La démocratie participative à Porto Alegre

Publié le 05 mars 2011 par Lgdeluz

C’est samedi et c’est Jérôme Lurie. Un nouveau billet invité dans la rubrique Tribune Libre :

 Porto Alegre est une ville du sud du Brésil, de 1,3 millions d'habitants (Paris en compte environ 2 millions). C'est une ville "du tiers monde", (22% des habitants n'ont qu'un habitat précaire, 1/3 des habitants vivent du tri des déchets ménagers), néanmoins très bien alphabétisée (en 1991, 96% de la population était alphabétisée). Son activité économique est faite essentiellement de commerce et de services (l'industrie n'emploie que 8% des actifs) et la part des micro-entreprises dans l'économie est prépondérante.

En 1988, le Parti des Travailleurs arrive à la mairie avec un programme qui s'articule essentiellement autour de 2 projets : l'aide aux plus démunis et l'implication de la population dans la gestion de la ville.

Qu'ont-ils entendu par implication de la population dans la gestion de la ville ? Le budget de la ville se divise en 2 parties : d'une part le budget de fonctionnement, et d'autre part, pour les municipalités qui ne sont pas déficitaires, les investissements (construction d'écoles, asphaltage des voies...). La municipalité de Porto Alegre n'est pas déficitaire, et depuis 1988, les habitants prennent part, tous les ans, aux décisions concernant l'objet de ces investissements. On objectera que dans toute démocratie, la population participe à ces décisions, puisqu'elle élit ceux qui les prennent. A Porto Alegre on peut participer plus directement à ces choix grâce à ce qu'on appelle le budget participatif, que l'on peut schématiser ainsi : les investissements de la municipalité sont décidés année par année, et chaque année, ils sont discutés dans de nombreuses assemblées locales réparties dans toute la ville et dont sont issus des délégués, élus pour des mandats de 1 an, renouvelables 1 fois. Ces délégués discutent à nouveau de ces choix dans des assemblées locales à échelle plus grande, et le procédé est réitéré une ou deux fois, jusqu'à ce qu'on arrive à l'échelle de la ville. Une synthèse des choix des citoyens est alors confiée à la mairie, qui répartit les investissements selon 3 critères :

- en fonction de cette synthèse,

- de manière à tenir compte en priorité des doléances des catégories sociales les plus pauvres,

- dans une logique technique et de rentabilité : un projet techniquement irréalisable ou dont le coût serait démesuré par rapport à son utilité est écarté.

Le schéma serait trop grossier si on ne signalait pas la prise en compte par la mairie d'orientations globales et à long terme de la politique de la ville, décidées elles aussi dans des assemblées populaires.

On peut considérer comme un signe de satisfaction de la population le fait que le Parti des Travailleurs ait été réélu largement à la mairie tous les 4 ans depuis 1988 (en 2000 par exemple, avec 63% des voix). On peut aussi considérer comme un bien le fait que le nombre de participants aux assemblées augmente depuis 1988. Par ailleurs, une forte proportion des délégués appartiennent à des catégories sociales majoritaires dans la population mais minoritaires chez les élus "classiques" : on résume cela en disant que le budget participatif a démocratisé la démocratie. Les réalisations les plus spectaculaires des équipes municipales depuis 1988 sont tout d'abord les travaux d'infrastructures de base (transport, eau courante, collecte des ordures ménagères, égouts...) destinés aux quartiers populaires (à leur demande), deuxièmement les progrès dans le domaine de l'éducation et de la santé (par exemple, le nombre d'enfants scolarisés a presque triplé, la formation des adultes a été encouragée). Enfin, le domaine de l'économie n'a pas été négligé. La gestion de la ville par la mairie et les conseils de délégués,  transparente (ce qui contraste avec la tradition de corruption des élus), rationnelle (ce qui contraste avec la tradition de clientélisme des corporatismes avec les élus), et pragmatique (c'est une qualité qui lui est unanimement reconnue) est favorable à l'économie locale, et attire les investissements.

Cette gestion a d'ailleurs été saluée par des organisations comme l'ONU ou la Banque mondiale, peu suspectes de sympathies gauchistes. La Banque mondiale a fait un diagnostic assez positif de la gestion de Porto Alegre pour lui accorder des prêts avantageux et l'ériger en exemple auprès d'autres villes du tiers-monde.

J. LURIE