La révolution du Nil

Publié le 17 février 2011 par Alex75

 

Basculement récent en Egypte, la pression populaire a finalement eu raison du président égyptien, qui a quitté le Caire. L’Egypte vit ainsi ses premiers jours sans Moubarak, au pouvoir depuis 1981. Un départ et une démission qui ont donné lieu à des scènes de liesse dans les rues de la capitale et dans tout le pays, une foule euphorique célébrant cette « révolution du Nil », comme on la baptise désormais. Dans l’Egypte post-Moubarak, c’est l’armée qui assure provisoirement la transition politique. Mais à l’aune de ces bouleversements inédits, cinq jours après le départ de Moubarak, de nombreuses questions restent aussi en suspens.

Bien-sûr, personne ne peut jouer au prophète, et y aller de son pronostic avec détermination. Dans les faits d’abord, Hosni Moubarak, incarnait le régime, mais également l’armée. Et c’est d’ailleurs l’armée, qui avait repris les rênes du pouvoir dès le début. Moubarak a ainsi été contraint de nommer vice-président le général Omar Suleiman, chef des services de renseignements. Le président Moubarak était par ailleurs, très usé par l’âge et la maladie, et il n’était plus tout à fait présent. C’était le premier ministre, qui s’occupait des affaires courantes. Ce n’était ainsi plus Moubarak qui gérait la crise, à proprement parler. Mais la lassitude - légitime et compréhensible -, l’exaspération même à son encontre étaient telles, qu’il a été poussé à la sortie et lâché par l’armée. Mais la transition démocratique sera-t-elle si aisée. Car il reste de nombreuses zones grises, le chemin vers la démocratie étant semé d’embûches. En effet, les anciennes méthodes ont la vie dure, dans un pays où le parti unique au pouvoir avait l'habitude de truquer les élections, et où la corruption, les pots de vin, ont toujours été la norme.

C’est un énorme défi et un énorme espoir, pour l’ensemble des peuples du monde arabe. Une profonde aspiration libertaire - liberté d’expression, liberté de la presse -, s’est ainsi manifestée. Mais l’Egypte n’est pas la Tunisie, ni l’Algérie. C’est un pays beaucoup plus important, beaucoup plus peuplé aussi. L’Egypte n’a pas achevé sa transition démographique. C’est un pays surpeuplé, et comptant près de trente millions d’illettrés dans les campagnes, suivant aveuglément leur imam et les frères musulmans. Et la querelle autour des droits de l’homme, de la démocratie, ne peut s’abstraire de ce contexte. La démocratie libérale nécessite une évolution intellectuelle et politique, s’inscrivant en-dehors des dogmes religieux, cheminement qu’a suivi la France au XVIIIe. L’annonce de la suspension de la Constitution et de la dissolution du parlement - certes symbolique - a été bien accueillie. L’organisation d’une “grande marche de la victoire” est programmée vendredi, au Caire. Et chaque geste ou annonce du Conseil suprême des forces armées, assurant l’intermède, est scruté avec attention par les Egyptiens, semblant prêts à redescendre dans la rue pour protéger les acquis durement arrachés. L’évolution politique des prochains mois, sera ainsi lourde de conséquences sur le plan de la stabilité intérieure, face à une révolte populaire qui couve toujours sous la braise. Les enjeux de cette transition sont importants également sur le plan diplomatique, l’Egypte ayant toujours joué un rôle clef depuis Sadate, dans le processus de paix israélo-palestinien et la tenue des négociations dans la région. Car cette paix est une paix froide, remontant à 78 - 79, et il n’y a pas eu de normalisation. Et il est certain que l’on assistait depuis 2005, à une remontée en Egypte, de ceux qui ne veulent pas entendre parler de ces accords de paix.

On compare avec raison, ces révolutions dans le monde arabe, aux printemps des peuples de 1848 en Europe. En effet, même contagion d’une ville à l’autre et même soif de liberté. Mais dans l’angélisme ambiant, faisons preuve de prudence. Car c’est oublié aussi, que toutes les révolutions de 1848 ont échoué, et ont toutes débouchées sur des régimes férocement réactionnaires…

   J. D.