Dircom, un métier qui se transforme (8) Note sur le paradoxe de la cogestion (surtout, ne montrez pas l'exemple)

Publié le 18 février 2011 par Olivier Beaunay

Que la communication soit d'abord un métier attaché à développer les relations par l'écoute, c'est tout sauf évident. Et cela pour une raison simple : de la même manière que l'ingénieur est fasciné par les objets techniques, le dircom (quoi qu'on en dise des "capitaines analphabètes") aime les mots. De son point de vue, dire quelque chose est toujours préférable à ne rien dire. Tout sauf le silence, qui vaut pour lui (surtout en début de carrière) reconnaissance d'une défaite ou aveu de faiblesse.

Je me souviens ainsi au plus fort d'une crise politique dans laquelle, il y a de cela plusieurs années, mon entreprise se trouvait jour après jour jetée en pâture à l'opinion publique avoir longuement tenté de convaincre au téléphone le président du groupe d'intervenir comme invité du journal télévisé local lors de sa prochaine visite. Ce fut un beau combat (dont je n'avais pas conscience qu'il était perdu d'avance) et qui me semble surtout, rétrospectivement, lui avoir permis de jauger ce que j'avais dans le ventre sur ces questions sérieusement emberlificotées - et vice-versa d'ailleurs, si j'en juge par quelques expressions fleuries utilisées au cours de cet entretien.

En bref, il y a des sujets qui sont de conviction autant que de raison, mais aussi des circonstances dans lesquelles l'effacement est préférable à l'apparition. Une communication de terrain patiente, qui construit les conditions d'un dialogue raisonnable, vaut alors bien mieux qu'une apparition médiatique sans lendemain, qui peut même avoir pour effet principal de donner du grain à moudre - et une cible à écumer - à des opposants qui ont les coudées plus franches (1).

Hors crises, cette relation entre l'écoute et la construction du groupe présente une difficulté qui, pour être moins intense, n'en est pas moins réelle. Le groupe a certes besoin d'une parole pour se retrouver (et ce n'est pas là la moindre des considérations pour une entreprise de taille significative attaquée avec virulence dans la presse) ; mais il a aussi besoin d'une écoute pour s'engager. Or, comment quelqu'un qui aime par vocation occuper l'espace de la parole peut-il aider ce processus d'intégration ?

L'inspiration pourrait venir en la matière de l'univers de la musique. Dans un atelier récent consacré au personal branding et à l'influence, Pierre-Michel Durand, chef d'orchestre de l'ensemble Prométhée, lance ainsi l'idée que construire un ensemble harmonieux, composé qui plus est de personnalités fortes et talentueuses, passe pour l'essentiel par un accompagnement plus que par une direction au sens autoritaire du terme. Son idée centrale pour transformer les individus en membres d'un groupe, c'est de faire émerger la conscience de la supériorité du groupe sur les individus qui le composent, de leur faire sentir en posant le son souhaité sur la production de l'orchestre, qu'ils participent à quelque chose de plus grand que chacun d'entre eux pris individuellement.

Or, et Durand insiste là-dessus, il s'agit de faire passer cette idée en peu de mots. En somme, pour que le collectif se crée et que la parole porte, il faut aussi savoir se taire. Fantaisiste ? Essayez de vous souvenir de deux responsables avec lesquels vous avez travaillé, l'un sachant tout sur tout et occupant tout l'espace, l'autre plus à l'écoute et faisant progressivement émerger une position qui reflète le groupe et en même temps le met en tension vers quelque chose à accomplir. Le premier suscite un respect teinté d'agacement, le second produit un engagement pénétré du sens des responsabilités qu'il vous refile - moins spectaculaire, mais plus puissant.

De l'art de l'écoute, on en vient ainsi à la question de la cogestion. Pour nombre de managers, le terme même apparaîtrait presque comme un aveu d'impuissance. Les plus placides composent tant bien que mal, les plus énergiques tentent d'inverser la tendance. Rares sont ceux qui l'utilisent efficacement. Il n'est pas inintéressant d'écouter de nouveau Claude Onesta là-dessus, au retour d'un quatrième titre de champion du monde de handball obtenu en Suède fin janvier.

Que le dit le coach de l'équipe de France de handball ? Qu'il a progressivement renoncé à imposer une stratégie à ses joueurs. Au départ, cela n'a rien à voir avec une quelconque théorie managériale en vogue. Onesta état simplement agacé, après chaque défaite, de voir tel ou tel joueur refaire dans la presse la stratégie qui aurait été gagnante... Résultat ? "Nous sommes passés à la cogestion : ils participent au programme de préparation, à l'analyse et à la tactique de jeu. Ce n'est pas facile de laisser empiéter sur sa zone d'autorité. Mais c'est un deal de responsabilité : je te fais confiance, à toi de me prouver que tu as raison. Du coup, quand ça sent mauvais, ils préféreront combattre plutôt que de se planquer"...

On ne saurait être plus clair : à l'apparent abandon de pouvoir personnel correspond une responsabilisation collective accrue. Ce que confirme à sa manière Luc Albert lorsqu'il lance à une assemblée de dircoms héberlués (moi le premier) : "surtout, ne montrez pas l'exemple !" Parce que montrer l'exemple, c'est occuper l'espace qui doit idéalement être occupé par les autres. Cela revient à créer une sorte d'équilibre subtil entre la force et le retrait, la direction et la composition - ce qu'Herbemont et César ont appelé "le projet latéral" et qui consiste à laisser de l'espace aux autres pour qu'ils rentrent dans un projet qui devient du coup aussi le leur et qui, partant, n'est plus tout à fait le vôtre, ce qui fait une différence notable entre manipulation et intelligence collective.

Voilà qui, après la passion et la relation, nous mène tout droit au troisième des fondamentaux du métier : la transformation.

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(1) En énonçant cette règle empirique, je pense immédiatement à une exception notable sur un sujet dont j'ai d'ailleurs eu à traiter antérieurement en tant que diplomate et qui me parait singulière à un double égard : vis-à-vis de la culture de la communication qui prévalait précédemment dans le même groupe et vis-à-vis de l'attitude généralement plus réservée qui prédomine dans l'industrie. Il s'agit de l'implication personnelle forte qu'a montrée Christophe de Margerie lorsque Total s'est de nouveau trouvé attaqué, il y a un an ou deux, sur la question de ses activités en Birmanie à la suite notamment d'une prise de position publique anti-Total de Jane Birkin. Il y eu là-dessus un choix délibéré, de raison aussi bien que d'affect, de s'engager personnellement sur un terrain qui pouvait pourtant paraître perdu d'avance en termes d'image. Or je crois précisément que si la stratégie s'est révélée payante (autant que je me souvienne, la polémique ne s'est guère éternisée en effet), c'est qu'elle a moins procédé d'une stratégie en chambre laborieuse que d'un engagement personnel fort.

Une leçon à méditer en tout état de cause, même s'il faut bien sûr soigneusement choisir ses combats en la matière  compte tenu du caractère de dernier recours dont procède une défense comme celle-ci. Un peu à la manière d'un gardien de but qui ne sort de sa surface de réparation que lorsqu'il y a nécessité absolue de le faire - ce qui amène au passage un constat et une question : 1°) tous les gardiens de but ne sont pas capables de le faire ; 2°) quel est au juste le territoire du gardien de but : la surface de réparation ou le terrain lui-même ? La réponse que l'on apporte à cette question ne porte pas du tout la même conception du champ d'intervention de l'entreprise et de sa politique de communication. Elle donne aussi, accessoirement, des profils de gardiens de but sensiblement différents.