Égypte, Tunisie, Libye : et si l’on écoutait Michel Rocard ?

Publié le 01 mars 2011 par Sylvainrakotoarison

Après 1989, 2011 semble redonner au monde une nouvelle espérance. C’est maintenant que la diplomatie a besoin de créativité et d’imagination pour établir de nouveaux rapports entre les nations.
Lorsqu’on l’a interrogé sur le énième épisode des vacances tunisiennes de Michèle Alliot-Marie le 28 février 2011 sur LCP, l’ancien Premier Ministre Michel Rocard, qui avait soutenu Bertrand Delanoë au congrès socialiste de Reims en novembre 2008, a balayé d’un revers de main pour dire que ce genre de polémique ne l’intéressait pas.
Le dernier épisode, c’était évidemment la démission de Michèle Alliot-Marie et son remplacement par Alain Juppé que Michel Rocard connaît bien pour avoir fait partie d’une même commission que lui en 2009 (coprésidence sur le grand emprunt).

C’est sans doute la différence entre un homme d’État et un homme politique "classique" : rejeter toutes microvilenies pour n’aborder que les thèmes essentiels. En d’autres termes, prendre de la hauteur.

Et parmi ces thèmes essentiels, la redéfinition des relations entre la France (et plus généralement l’Europe) et les pays arabes en pleine révolution populaire.

Pour Michel Rocard, il s’agit de réagir rapidement et de prendre des initiatives pour à la fois conforter les peuples dans leurs revendications sociales et politiques et éviter toute dérive soit islamiste soit dictatoriale.

Car c’est une chance extraordinaire de pouvoir vivre des révolutions qui sont en même temps pacifiques (les manifestants sont modérés) et je dirais "anationales" et areligieuses, c’est-à-dire qui ne mettent en avant que le besoin de pain et de liberté sans mettre en avant l’islam et sans brûler un seul drapeau d’un autre pays. Ce sont des révolutions constructives et pas destructives.

Mais tout peut évoluer très vite dans un sens ou un autre. Le problème actuel est l’absence totale de préparation politique pour l’après-dictature : tout le monde est pris de court, que ce soient les manifestants eux-mêmes ou leurs amis étrangers.

En Tunisie où le gouvernement de transition a dû démissionner et en Égypte encore dirigée par les militaires, aucune solution politique à court terme n’est envisagée concrètement. Et pour la Libye, la situation est encore bien plus difficile en raison de sa division par tribus.

Michel Rocard propose ainsi au gouvernement français de s’appesantir surtout sur les peuples et pas sur les États, de prendre l’initiative de projets concrets comme une coopération sur le problème de l’eau par exemple, enjeu majeur pour l’Égypte selon l’ancien Secrétaire Général de l’ONU, l’Égyptien Boutros Boutros-Ghali qui, à 88 ans, participait encore le 28 février 2011 à une émission télévisée (sur France 3).

Le Premier Ministre François Fillon a annoncé le 28 février 2011 sur RTL que la France allait envoyer de l’aide humanitaire en fin de journée : « Dans quelques heures, deux avions partiront pour Benghazi à la demande du gouvernement français avec des médecins, des infirmiers, du matériel médical, des médicaments. ».

L’aide humanitaire est le minimum syndical que peut décider la France. C’est une bonne initiative mais largement insuffisante.

François Fillon n’a pas non plus exclu d’emblée une intervention militaire pour chasser du pouvoir Kadhafi : « Je sais que l’on évoque des solutions militaires. Ces solutions font l’objet d’évaluations de la part du gouvernement français. ». Notamment concernant une interdiction de survol du territoire libyen pour empêcher l’arrivée de mercenaires et la fuite de la famille Kadhafi.

Tout en restant très prudent et en considérant que la décision doit être collective et provenir du Conseil de sécurité de l’ONU, François Fillon a assuré que cette solution ne serait possible « que dans le cadre d’une opération conjointe avec des grands pays » en ajoutant : « Personne aujourd’hui n’a les moyens tout seul de réaliser cette opération. Il faudrait donc impliquer l’OTAN et je pense qu’il a là une réflexion à avoir. Est-ce que l’OTAN doit être impliquée dans une guerre civile au sud de la Méditerranée ? C’est une question qui, pour le moins, mérite d’être réfléchie avant d’être lancée. ».

C’est assez clair que si l’on ne veut pas changer la nature surtout intérieure des révolutions en cours, les étrangers doivent se garder de s’ingérer militairement, d’autant plus que la réussite d’une solution militaire n’est pas acquise et que la Libye pourrait devenir un bourbier aussi meurtrier que dans d’autres régions du monde où une coalition (de bonnes intentions) a voulu intervenir.

L’idée de Michel Rocard est donc très pertinente : ne pas envisager les relations avec les pays en révolution seulement dans le cadre de relations d’État à État (ce qui pose problème aujourd’hui par manque d’interlocuteur) mais les imaginer directement avec les populations dans des actions très concrètes.

Le problème d’un accompagnement à la démocratisation, c’est justement l’ingérence extérieure.

Peut-être que l’essentiel, somme toute, serait l’élection d’une véritable assemblée constituante en Égypte, en Tunisie et éventuellement en Libye, assemblée qui serait chargée de rédiger une nouvelle Constitution sur des bases démocratiques mais aussi spécifiques à chaque pays (il n’y a pas de modèle), un peu comme lors de l’indépendance des États de l’ancienne Union soviétique.

Et dans un tel schéma, il paraît important que ces premières élections, pour être indiscutables, se déroulent sous l’observation d’une commission internationale incontestable probablement issue de l’ONU.

Sans doute est-ce encore trop tôt. Il est cependant fort prévisible que le gouvernement égyptien actuel serait amené à démissionner comme l’a fait le gouvernement tunisien car, en fin de compte, les processus en cours en Tunisie et en Égypte sont aujourd’hui un peu comme si Louis XVI avait reçu le mandat de proclamer la République en 1789. Oxymore !

Il ne s’agit pas du tout, bien sûr, de guillotiner les actuels dirigeants, mais de permettre aux peuples eux-mêmes d’être maîtres directement de leur destin. Et pour cela, aucune nation ne peut les aider.

Après la chute du mur de Berlin (le 9 novembre 1989), un gouvernement est-allemand de transition a été constitué autour de Hans Modrow (membre du parti au pouvoir, la SED) le 13 novembre 1989 et a organisé des élections libres en quatre mois (le 18 mars 1990) pour assurer l’élection de l’opposant CDU Lothar de Maizière (au pouvoir du 12 avril au 2 octobre 1990) qui, lui même, a préparé la Réunification allemande en six mois. Le 5 février 1990, Hans Modrow avait nommé au sein de son gouvernement des représentants des nouveaux partis d’opposition afin d’impliquer toutes les forces politiques dans le processus démocratique.

La situation internationale est nouvelle et originale. C’est une petite lucarne de l’Histoire qui s’ouvre. Elle se refermera très vite. À la France et à ses partenaires de faire preuve d’imagination, de réflexion et de mesure pour trouver les bonnes initiatives qui nourriront la démocratie, la concorde et la paix.

Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (1
er mars 2011)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Doit-on intervenir en Libye ?



http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/egypte-tunisie-libye-et-si-l-on-89720

http://fr.news.yahoo.com/13/20110301/tot-gypte-tunisie-libye-et-si-l-on-couta-89f340e_1.html

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