Petites-maîtresses et Petits-maîtres.

Par Richard Le Menn

La mode française offre des surprises de taille. Voir passer rapidement devant ses yeux lors d'une vente une gravure peinte d'un Petit-maître représenté avec une grâce particulière laisse l'impression magique d’un monde à redécouvrir, pourtant proche de nous puisque faisant partie de notre patrimoine et si loin de ce que nous sommes aujourd’hui. La gravure de la Petite-maîtresse que je présente ici est beaucoup plus anodine. Elle est de la fin du XVIIIe siècle ; est intitulée Petite Maitresse en Robe à la Polonaise de toile peinte garnie de mousseline, lisant une lettre, et fait 19,5 x 28 cm (empreinte du cuivre).
Mais qu’entendons-nous par petites maîtresses et petits-maîtres ? Voici quelques définitions de l’époque :

PETIT-MAITRE.
- " On appelle ainsi un jeune homme, qui se distingue par un air avantageux, par un ton décisif, par des manières libres et étourdies. " Le Dictionnaire de l'Académie Français, 5ème Edition, 1798.
- " Jeune homme, qui se distingue par un air avantageux, par des manières libres et étourdies. L'origine de ce mot est le temps de la Fronde. "On avait appelé la cabale du Duc de Beaufort, celle des Importants, on appelait celle du Prince de Condé, le parti des Petits-Maîtres, parce qu'ils voulaient être les maîtres de l'État. Il n'est resté de tous ces troubles d'autres traces que ce nom de Petit-Maître, qu'on applique aujourd'hui à la jeunesse avantageuse et mal élevée. Siècle de Louis XIV. Un Petit-Maître, avec ses grimaces, est aussi loin du caractère d'un galant homme, qu'un faux dévot, avec son air sanctifié, est éloigné du caractère d'un homme véritablement religieux… Petite-maîtresse, femme, qui affecte les manières d'un petit-maitre. Celui-ci est plus nouveau, parce que le ridicule qu'il représente est devenu depuis quelques années plus outré et plus commun. " Féraud, Jean-François, Dictionaire critique de la langue française. Marseille, Mossy, 1787-1788.

PETITE-MAITRESSE.
- " Il se dit d'une femme qui, relativement à son âge, a les mêmes ridicules que le petit-maître a dans le sien. " Le Dictionnaire de l'Académie Français, 5ème Edition, 1798.

Comme c’est souvent le cas concernant les élégants maniérés, les témoignages qui nous restent sont surtout des caricatures ou des critiques (voir les Précieuses ridicules de Molière ou les gravures caricaturant les Merveilleuses et les Incroyables à la fin du XVIIIe siècle). Voici une de ces critiques sous la forme du chapitre IV (pp. 29-38) intitulé ‘Des Petits-Maîtres’ du livre de François-Antoine Chevrier (1721-1762) : Les Ridicules du siècle (Londres, 1752). Passages (l'orthographe a parfois été modifié mais pas la ponctuation) :" Un jeune homme avait jadis la réputation de Petit-Maître, lorsque mis magnifiquement il savait se présenter avec aisance, ses discours, sans êtres solides, n’étaient qu’extraordinaires, & ses sentiments partagés entre le goût du public & la façon de penser, avaient un air de vérité sous le voile de la fausseté la mieux marquée ; d’ailleurs plus indiscret qu’indécent dans le propos, livré par goût & par usage à ce ton équivoque, qui annonce moins l’esprit que le désir d’en afficher, sa conversation était une rapsodie de jeux de mots usés, & de réflexions plus libres qu’ingénieuses ; tel était le Petit-Maître du vieux temps […]. Le Petit-Maître du siècle est un homme qui joint à une figure avantageuse, un goût varié pour les ajustements ; amateur de la parure, il doit marier agréablement l’agrément avec la magnificence ; esclave de la mode & des préjugés du jour, il n’est point asservi à ces mots usés, follement consacrés parmi nous, sous les noms de raison & de vertu ; copie exacte de la femme du grand monde, s’il diffère d’elle, ce n’est que par un supplément d’extravagances & de ridicules ; jaloux de plaire sans être amoureux, il cherche moins à être heureux que la gloire de le paraître ; constant dans ses écarts, léger dans ses goûts, ridicule par raison, frivole par usage, indolent à flatter, ardent à tout anéantir, ennemi du public qu’il voudrait cependant captiver rien à ses yeux n’est supportable que lui-même ; encore craint-il quelquefois de se voir sensé, dans l’appréhension de se trouver moins aimable. […] Il ne faut pas se persuader qu’avec toutes les qualités que je viens de détailler dans ce chapitre instructif, on soit en droit de s’annoncer comme Petits-Maîtres ; il y a encore deux attributs indispensables à désirer, la naissance & la jeunesse. […] Les Grâces, Petites-Maîtresses, ne sont pas de ces douairières pesantes, qui forcées de marcher avec symétrie, ne parlent que le compas à la main ; la vivacité, tranchons le mot, l’étourderie est leur apanage : aussi volubile dans le jargon, qu’inconsidéré dans le propos, un Petit-Maître ne doit jamais réfléchir, & il faut qu’il déraisonne constamment plutôt qu’il s’expose à ennuyer une minute […]. Un Petit-Maître qui dans les commencements de ses prospérités a vu deux ou trois femmes de réputation, de ces femmes nées pour donner de l’éclat à un personnage même ordinaire ; cet homme devient dès-lors possesseur de toutes les beautés […]. "