Fillon à l'étranger, Sarkozy reste candidat

Publié le 14 février 2011 par Juan
Depuis sa piteuse prestation télévisée jeudi dernier sur TF1, Nicolas Sarkozy a repris son bâton de candidat. Il laisse Fillon s'occuper dans une tournée diplomatique au Moyen Orient, alors même que les pays arabes sont en ébullition après la chute de Ben Ali puis d'Hosni Moubarak. En France, la justice reste une question centrale. Un conseiller pris en flagrant délit d'impunité routière, deux proches perquisitionnés par la police, et un rapport de la Cour des Comptes cinglant sur l'arbitrage « Tapie » suffisent à rappeler que la République irréprochable est un concept bien dépassé.
Curieux partage des rôles
Le premier sondage est tombé, et il est mauvais. Selon une enquête Harris Interactive publiée samedi 12 février par Le Parisien/Aujourd'hui en France, Nicolas Sarkozy n'a pas été trouvé convaincant par 54% des Français interrogés ayant regardé l'émission. Même Laurence Parisot, la présidente du Medef, a été déçue. Sarkozy s'en fiche un peu. Il s'est gardé un agenda de candidat : visite en Savoie (vendredi), rencontre avec des élus de Guadeloupe (lundi), déplacement dans la Marne sur le thème de « la réindustrialisation des territoires » (mardi), salon de l'agriculture (samedi). Il lui était hors de question de perdre son temps à visiter des pays arabes.
Il a du coup laissé son premier ministre Fillon entamer une tournée du Moyen Orient (Arabie Saoudite puis Émirats arabes unis). Ce partage des rôles diplomatiques entre Fillon et Sarkozy est curieux. On croyait les affaires étrangères le domaine réservé de la Présidence, et un domaine particulièrement chéri par Nicolas Sarkozy depuis qu'il veut se présidentialiser.
Certes, Sarkozy a salué, vendredi,  « le moment historique que vit l'Égypte », ... mais avec précaution. Il ne faut pas exagérer. Moubarak était un ami voici encore quelques heures...  : « Après plusieurs semaines durant lesquelles le peuple égyptien a exprimé avec force et dignité sa volonté de changement, le Président Moubarak a décidé de mettre fin à ses fonctions de président de la République arabe d'Égypte. La France rend hommage à cette décision courageuse et nécessaire. » Et la Sarkofrance encourage le nouveau pouvoir et « les réformes qui feront de l'Égypte une société libre et pluraliste. » Les 18 jours de manifestations jusqu'à la fuite de Moubarak, vendredi 11 février, ont fait quelques 300 morts. La décision de Moubarak serait donc « courageuse » pour Nicolas Sarkozy...
Certes, Sarkozy se préoccupe du G20. Samedi, la Présidence de la République a ainsi fait savoir que la France invitait 5 pays non membres du G20 (Émirats Arabes Unis, Espagne, Éthiopie, Singapour, Guinée Équatoriale) au prochain sommet du G20 à Cannes ... les 3 et 4 novembre prochains. Quelle urgence y-avait-il à annoncer la composition d'un sommet international avec 6 mois d'avance ? Et vendredi, le Monarque recevra les ministres des Finances des Etats membres du G20 à l'Elysée. Mais pour le reste, c'est bien Fillon qui visite le Moyen Orient alors que les pays arabes sont secoués par des émeutes sociales et politiques.
Samedi, le premier ministre venait ainsi à peine d'arriver en Arabie Saoudite qu'il devait commenter la fuite d'Hosni Moubarak. François Fillon, qui voyageait en famille aux frais des contribuables égyptiens voici deux mois, a délivré un vibrant hommage au dictateur déchu, en expliquant que « c’est aux Egyptiens qu’il revient d’apprécier l’action de Hosni Moubarak et la trace qu’il laissera dans l’histoire de son pays. Mais personne ne pourra contester la contribution qu’il a apportée à la cause de la paix dans la région.»
Dimanche, le premier ministre était à Abou Dhabi. La France y a installé une base militaire en 2008. Fillon a inauguré dimanche une luxeuse annexe émiratie de la Sorbonne, un campus flambant neuf entièrement financé par des fonds locaux dont des esprits grincheux (i.e. le Canard Enchaîné) ont critiqué le mercantilisme (profs surpayés, contrôles des diplômes inexistants, etc). « Je m'étonne que certains, en France, aient voulu dénoncé la compromission du savoir dans une démarche mercantile. L'enjeu n'était vraiment pas là. la France doit être fière d'avoir créé avec ses partenaires émiratis une institution dont l'ambition fondamentale est de contribuer au dialogue des cultures.» Autrement dit, on n'a certes pas été très regardant sur les conditions d'exploitation universitaires, mais c'est pour le dialogue entre les cultures !
