Marie-Célie Agnant : Un alligator nommé Rosa

Par Gangoueus @lareus
Les dés sont jetés très rapidement dans ce roman. Le décor d'abord. Une belle baraque quelque part dans un coin paumé de la Côte d'Azur. Rosa ensuite. L'alligator. L'ancienne reine choche. Elle est clouée à son lit. Malade, boulimique. Les aides-soignant(e)s et infirmier(e)s défilent. La bonne dame est acariâtre, difficile à gérer. Laura, une haïtienne comme Rosa, veille sur elle et a la charge de recruter un nouvel infirmier en espérant trouver la perle rare qui saura se montrer patient et persévérant à l'égard de Rosa Bosquet. Antoine Guibert semble faire l'affaire...
Seulement Antoine Guibert ne s'est pas présenté auprès de Laura par un simple concours de circonstance. Il connait particulièrement bien Rosa Bosquet, ancienne fille lalo, ancienne reine choche du régime duvallieriste, femme impitoyable qui, parmi les nombreuses actions funestes à mettre sur son compte, a fait disparaitre toute la famille d'Antoine Guibert senior, journaliste engagé et opposé aux dérives du duvaliérisme. Antoine Guibert fils a juste dix ans quand cette razzia a lieu et qu'il y survit miraculeusement.
40 ans après ces méfaits, Guibert se retrouve face à une Rosa Bosquet, grabataire, et cela semble être la fin d'une quête effrenée qui l'a conduit en Floride, au Canada, en France pour glaner moult indices auprès de victimes ou d'éléments ayant fait partie de la sinistre horde de Rosa. Cependant, il est confronté à un mur. Rosa est enfermée dans un mutisme ferme, poussant des hurlements d'un autre âge qui semblent résumer le chaos intérieur affiché de Rosa. Pas compassion, pas de repentir.
Marie-Célie Galant centre son ouvrage sur cette confrontation entre la (ou les) victime(s) et le bourreau du passé avec des rôles inversés dans le présent. Elle analyse la quête et la soif de justice de Guibert opposé au mur de granite de l'alligator, à son état de décrépitude, à sa stratégie de survie. Elle ne s'attarde pas à comprendre Rosa. C'est un monstre, une truie, une bête, l'incarnation de la barbarie réduite à des mugissements. Elle oppose aussi deux réactions face l'oppression incarnée par Rosa, celle de Laura passive, écrasée et celle d'Antoine déjà décrite.
La romancière haïtienne donne la parole à toutes ces victimes sur lesquelles s'est abattue la violence bestiale du macoutisme. D'ailleurs, si on a parfois l'impression que l'écrivaine est dans une sorte d'impasse dans son écriture de la confrontation, son propos est beaucoup plus fluide dans l'évocation de cette période de terreur qu'a représenté le duvaliérisme pour Haïti. Les témoignages sont déroutants. Cette réflexion sur la quête de justice des victimes de Duvalier est d'autant plus intéressante quand on la met en regard avec le retour de Baby doc en Haïti en janvier dernier, dans l'impunité la plus totale.L'aspect surprenant de ce roman est de découvrir cette violence de l'état Duvalier perpétrée par des femmes. A découvrir, bonne lecture.Marie-Célie Agnant, Un alligator nommé RosaEditions Vents d'ailleurs, paru en 2011, 192 pages1ère parution aux éditions du Remue ménageVoir un interview par du site Ile-en-île de Marie-Célie Agnant
La romancière sera l'invitée d'Afriqua Paris le jeudi 24 Mars 2011 de 19h à 21h à l'Albarino Passy.