Le nucléaire et la RILI

Publié le 16 mars 2011 par Edgar @edgarpoe

Il est probable que la «folie nucléaire» ne connaîtra de terme qu’après un accident majeur, tel que nous n’en avons jamais connu, de nature à engendrer une indignation collective si importante que la puissance du complexe militaro-industriel nucléaire s’en trouvera défaite.
Ici, «majeur» n’est pas d’abord à entendre d’un point de vue matériel, du point de vue de l’ampleur «objective» de la catastrophe: quantité de particules radioactives diffusées, étendue des zones contaminées, nombre de morts et d’irradiés. Tchernobyl suffirait sinon amplement à arrêter la rotation de la planète atomique.
Non, ici, l’adjectif «majeur» renvoie aux cadres de notre perception et à notre système de valeurs, tels qu’ils se manifestent à travers nos actes en tant que collectivité. À l’évidence, la réalité de Tchernobyl ne pèse pas lourd selon ces cadres et ce système. Il y a des morts qui ne comptent pas, et que l’on refuse d’ailleurs de compter.
  Il faudra, pour que, comme société, nous prenions toute la mesure de la démesure du nucléaire, que périssent, ou se sentent directement menacés, au moins par identification, un nombre suffisant de «bourgeois» – appelons-les ainsi –, autrement dit d’humains dont la vie compte dans l’ordre international actuel.

 

Plus loin :

ceux qui affirment, avec tout le poids de leur autorité et de l’«expertise» dont ils sont supposés porteurs, qu’il n’y a aucune alternative–, tous ceux-là, qui n’hésitent pas à masquer les dangers du nucléaire ou à les nier purement et simplement, sont coupables de mise en danger de la vie d’autrui, sont coupables de mise en péril de la société elle-même.

Encore :

Le nucléaire qui, de par sa lourdeur (tant technique qu’économique), ne peut être géré que de façon centralisée et autoritaire, et qui, du fait de son extrême dangerosité, exige l’imposition du secret et la mise en oeuvre d’un contrôle omniprésent, est l’incarnation par excellence de ces dispositifs matériels qui produisent notre «dépossession» – qui nous dépouillent de notre puissance d’agir et de toute maîtrise collective sur nos vies. L’efficacité de tels dispositifs tient à ce qu’ils nous portent à croire, de surcroît, que nous dépendons entièrement d’eux, que nous ne serions rien sans eux.

Enfin :

Comment, par exemple, le président de la région Île-de-France, Jean-Paul Huchon, comment le maire de Paris, Bertrand Delanoë, peuvent-ils accepter la menace que fait peser l’existence d’une centrale à 80km en amont de Paris? Comment ne pas les déclarer coupables de ne pas prémunir de ce danger les populations dont et devant lesquelles ils sont responsables, en réclamant la fermeture de la centrale de Nogent-sur-Seine, alors qu’ils savent pertinemment qu’en cas d’accident l’évacuation d’une région aussi densément peuplée ne pourrait pas être assurée? 

La Revue Internationale des Livres et des Idées publiait un article qui débutait ainsi, en novembre 2009. Je m'étais abonné à cette revue sans vraiment la lire (sauf un numéro sur le PS), mais par manque de temps plus que d'intérêt.

La Revue, morte aujourd'hui mais dont certains des articles sont en ligne, vient de se rappeler au bon souvenir de ses anciens abonnés en envoyant ses articles sur "le retour de la folie nucléaire" puisque c'était le titre de ce numéro 14.

Je trouve qu'avec la catastrophe japonaise, cette revue démontre ce que peuvent faire des gens qui ont lu la Princesse de Clèves, non pas forcément contre, mais à côté, de (poly)techniciens même géniaux mais dotés d'oeillères. En une époque de professionnalisation des études et de disparition des lettres classiques, on les regrettera.

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Le sommaire du numéro 14 est toujours en ligne, les extraits qui précèdent sont issus du premier papier. Le courriel qui signale ces articles indique qu'ils sont libres de reproduction. J'imagine que la Revue, qui était animée par des bénévoles, essaie de renaître. Elle le mérite certainement.