Auteur BD : Interview de Corbeyran sur Châteaux Bordeaux

Par Manuel Picaud
Né en 1964, Corbeyran débute en bande dessinée en 1990. Depuis, ce prolifique scénariste (son œuvre totalise à ce jour plus de 200 albums) a multiplié les expériences narratives et les collaborations. Curieux et talentueux, il aborde avec la même aisance des registres fort différents : thriller, anticipation, aventure, polar, science-fiction, fantastique, récits intimistes ou uchroniques… L’un de ses grands succès est Le Chant des Stryges, une saga réalisée avec Guérineau (Delcourt) qu’il dote de nombreuses ramifications. Après l’ambitieuse série d’anticipation Uchronie[s] chez Glénat et un épisode de la série XIII Mystery chez Dargaud, Eric Corbeyran retrouve Espé dans une nouvelle saga familiale comme Glénat sait les concocter. Les deux auteurs réalisent parallèlement l’adaptation du roman Sept jours pour une éternitéde Marc Levy et ont participé à la saga Destins de Frank Giroud. Voici un large extrait de cette interview réalisée par Brieg F. Haslépour le dossier de presse de l'album proposé par les éditions Glénat. L'intégrale se retrouve bien sûr sur Auracan.com. Merci à Espé pour les visuels exclusifs.

Comment vous est venue l’idée de consacrer une série à l’univers du vin ?
Bordelais d'adoption, habitant au cœur des Chartrons, je suis aux premières loges. Depuis son origine, ce quartier situé au bord de la Garonne est le haut lieu du négoce des vins de Bordeaux. Le fleuve jouait autrefois un rôle essentiel dans l'acheminement des barriques. Aujourd'hui encore, des semi-remorques livrent des caisses de vin venues de toute la Gironde dans les chais gigantesques du cours du Médoc. Outre les négociants et les courtiers, le musée du vin est également situé dans ce secteur où se déroule la fête du vin nouveau. Lorsqu'on a la curiosité très affûtée, la tentation est grande d'aller mettre son nez derrière les jolies façades bourgeoises des quais... Vous êtes-vous fait conseiller par des spécialistes des grands crus du Bordelais ?
Le vin est un univers très complexe. Le fait de l'apprécier dans son verre ne fait pas de vous un spécialiste. Avant d'écrire la moindre ligne, j'ai effectué un long travail de recherche. J'ai lu des ouvrages et rencontré des propriétaires, négociants, œnologues, maîtres de chai, chefs de culture… Pour me documenter plus complètement, j'ai fait des repérages photographiques dans les vignes, dans les cuviers et dans les chais. J'ai eu la chance de visiter des propriétés, grandes et petites, modestes et prestigieuses – notamment Smith Haut Lafitte et Chasse Spleen. Au cours de ces visites, j'ai eu l'occasion de discuter avec des professionnels, tous passionnés. Ce travail en amont est l'un des moments les plus passionnants du projet.


Châteaux Bordeaux est votre première saga familiale…
Ce registre s'est imposé naturellement. Contrairement au rythme chronologique des Maîtres de l'Orge, j'ai choisi d'ancrer toute la série dans le présent. L'héroïne, Alexandra, est une jeune femme d'aujourd'hui, active et énergique, sensible et déterminée. À la mort de son père, elle hérite d'une exploitation. Avant de me lancer dans la rédaction du scénario, j'ai entièrement écrit l'histoire du Domaine du Chêne Courbe avec des dates précises correspondant à une série d'événements, tant familiaux qu'historiques. Cette histoire cachée rejaillira par l'intermédiaire des mémoires que le père d'Alexandra était en train de rédiger peu avant sa mort. En reprenant le flambeau familial, Alexandra prend aussi à sa charge l'écriture des nouveaux chapitres de l’ouvrage paternel. Elle fera entrer le Chêne Courbe dans la modernité.
Quelle envergure va adopter la série ?
Je pense progresser par cycles courts afin d'explorer cet univers complexe le plus à fond possible, sans perdre l'intérêt du lecteur. Le tome 2 est déjà bien entamé. Il est prévu pour la fin de l'année.


Châteaux Bordeaux a failli s’intituler Médoc. Pourquoi ce changement de titre ?
Le Médoc est une région mondialement connue. Le domaine qui sert de cadre au récit se situe géographiquement dans ce secteur de la Gironde, du côté de Margaux. C'était un bon titre, accrocheur, qui avait le mérite d'être clair. Nous nous sommes ravisés au dernier moment. La raison est simple : François, l'un des frères de l'héroïne, gère une exploitation du côté de Saint-Émilion, tandis que l'autre frère, Charles, est maître de chai dans la région de Graves. La série n'était donc pas cantonnée géographiquement au Médoc.

Les éditions Glénat sont spécialistes des grandes sagas familiales : les brasseurs avec Les Maîtres de l’Orge, les producteurs de cigares avec Flor de Luna, le monde des avocats avec L’Ordre de Cicéron
Jacques Glénat est un grand amateur de vin. C'est lui, personnellement, qui est à l'origine de ce projet. Lors d’un déjeuner, il m'a suggéré de réfléchir à la conception d'une série autour de cet univers. Outre le fait qu'il soit l'éditeur français des Gouttes de Dieu, Jacques a eu la gentillesse d'orchestrer quelques-unes de mes premières rencontres, notamment avec Michel Rolland ou avec Florence et Daniel Cathiard. Châteaux Bordeaux est ma première incursion dans le registre de la saga familiale. Je suis sur un terrain encore inexploré. Outre le thème du vin, passionnant en soi, c'est un défi technique que je me suis lancé, très stimulant pour la créativité.
De quelle façon Espé a-t-il rejoint le projet ?
Il y a dix ans, nous avons fait connaissance sur un court récit pour le collectif Paroles de Taule et avons ensuite enchaîné, toujours chez Delcourt, sur la saga fantastique Le Territoire. Perfectionniste autant que stakhanoviste, Espé n'a cessé d'évoluer. Sa sensibilité est une évidence lorsqu'on regarde ses pages. Je lui ai tout naturellement proposé la série.
Quel vin nous conseillez-vous pour accompagner la lecture du Domaine, premier épisode de Châteaux Bordeaux ?
C'est une question très intéressante. J'espère que certains forums sur Internet s'en empareront et la développeront car j'aimerais justement que les lecteurs me fassent part de leur expérience. De mon côté, j'opterai pour un Chêne Courbe 2000...

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Propos recueillis par Brieg F. Haslé en février 2011
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Illustrations Châteaux Bordeaux
© Espé - Corbeyran / Glénat
photo Corbeyran
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