont la réponse : Manque d’audace de politiques craignant pour leurs sièges. Je cite « Les principes sont bien inscrits dans les documents des Congrès, mais lorsqu’il s’agit d’aller aux élections, on n’en parle plus. (3) » C’est vrai quoi, en notre époque de virtualité triomphante, il ne fait aucun doute que les citoyens sont prêts à payer l’impôt sur des sommes dont ils n’ont jamais vu et ne verront jamais la couleur. Il existe d’ailleurs un moyen simple de le vérifier, il suffit à Croquignole, Ribouldingue et Filochard, pardon, à Messieurs Picketty, Saez et Landais de déposer leurs candidatures aux prochains scrutins législatif ou, pourquoi pas, présidentiel. Des propositions aussi convaincantes que celle que je viens d’exposer leur vaudront, n’en doutons pas, une élection triomphale, à la suite de quoi ils pourront, sans difficulté, imposer les réformes aussi ambitieuses que réalistes dont les paragraphes précédents ne donnent qu’une modeste et très imparfaite idée.
Du temps des Romains, deux astrologues ne pouvaient, disaient-on, se regarder sans rire. Aujourd’hui quand vous apercevez, à la sortie de la Bourse ou de Science-Po, deux individus qui, immédiatement après s’être croisés, se livrent à une hilarité incontrôlée, vous pouvez parier sans risque qu’il s’agit de deux économistes.

Chambolle

(1) Dans une interview parue dans le journal Marianne du 29 janvier dernier
(2) Pour ceux dont la mémoire défaille , ce sont les patronymes des Pieds Nickelés
(3) Dans l’interview  citée plus haut

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