Le « vivre ensemble » en France : revenir aux fondamentaux

Publié le 10 mars 2011 par Unmondelibre

Emmanuel Martin – Le 10 mars 2011. Le « vivre ensemble » est un thème récurrent du débat politique en France. Aujourd’hui, entre volonté politicienne de récupérer un électorat très à droite et nécessité, réelle, de parler de certaines « choses qui fâchent », l’UMP a lancé un débat sur l’Islam. Il y a ici le risque que le débat sur le « vivre ensemble » se réduise à celui sur l’Islam, ou sur l’intégration. La conséquence serait de stigmatiser injustement la communauté musulmane et de passer à côté du vrai problème, qui n’a pas grand chose à voir avec la religion.
Malaise
La montée du Front National de Marine Le Pen dans les sondages en fait frissonner plus d’un. La France semble être en train de connaître un nouvel accès de clash des civilisations. Dans ces conditions, s’il serait erroné de dire que ce débat sur l’Islam n’a pas lieu d’être, mais il faut insister sur le fait que ce débat-là n’est pas le débat fondamental sur le vivre ensemble. Et c’est bien un débat fondamental qui permettrait de mieux comprendre les « problèmes avec l’Islam », ainsi que ceux de l’intégration (qui ne doivent pas être confondus mais qui peuvent être liés). Il est grand temps qu’au pays de Voltaire une réflexion de fond soit entreprise sur des bases saines de tolérance.
C’est donc dans une perspective plus générale que le débat sur le vivre ensemble doit être reposé, sans référence à la religion, à l’ethnie ou à la culture, mais avec pour seul point d’ancrage l’élément fondamental du vivre ensemble, à côté de la tolérance, qu’est le respect des règles de vie en commun dans la responsabilité. Il faut saisir les mécanismes sociaux qui facilitent ou pas. Certaines incivilités sont par exemple un symptôme de la difficulté générale des français à « vivre ensemble ».
La « France des terroirs » en action
Le lecteur nous pardonnera de prendre ici un exemple peu ragoutant, mais pourtant très instructif. La France est mondialement célèbre pour les déjections canines qui ornent ses trottoirs. Si des mesures ont été prises pour responsabiliser les propriétaires de chiens afin qu’ils ramassent les déjections laissées par leur compagnon sur la voie publique, beaucoup reste à faire. J’en veux pour preuve la scène à laquelle j’ai assisté récemment sur la place Louis Pradel à Lyon. Un homme, qui semble venir de « la France des terroirs » comme diraient certains, se promène avec son chien et son jeune fils. Il fait faire « tranquillement » son chien sur la pelouse de la place, devant le commissariat de police, sans ramasser les déjections. Avant que je ne surenchérisse, un vieil homme lui signale son incivilité. L’homme au chien lui répond par un « Vieux con ! ».
Trois faits sont ici significatifs. Premièrement, la scène se passe devant un commissariat. Or, cette incivilité n’est pas simplement moralement répréhensible mais elle est aussi interdite par la ville. Le sentiment d’impunité devant le non respect de la règle est flagrant. Cela pose la question de la non-intégration de règles simples du vivre ensemble. Deuxièmement, l’homme insulte un grand-père qui lui indique le « droit chemin » : le respect des aînés est parti en fumée. Troisièmement, l’homme agit de la sorte devant son jeune fils, ce qui en dit long sur son sens de la responsabilité éducative à l’égard de sa postérité. L’homme se moque des règles, de l’autorité du passé et de la préservation du futur. Inquiétant égoïsme anti-social. (Mais tellement français : « Il n’y aurait plus d’argent pour ma retraite ? Les générations futures pourront bien payer ! »)
Le modèle français
Voilà un exemple, parmi tant d’autres, de la difficulté qu’éprouvent les français à « vivre ensemble ». Et cela n’a rien à voir ici avec l’Islam ou avec « l’étranger ». Cela a davantage trait à une disposition qui semble s’être construite depuis trois générations en France : la défiance.
Pierre Cahuc et Yann Algan ont donné récemment une mesure du degré, important, de défiance des français, ainsi qu’une explication à ce phénomène : le modèle social, de type corporatiste et étatiste, mis en place en France après la deuxième guerre mondiale. Le corporatisme va à l’encontre de l’égalité : la société est segmentée par la perpétuation des privilèges de statuts, favorisant la recherche de rentes et la suspicion mutuelle. L’étatisme a perverti et étouffé la dynamique de la société civile en réglementant cette dernière de manière centralisée. Dans un tel climat de défiance, ce n’est pas simplement la « démocratie sociale » qui ne peut fonctionner, c’est aussi le « vivre ensemble ».
Dans un État qui pose des incitations à la défiance en détruisant la responsabilité, fondement de la coordination sociale « par le bas », il n’est donc pas étonnant que les nouveaux venus éprouvent des difficultés à s’intégrer et répondent eux-mêmes à ce mal-être parfois par une certaine forme de défiance. Cependant, plutôt que de stigmatiser telle ou telle religion ou telle ou telle communauté d’immigrés, ce qui a toutes les chances de générer toujours plus de défiance, il faut permettre aux mécanismes responsabilisants de la société civile de jouer leur rôle. La réflexion doit donc porter prioritairement sur eux.
La cellule première est bien entendu la famille qui a trop souvent démissionné face à ses missions : elle doit redevenir une source de repères. De même l’école doit immédiatement restaurer le respect de l’autorité et le mérite comme modes de fonctionnement premiers. La nationalisation du social a par ailleurs fini par atomiser le lien social : il faut trouver de nouvelles formules, dynamisant l’initiative et l’implication personnelle pour reconstituer le tissu solidaire. Enfin, un de ces mécanismes est l’intégration économique par l’entreprise : il faut impérativement faciliter la création (non subventionnée !) par une simplification des procédures et un coût non prohibitif. Il n’y a pas de miracle : la déresponsabilisation génère l’irresponsabilité, qui interdit le « vivre ensemble ».
Emmanuel Martin est analyste sur www.UnMondeLibre.org