Justine Lévy ou le sacré coup de cafard

Publié le 16 février 2011 par Lheretique

J'ai pour habitude de lire plusieurs livres en même temps. Parallèlement à mes lectures balzaciennes ou hegeliennes, j'ai achevé Rien de grave de Justine Lévy et je suis bien avancé dans son Mauvaise fille. Mauvaise fille ? Mauvaise mère, plutôt, oui...

Dans une écriture volontairement naïve, elle relate les derniers mois d'existence de sa mère, simultanément à sa grossesse. Les deux livres m'ont intéressé sous plusieurs aspects.

Le premier d'entre eux est sociologique : il révèle les turpitudes, les a priori et les passe-droits de cette petite société effervescente que consituent tous ces intellectuels engagés, à droite ou à gauche, des années 70 jusqu'à nos jours. Des gens qui donnent des leçons et veulent refaire le monde, mais ne sont pas foutus de s'occuper correctement de leur fille au jour le jour...Que l'on songe donc : quoi penser d'une mère qui laisse se promener sa fille toute seule à 5 ans dans la rue ou encore la confie à deux copines camées pendant 48 heures, la réduisant à n'avoir pour toute pitance que des tartines qu'elle a elle-même recouvertes de sel ?

J'ai beaucoup de respect pour la relation que Bernard Henri-Lévy entretient avec sa fille. Il l'aime vraiment, et surtout, il s'en est vraiment occupé. J'ai été très touché par ses inquiétudes et la tendresse qu'il manifeste à sa fille depuis toujours. Mais bon, il fait aussi quelques belles c.....eries plus jeune, comme engager un braqueur italien comme baby-sitter pour Justine afin de l'exfillter, vraisemblablement au nom d'une amitié politique.

Si on ajoute à cela l'atmopshère omni-présente de shoot, de drogues, de coke, de canabis, de médocs de toute sorte dans laquelle flotte Justine et pendant son enfance, et pendant son adolescence, ce paraître à tout prix qui met presqu'à égalité le show-bizz, les grands noms de la médecine et nos élites intellectuelles, on a un sale portrait de ceux qui prétendent tenir le haut du pavé. 

Justine, elle le dit d'ailleurs, aurait rêvé d'une vie simple et normée. Avec des limites. Qu'on la réveille à l'heure pour partir à l'école, qu'on lui interdise les aliments qu'on aurait du lui interdire, qu'on aille la chercher à l'école, des vacances en famille, des choses simples, en somme.

Le pauvre BHL : il a tout de même drôlement servi de tiroir-caisse, si l'on considère toutes les sinuosités des parcours de sa première épouse ou même de sa fille.

J'ai toujours une sorte de gêne à lire le mot fauché dans le récit de Justine Lévy. Elle a été fauchée, sa mère a été fauchée, son compagnon aussi a été fauché, mais ils partent à Rome, fréquentent la haute société, disposent de passe-droits, bref, des choses qui, une fois de plus, ne manqueront pas d'énerver passablement le petit peuple, ou plus simplement, à chaque strate de la société, la base qui ne dispose d'aucun privilège particulier.

Ça, c'est pour l'aspect sociologique.

L'aspect humain, maintenant.

Là, j'ai les boules. Dans Rien de grave, je voyais Raphaël (je ne me souviens plus du nom qu'elle lui donne) comme un intrigant, prétentieux et égocentrique. Mais finalement, il me restait de la lecture du livre une vague touche d'espoir.

Je n'ai pas encore fini Mauvaise fille, mais cela réveille vraiment toutes les angoisses dormantes. Saloperie de cancer. Crever à petit feu d'un cancer inéluctable et sans rémission, entouré de médecins soit brusques, soit lénifiants, soit arrogants parce qu'ils ont un nom et une réputation, c'est en-dessous de glauque et cauchemardesque. Selon Justine Lévy, une personne sur dix sera atteinte au cours de sa vie d'un cancer. Elle ne doit pas être loin de la réalité. Mais l'univers qu'elle dévoile fait froid dans le dos. Agoniser des semaines au milieu des râles d'agonie de ceux qui crèvent à côté de vous. Bon sang, pas d'acharnement thérapeutique, m...., la dose de morphine forte, svp, très forte, s'il faut en arriver là un jour. 

Reste la relation de Justine Lévy avec sa mère. En fait, je dirais plutôt que c'est la relation de Justine avec sa propre culpabilité. Il y a un passif entre Justine et sa mère. Sa mère ne s'est pas occupée d'elle quand elle était petite, au moment où il eût fallu qu'elle se comporte en adulte et non en adolescente écervelée. Des liens ne se sont pas créés, si ce n'est ceux de l'amertume ; il ne reste donc que ceux de la convention, et, une vague complicité. Alors Justine s'en veut de ne pas éprouver de sentiments face à la déchéance de sa mère. En fait, elle se trompe. Ce qu'elle n'éprouve pas, c'est le déchirement qu'une fille peut ressentir à la disparition d'une mère, mais elle n'en éprouve pas moins quelque chose. La preuve éclatante en est la culpabilité qui l'envahit : cette culpabilité n'est pas tournée vers le regard d'autrui, mais entièrement vers sa mère ; à preuve  le récit des défaillances de sa mère pour se disculper. Justine avait des comptes à régler avec sa mère. En fait, sa mère avait des comptes à lui rendre, plutôt. Mais parce que Justine est une émotive introvertie et timide, elle n'a jamais osé présenter l'addition. Peut-être par peur, peut-être aussi parce qu'elle a tablé, dès le départ, sur le fait que sa mère ne comprendait de toutes façons pas ses griefs.

Sa mère : personnage typique de ces extra-punitifs libertaires des années 70. Jamais leur faute. Jamais de leur responsabilité. Ils ont toujours eu raison et fait pour le mieux, à leurs yeux, du moins. Que des certitudes. Un manequin longtemps habituée à ce qu'on la regarde. Paradoxalement, Justine aura voulu la protéger jusqu'au bout, étouffant les quolibets dégueulasses de petits merdeux sur une plage, serrant le cou de la bonhommie méprisante d'un grand nom de la médecine, donnant assurances sur assurances à sa mère pour lui éviter de désastreuses désillusions.

Justine se reproche de ne pas avoir aimé sa mère comme elle eût voulu l'aimer, mais, son vrai problème, n'est-ce pas plutôt de ne pas s'être avouée qu'elle l'aimait vraiment, en dépit de toutes ses défaillances, parce qu'elle restait sa mère ? Une relation affective qui n'avait pas la force affective de celle qui la lie à son père, certes, mais une relation qui existait. Ce qu'elle a eu du mal à admettre, par exemple, c'est que l'on peut ne pas avoir envie de voir sa mère, qu'on peut s'ennuyer profondément en lui rendant visite à l'hôpital, et pourtant l'aimer. 

Être une mauvaise fille, Justine, c'est presqu'aussi difficile que d'avoir une mauvaise mère...

J'aime l'écriture de Justine Lévy, même si j'ai été au départ dérangé par sa syntaxe hachée et ses ruptures de construction incessantes. Elle a quelque chose. Son témoignage a le caractère d'une authenticité exceptionnelle. Il n'y a rien de faux  ni de fictif dans ce qu'elle écrit. Peut-être de la reconstruction, mais inconsciente et sincère. Décidément, les mères...après celle de Félix puis d'Henriette, je n'ai pas fini d'en parler ici...