Justice des Riches
En France, l'actualité est toujours du côté des affaires, les mauvaises, petites ou grandes, qui dérangent l'image factice d'un Président irréprochable. Pendant que Sarkozy se préparait pour sa rencontre télévisuelle sur TF1, l'un de ses proches était entendu par la police. On ne l'appris que le lendemain. Les affaires Woerth, Bettencourt, Karachi ou Wildenstein furent totalement oubliées pendant ses quelques heures de monologue sarkozyen sur TF1.
Ancien conseiller de Nicolas Sarkozy pour la justice, Patrick Ouart a été interrogé jeudi à Paris, comme simple témoin, par la brigade financière dans le cadre de l'affaire Bettencourt. Son domicile comme ses bureaux du groupe de luxe LVMH dont il est conseiller depuis qu'il a quitté l'Elysée fin 2009, ont été perquisitionnés. Les enregistrements pirates des conversations entre Liliane Bettencourt et son gestionnaire de fortune laissaient entendre que Ouart était intervenu dans le cours de l'enquête judiciaire, notamment auprès du procureur Philippe Courroye afin que ce dernier déboute François Bettencourt de sa plainte.
Eric Woerth, autre protagoniste incontournable de l'affaire éponyme, a lui aussi vu son domicile perquisitionné par la police. Là aussi, la nouvelle n'est tombée que le lendemain de l'intervention présidentielle.
Ces deux auditions ont été demandées par les nouveaux juges bordelais qui ont repris l'affaire.
Vendredi, Marianne2.fr publiait un document explosif, dont l'existence avait été révélée le matin même par les Echos : la Cour des Comptes, dans un référé adressé au président de la Commission des finances de l'Assemblée nationale, que la procédure arbitrale qui permit de verser 285 millions d'euros d'indemnités à l'homme d'affaires Bernard Tapie dans le règlement de son litige avec le Crédit Lyonnais était ... illégale : « sur le dossier Tapie/Adidas les dysfonctionnements ont été caractérisés. » Pour mémoire, les avocats de Tapie avaient demandé, en janvier 2007, un arbitrage. L'ancien radical de gauche Tapie venait d'apporter son soutien à Nicolas Sarkozy contre Ségolène Royal. Dix-huit mois plus tard, Tapie obtenait gain de cause, touchant 240 millions d'euros d'indemnités du Crédit Lyonnais, 105 millions d'euros d'intérêts,  et 45 millions au titre du préjudice moral. Arriérés d'impôts déduits, il restait 285 millions d'euros. La Cour des comptes réfute la possibilité d'un tel arbitrage décidé par le pouvoir exécutif sans recours à la loi, c'est-à-dire l'accord du Parlement.
« En raison d’une contrainte d’agenda de la présidence de la République, la conférence de presse sur le Rapport public annuel 2011, initialement prévue le mardi 8 février à 12h30 » a du être reportée au 17 février 2011. Le communiqué de presse de la Cour est explicite sur la cause du report : Sarkozy n'était plus disponible. Qu'avait-il donc à faire ? Le 8 février, Sarkozy clôturait un colloque sur la dépendance, au conseil économique et social. C'est la seule activité officielle qu'on lui connait. En fait, le candidat Sarkozy ne voulait surtout pas que cette publication, quarante-huit heures avant sa prestation télévisée, ne perturbe une actualité critique déjà très chargée.
Pour achever ce triste tableau, mentionnons enfin la petite affaire Marleix : Olivier Marleix est maire d'Anet et vice-président du conseil général d'Eure-et-Loire. Il est aussi fils d'Alain Marleix, le secrétaire d'Etat au redécoupage électorale. Il est surtout conseiller à l'Elysée. C'est au volant d'une voiture de la Présidence de la République qu'il a été contrôlé à 119 km/heures, contre 70 autorisés, le 28 janvier dernier sur une route départementale. Le conseiller de Nicolas Sarkozy a échappé à toute sanction (retraits de points, rétention du véhicule, amendes) car il s'est prévalu auprès des gendarmes de ses importantes fonctions officielles...
Après la note sur les voyages, Sarkozy va-t-il publier de nouvelles consignes concernant les excès de vitesse et l'utilisation du parc automobile présidentiel ?