Les derniers jours de Stefan Zweig

Par Anne Onyme

Laurent Seksik
J'ai lu
185 pages

Résumé:

Le 22 février 1942, en exil au Brésil, Stefan Zweig et sa femme Lotte mettent fin à leurs jours, dans un geste désespéré, mûri au coeur de la tourmente. Des fastes de Vienne à l'appel des ténèbres, ce roman restitue les six derniers mois du grand humaniste devenu paria et de son épouse. Deux êtres emportés par l'épouvante de la guerre : Lotte, éprise jusqu'au sacrifice ultime, et Stefan Zweig, inconsolable témoin du " monde d'hier ".

Mon commentaire:

Le roman de Laurent Seksik nous transporte dans le monde de Stefan Zweig, six mois avant son suicide désespéré. Chaque chapitre raconte quelques éléments d'un mois précédent sa mort, de septembre 1941 à février 1942. Les mots se referment comme un étau sur Zweig et sa femme Lotte, qui le suivra jusqu'au bout de son geste fatal.

À l'époque, Zweig est un écrivain reconnu et populaire, mais il n'est plus lu dans son pays. On ne le publie plus. Il est juif, victime du nazisme, il a été menacé de mort, inscrit sur la liste des écrivains indésirables et nuisibles. Il s'enfuit pour vagabonder à travers le monde, s'enlise dans les paperasses administratives et ne trouve pas la paix. C'est un fugitif qui reçoit même des menaces alors qu'il se trouve dans son petit paradis Brésilien, avec sa femme Lotte. Ce sont les derniers jours de Stefan Zweig.

Le roman raconte le quotidien de Zweig et de Lotte, entrecoupé des souvenirs de Stefan. L'écrivain se questionne beaucoup sur son écriture, sur la haine des nazis à son égard, alors que c'est un pacifiste qui ne prend pas position publiquement pour aucune cause. C'est un homme du monde, à la fois brillant et discret. Parallèlement, on apprend à connaître le personnage de Lotte, seconde femme de Zweig, qui donne l'impression d'avoir toujours le statut de "maîtresse" plutôt que celui d'épouse. Lotte se questionne sur la relation de son mari avec son ex-épouse et évolue dans son univers entre amour et incompréhension. Elle le suivra cependant jusqu'à son dernier souffle, qu'elle poussera à ses côtés...

Comme l'indique l'auteur, ce roman repose sur des faits réels et des événements historiques vérifiables. Son histoire s'inspire des documents d'archives et de la correspondance des principaux acteurs de ce dernier acte. C'est un roman assez triste, d'une beauté émouvante. On ressent l'Histoire et les conséquences du nazisme se refermer sur Zweig, les conséquences sur sa vie et sa fuite, toujours, constante. En exil, il écrit beaucoup. On lui doit alors l'écriture d'une biographie de Marie Stuart, plusieurs textes divers, mais surtout, son roman le plus connu: Le joueur d'échecs. Oeuvre qui prend tout son sens quand on sait dans quelles conditions il a été écrit.

Dans le roman de Laurent Seksik, on sent le regard que Zweig pose sur le monde, sur son travail et sur ses proches. Il parle beaucoup de son écriture. L'entrée en guerre des États-Unis et la défaite des Britanniques en Indonésie lui donne le coup de grâce. Il n'a plus d'espoir et sa décision est prise depuis un moment. Il quittera ce monde au Brésil, là où il avait cru trouver un lieu à l'abri de la folie des hommes.

Les derniers jours de Stefan Zweig est un roman-hommage à l'un des plus grands écrivains de son temps. Il relate une fin bouleversante pour le travail d'écriture de toute une vie.

Quelques extraits:

"Il sortit les livres, un à un. Lentement, pour chacun d'eux, il contemplait la couverture, effleurait la tranche. Puis, longuement, éperdument, de manière un peu risible, il plongeait le nez dans les pages, reniflait l'odeur qui s'en dégageait. Ces livres n'avaient pas vu la lumière depuis la fuite de la maison d'Autriche. Le dernier endroit qu'ils avaient connu était la bibliothèque du domaine du Kapuzinerberg. Le temps, la traversée des continents et des océans n'avaient pas dissipé leur parfum." p.17

"Il songea à la tournure risible que prenait son destin d'écrivain. Il n'écrivait plus que pour être traduit - en anglais, grâce à ce bon Ben Huebsch chez Viking Press, et en portugais, avec Abraho Koogan. Depuis bientôt une décennie, les maisons d'édition allemandes ne publiaient plus d'auteurs juifs [...] Il écrivait la langue du peuple dont il était banni. Est-on encore un écrivain quand on n'est plus lu dans sa langue? Est-on encore en vie lorsqu'on n'écrit plus de son vivant?" p.22