Ces vacances ministérielles et faux pas diplomatiques

Publié le 22 février 2011 par Alex75

 

La diplomatie française et notre classe politique franchissent des trous d'air, à l'heure actuelle. Le quotidien “Libération” ou encore l'hebdomadaire “Marianne” y consacraient récemment leur une. Les médias font leurs choux gras des dernières polémiques sur les vacances de nos ministres, et un lien est ainsi établi entre les mauvais sondages et les bourdes ou faux pas diplomatiques. La diplomatie hexagonale traverse l'une de ses périodes, où elle semble décidemment accumuler les mauvais choix, les contradictions et les mauvais réflexes, de la Tunisie à l’Egypte, en passant par le Mexique ou le G20. Et ce qui mérite également une réflexion plus approfondie.

Je passerai rapidement sur cette affaire mexicaine, qui relève de la médiatisation émotionnelle et compassionnelle, à l'image du cas d'Ingrid Bettencourt. Les voyages divers et variés de nos membres du gouvernement, en Tunisie et en Egypte, relèvent d'un autre registre. Evidemment, il y a plusieurs lectures à ce genre de scandale. Comme le soulignait le journaliste et économiste, Jean-Marc Daniel, la première lecture est plus polémique et politique. Si l'on remonte dans le temps, à une époque, les ministres n'étaient pas forcément des saints. Et il y avait une part d'ostentation, dans les mises en scène de vacances en Auvergne, en Corrèze, ou dans les Landes. Quand Giscard se faisait photographier en vacances, il privilégiait plutôt Chamalières, et jamais ses safaris en Afrique. Même en France, il y avait des endroits à éviter. Quand Georges Pompidou est devenu premier ministre, de Gaulle lui avait lancé : “Pompidou, terminé Saint-Tropez“. Mais la règle demeurait impérieuse, surtout pour les présidents de la République.

François Mitterrand a longtemps dissimulé ses séjours au Old Cataract, le palace d'Assouan. Jacques Chirac faisait semblant de se rendre à la Réunion - dans le cadre d'une visite d'un Territoire d'Outre-Mer -, avant de bifurquer vers les plages de l'île Maurice, quand il était président du RPR dans les années 80. Mais c'est bel et bien, Nicolas Sarkozy, qui assuma de la manière la plus affichée et la plus décomplexée, ce que cachait ses prédécesseurs auparavant. Mieux, il sembla s'en glorifier. Il avait même déclaré, dès son élection, à cet effet, et en annonçant la couleur : “Je vais vous dire, je n'ai pas l'intention de me cacher“. On se souvient de l'épisode du yacht de Vincent Bolloré, cabotant au large de l'île de Malte, de l'escapade de choix à Disneyland, ou de la visite de la vallée des rois, avec Carla. Et ces habitudes prises et répandues auprès de tout le monde, dans toutes les majorités, expliquent aussi cette forme de solidarité silencieuse.  Cette idée que tout soit pris en charge par d'autres, en réalité, coupe aussi les gouvernants des Français moyens. Dans de nombreux pays voisins et dans le monde, le fait que les membres du gouvernement assument leurs charges personnelles, paraît normal et est très encadré. L'ancien président de la Cour des Comptes, Philippe Séguin - qui avait lui-même ses habitudes à La Mammounia -, avant sa mort, tenta vainement d'étiqueter des règles entre dépenses privées et publiques. Mais c'était trop timoré et peut-être même trop tard.

Dans une deuxième lecture, plus juridique, la question est : y a-t-il eu corruption / connivence et quel était l'intérêt, la liberté des protagonistes ? Dans le cas de Monsieur Fillon, c'est assez clair, l'idée est plutôt d'afficher son appartenance à un réseau, celui de Moubarak, des dirigeants et des puissants, ce qui est une posture tristement classique et banale. Si l'on veut donner un exemple historique, à l'époque des régimes communistes, des dirigeants tels Thorez ou Duclos passaient leurs vacances sur les bords de la mer noire, dans des conditions enviables. Et les anti-communistes criaient à l'hypocrisie, d'ailleurs à raison. Mais l'on peut condamner aussi la logique de ce réseau, car il ne s'agit pas de n'importe quel pays, ni de n'importe quel dirigeant. Et lorsque vous acceptez d'être invité par un dirigeant étranger, vous n'avez évidemment plus la même liberté de parole, surtout lorsque des évènements graves, se produisent quelques jours, quelques semaines après. Voire quelques jours avant, dans le cas de la Tunisie. Ce qui n'est pas anecdotique. L'Egypte ou la Tunisie sont deux pays, où la majorité de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté extrême - en particulier l'Egypte -, et ce qui floue le regard porté sur notre pays, 5e puissance mondiale, par les opinions publiques des pays concernés. La réflexion publique impose aussi une forme de transparence, ce genre d'affaires nuisant à l'image de la démocratie française, y compris à l’étranger.

Dans le cas de Michèle Alliot-Marie, l'embroglio est plus difficile à dénouer, car elle a répondu à l'invitation d'un homme d'affaires tunisien. Mais Michèle Alliot-Marie, en tant que ministre de la République française, n'appartient pas au même réseau que cet homme d'affaires louche. Dont on ne parvient pas à savoir, s'il fait parti des corrompus, des corrupteurs ou des victimes du régime de Ben Ali. L'intérêt de l'hôte tunisien de Michèle Alliot-Marie est aussi plus difficile à cerner. A partir du moment, où elle ne sait pas ce qu'il attendait d'elle, elle avait intérêt à se retirer d'une relation d'échanges avec lui. Il convient de constater ainsi, que Michèle Alliot-Marie prend des décisions sans avoir parfaitement l'information sur son hôte et sans en assumer les conséquences. Mais aussi sur une base erronnée, puisqu'elle est persuadée quand elle prend l'avion, que les émeutes n'ont pas commencé. Or, l'intérêt des Français est d'avoir plutôt des ministres informés, au courant et compétents. La faiblesse de Michèle Alliot-Marie est d'avoir montré dans cette affaire, non seulement une maladresse d'expression, mais aussi une incompétence assez évidente, en tant que ministre des affaires étrangères.

Pour conclure le propos, on est loin de la “République irréprochable” vantée par Nicolas Sarkozy, qui reconnaissons-le, a su montrer l'exemple… Ces affaires tombent également mal, au moment où la France préside le G20. Après le temps des apprentis ministres de 2007, on croyait aussi que le gouvernement était composé de réels professionnels, à la compétence certaine. Michèle Alliot-Marie est apparue à l’égard de la crise tunisienne, par exemple, comme une caricature de toutes les ambiguïtés françaises à l’égard du pouvoir défunt. Il faut dire que Sarkozy a donné lui-même des bâtons pour se faire battre. En 2007, il a bien fait campagne avec les idées d’un Glusckmann en matière diplomatique, et nommant Bernard Kouchner au Quai d’Orsay. Avant que celui-ci ne comprenne que les droits de l’homme et les intérêts de la France n’étaient pas toujours compatibles. Mais depuis, Sarkozy est certes revenu à une realpolitik plus classique, reprenant les habiletés habituelles de la diplomatie française, qui tente de demeurer une grande puissance, au moins par le verbe, comme on le voit à la dernière réunion du G20. Mais il y a ajouté ses propres contradictions. Il reprend beaucoup des analyses traditionnelles de la diplomatie française, tout en méprisant les membres du Quai d’Orsay. Il ne démord pas de son tropisme occidental, voyant l’unique voie à suivre à Washington. Mais il n’a pourtant pas spécialement d’atomes crochus avec le président Obama. Alors forcément, il y a des jours où cela se voit davantage…

   J. D.