Comment bien Cassez la diplomatie franco-mexicaine

Publié le 14 février 2011 par Copeau @Contrepoints

Il y avait longtemps que le Capitaine Blâme n’avait plus sévi. Cette fois-ci, si l’acteur a changé, le personnage, lui, est toujours vivace et son peps naturel pour déclencher une catastrophe ne s’est pas éteint : grâce à la vigoureuse action présidentielle, le cas Florence Cassez s’est transformé en crise diplomatique franco-mexicaine…

L’affaire Cassez, pour rappel, est celle dans laquelle les autorités mexicaines ont appréhendé Florence Cassez et son ami Israel Vallarta Cisneros, chef de la bande criminelle connue sous le nom de « Los Zodíacos », et qui venaient de séquestrer plusieurs personnes.

Cette affaire est, quand on l’étudie quelque peu, un concentré chimiquement pur de tout ce que la France peut produire de pignouferie, concentré à l’extrême dans une crème épaisse et sirupeuse dont vont s’oindre généreusement les médias franchouille, au milieu d’une danse tribale qu’ils savent si bien effectuer pour appeler à eux la clémence des éléments ou du Dieu Etat en lequel ils croient tous si benoîtement.

En pratique, comme le fait remarquer Thierry Desjardin dans un fort bon billet, tout montre que l’intervention de Sarkozy aura nettement compliqué la situation de la Française : alors qu’avant toute médiatisation à outrance, il existait peut-être une possibilité qu’elle soit rapatriée et incarcérée en France, dès que le président Français a montré ses petits bras musclés, la situation s’est immédiatement crispée.

Pire : la situation diplomatique est maintenant tendue comme un fil dentaire à la chasse d’une vilaine occlusion alimentaire. Mais la pignouferie ne s’arrête pas là, en réalité. On peut en effet compter plusieurs niveaux que le citoyen français lambda, normalement doué, pourra trouver plus qu’agaçant dans la façon dont son pays s’est, encore une fois, fourré dans une situation équivoque.

Au niveau de la presse, on peut facilement décerner un Grand Pignouf Award pour le traitement exemplaire dans sa partialité et les approximations dans lesquels nos médias se sont confortablement vautrés : ils ont maintenant pris fait et cause pour la pauvrette méchamment accusée par des Mexicains mal rasés qu’on imagine sans mal avinés et grossiers, à mi-chemin entre une sieste sous un grand chapeau à bords larges et une mauvaise cuite nocturne à base de bière de contrebande.

Force est de constater, en effet, que les témoignages des victimes n’y sont pas légions. Il est pour ainsi dire impossible d’y trouver, en Français, les explications que les personnes qui furent kidnappées n’ont pourtant pas rechigné à fournir. Ni, d’ailleurs, les lettres que ces victimes écrivirent à différents médias mexicains.

En fouillant, on en trouve cependant, et il est facile d’en livrer la traduction :

Mon nom est Cristina Rios Valladares. J’ai été victime d’une prise d’otage, aux cotés de mon époux Raul et de mon fils qui avait 11 ans. Depuis ce jour notre vie a totalement changée… Ma famille est détruite. Ce que mon fils et moi avons vécu, du 19 octobre 2005 au 9 décembre de la même année, est indescriptible : 52 jours de captivité pendant lesquelles je fus victime d’abus sexuels et, avec mon enfant, de torture psychologique…

Depuis notre libération, ma famille et moi nous vivons à l’étranger. Nous ne pouvons pas revenir à cause de la peur, car le reste de la bande n’a pas été arrêté… Nous avons appris la nouvelle de la peine de prison que Florence Cassez méritait, cette femme dont j’avais écouté la voix à de maintes reprises pendant ma captivité… Une voix d’origine française qui bourdonne encore aujourd’hui dans mes oreilles. Une voix que mon fils reconnaît comme celle de la femme qui lui pris du sang pour l’envoyer à mon époux, avec une oreille qui lui ferait penser qu’elle appartenait à son fils.

Maintenant j’apprends que Florence réclame justice et clame son innocence. Et moi j’entends dans ces cris la voix de la femme qui, jalouse et furieuse, hurlait sur Israel Vallarta, son petit ami et chef de la bande, que s’il recommençait à s’approcher de moi, elle se vengerait sur ma personne. Florence raconte “le calvaire” de la prison, mais elle voit sa famille dans le pénitencier, elle émet des appels téléphoniques, elle réalise des interviews pour la presse et elle ne craint pas chaque seconde pour sa vie.

