Eugène Leroy, autoportrait noir, de Ludovic Degroote (par Florence Trocmé)

Par Florence Trocmé

Le principe de la collection Ekphrasis* de l’éditeur Invenit consiste à demander à un écrivain de choisir une toile dans un des musées ou institutions de la région Nord Pas-de-Calais et à partir de cette œuvre d’écrire un texte. Ont déjà paru dans la collection par exemple un beau texte de Pierre Dhainaut sur un tableau de Manessier ou un autre de Sylvie Germain sur un paysage de Patinir.  
 
Ludovic Degroote a choisi pour sa part un « autoportrait noir » d’Eugène Leroy exposé à Tourcoing. Il va s’efforcer dans un texte à la fois précis et informé d’histoire de la peinture de comprendre la démarche du peintre et tout le travail que ce dernier effectue à partir de son propre visage ; l’écrivain a en effet très vite compris qu’il ne s’agissait en rien d’une démarche narcissique mais avant tout pour le peintre, à partir de la triple « face », visage réel, visage dans le miroir, visage en train de se peindre, d’interroger au plus près la peinture et l’acte de peindre.   Ce qui est très intéressant, c’est que la démarche de Ludovic Degroote semble épouser celle du peintre, non pas en la mimant mais en tentant d’une part de la transposer avec ses moyens propres, par une écriture qui fonctionne par touches, par ajouts successifs, par tâtonnements et d’autre part en établissant implicitement un parallèle entre le travail de peinture et le travail d’écriture. Il montre que les questions sont les mêmes. Il n’assène aucune certitude définitive, il ne prétend à aucune analyse savante, il est devant une œuvre en partie énigmatique mais qui l’attire et il tente d’explorer les raisons de cette attirance. Ce qui intéresse Ludovic Degroote c’est ce qui fait de l’atypique Eugène Leroy, né en 1910 et mort en 2000, un moderne, bien qu’il se soit toujours tenu en marge du mouvement de la peinture au XXème siècle. Démarche assez exemplaire de l’auteur, qui se signale aussi par l’absence de toute prétention savante, voire même par le doute quant à la légitimité de sa démarche et qui écrit qu’il a toujours « craint de faire parler l’œuvre, au lieu de rester dedans ».  
 
À la lecture de son texte, cette crainte semble infondée tant il a réussi à entrer dans l’œuvre et à comprendre de l’intérieur la démarche créatrice qui a présidé à sa conception. Travail d’un créateur sur le travail d’un autre créateur, c’est au fond l’idéal de la collection Ekphrasis et il est parfaitement atteint ici. On pourrait d’ailleurs placer ce beau texte sous l’exergue d’une citation d’Eugène Leroy lui-même : « tout ce que j’ai jamais essayé en peinture, c’est d’arriver à cela, à une espèce d’absence presque, pour que la peinture soit totalement elle-même ».  
 
Ludovic Degroote, Autoportrait d’Eugène Leroy, collection Ekphrasis, éditions invenit, 9 €  
 
Florence Trocmé

 
*voir la présentation de deux autres livres de la collection, de Jean Le Boël, Tattegrain, La Ramasseuse d’épaves et de Pierre Dhainaut, Manessier, Blés après l’averse