Je me permets ici de rappeler la phrase qui promeut notre culture : « cette gastronomie relève d'une pratique sociale coutumière destinée à célébrer les moments les plus importants de la vie des individus et des groupes ».
Tout laisserait à croire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possible...
Peut-être qu'un jour, au musée, verra-t-on une reconstitution d'un repas à la française, telle la cène avec ses apôtres, et on pourra entendre les commentaires des badauds : « tu te rends compte, avant ils mangeaient tous ensembles autour d'une table. Et ils étaient capables d'y rester pendant plus d'une heure !?. Qu'est-ce qu'ils devaient s'ennuyer !!! ».
Lorsque je reçois des enfants, pour certains, c'est une découverte culinaire mais aussi un bouleversement dans leurs habitudes de vie, le repas redevenant partie intégrale du rythme de la journée comme un temps de repos (repas/repos, il n'y a qu'une lettre qui change). Quand on les interroge sur leurs habitudes à la maison, on s'aperçoit qu'ils ne mangent jamais en famille, c'est souvent un plateau télé avec de la « junk food » avec dans le moins pire des cas des pizzas et dans le pire des poches de chips, des bonbons, des gâteaux avec sodas.
Ce centre que je dirige appartient à une collectivité. Un jour, un élu m'a demandé ce que je pensais d'un self service... Je lui ai répondu que pour moi, il s'agissait de la négation de notre patrimoine. Aujourd'hui, je vais bien au-delà, ce n'est ni plus ni moins que la négation de ce qui nous a fait devenir des êtres humains. Je m'explique :
Que voulons-nous faire passer autour de cette organisation que l'on appelle self ? Avons-nous bien réfléchi aux implications morales et philosophiques de ses habitudes ? Que transmettons-nous aux enfants quand on leur demande de manger en un quart d'heure des plats en portions individuelles ?
Je reste convaincu que la distribution de la nourriture comme envisagée en self ou en fastfood est le produit fantasmé d'une vision mécanique et déshumanisante de notre société. On pourra gloser des heures sur les méthodes d'éducation, les rythmes scolaires, la semaine de 4 jours, etc. Tant qu'on ne mettra pas les repas et l'alimentation au centre des préoccupations de l'éducation, on s'éloignera de la culture et de la civilisation.
Alors OUI, le repas à la française est une coutume remarquable empreint de valeurs de partage et de transmission de savoir-vivre, et NON, il ne doit pas être rangé au rayon des curiosités au panthéon des cultures oubliées.
J. LURIE