Je ne détaillerai pas ce qu’est un véritable enfer, c’est-à-dire, une prise d’otage. Ni ma famille ni moi n’avons d’envie, ni de force pour faire une campagne médiatique, diplomatique et politique (comme celle que sa famille est en train de réaliser) pour permettre au gouvernement français, à la presse nationale et internationale d’écouter l’autre version, c’est-à-dire, celle de la parole des victimes de la bande à laquelle appartenait Mademoiselle Cassez.

Florence qui est une preneuse d’otage et non pas seulement la petite amie d’un preneur d’otage (avec lequel elle vivait dans un ranch au moment de la captivité de mon fils et moi), l’idée qu’elle puisse apparaître comme une victime et qu’elle lutte pour qu’on modifie sa condamnation. Si elle y arrive ou non, ce n’est pas à nous d’en juger, bien que cela continue à nous blesser.

Cette lettre est uniquement pour nous soulager. L’affaire est aux mains de la justice mexicaine. Nous n’interviendront plus publiquement, nous ne donnerons plus d’interviews à la presse (notre indignation nous à pousser à en concéder quelques une), nous utilisons et utiliserons toute notre énergie pour protéger l’intégrité de notre famille et dans le but de nous guérir du mal qu’ils nous ont fait. La nouvelle effervescence que ravive l’appel de la condamnation et le remous médiatique qu’il provoque nous met de nouveau en danger.

Merci pour votre attention.

À ce point du billet, notez que je ne me prononce pas, d’aucune manière, favorable ou hostile à l’innocence de la Française. Mais je continue de persister à penser que le travail de la presse nationale est particulièrement miteux.

En effet, même en imaginant que les rédactions françaises ont décidé d’écarter les témoignages des victimes pour l’une ou l’autre raison — on ne sera pas surpris : les victimes, en France, intéressent généralement peu les médias — on peut quand même noter qu’aucun organe ne fait la remarque pourtant évidente que le barouf médiatique et les gesticulations diplomatiques électriques de Sarkozy ne font absolument rien pour aider le cas Cassez.

Diplomatiquement, cela revient à tordre le bras des Mexicains, à bafouer leurs institutions. Par contraste, cela revient aussi à dire que seuls nos fiers journalistes français seraient capables de mener à bien une enquête profonde et complète, ce qui est du plus haut comique quand on connaît leur passif sur les dernières décennies, tant en matière d’enquête qu’en matière de profondeur…

Et on aurait tort de s’arrêter là : il est ainsi particulièrement piquant de constater toute l’incohérence de la position des démocrates en promo qui réclament à cors et à cris l’indépendance de la justice au pouvoir exécutif (on en a vu plusieurs illustrations fort récemment) mais qui dans le même temps réclament, dans la plus parfaite décontraction qui sied aux simples d’esprits, que ce même pouvoir exécutif, par la voie diplomatique, interfère grossièrement dans la justice des autres pays.

Belle mentalité, beau deux poids / deux mesures.

En réalité, on assiste encore une fois à cette magnifique arrogance typiquement franco-française d’une « élite » qui mérite largement les paires de baffes et le mépris de plus en plus ouvert que les populations d’une certaine quantité de pays affichent à son égard.

Les échecs cuisants et répétés de la France lorsqu’elle tente de fourguer son TGV, ses Rafales et tous ses joujoux coûteux ne sont d’ailleurs pas étrangers à cette triste réalité : par exemple, les Américains du Sud ne supportent plus l’attitude hautaine des dirigeants Français, Sarkozy en tête. Les Colombiens, depuis ses pantomimes ridicules pour sauver Ingrid Bétencourt, l’idiote obstinée, ont clairement une dent contre lui. Quant aux Tchadiens, je crois qu’on peut dire qu’ils conserveront un souvenir ému des tractations diplomatiques foireuses pour exfiltrer les membres de l’Arche de Zoé…

Enfin, comme le remarque Lucilio dans son dernier article, il est tout de même assez fort de café que la France, phare éternel de la rectitude droidelhommiste, se permette d’aller interpeller les Mexicains sur leur façon de rendre justice, par la voix d’une Alliot-Marie commodément remontée, alors que cette même voix a proféré d’éléphantesques sottises concernant la Tunisie, ou que sa diplomatie a plutôt brillé par son inexistence concernant l’Egypte.

Enfin, un pays qui fricote, sur une base régulière, avec des dictateurs notoire n’a absolument aucune espèce de leçon à donner à qui que ce soit, et surtout pas en matière de justice, alors que, dans le même temps, sa propre justice est en pleine ébullition.

L’affaire Florence Cassez, en fait, est un véritable révélateur de ce que la France compte de plus minable.
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