Séisme au Japon : réflexions sur un monde fantastique

Publié le 18 mars 2011 par Macadam Cowgirl

En Enfer, on essaie de rester calme. A la surface, on panique. C'est un peu ce qui est en train de se passer actuellement, quand on regarde la façon dont les médias internationaux traitent la situation au Japon, en comparaison avec les médias nippons. Ceux qui auraient le plus de raison de trembler affichent un calme et une cohésion qui, vus de loin, forcent l'admiration. Mais notre manie de tout ramener à nous-mêmes et notre égocentrisme nous feraient presque occulter les problèmes humains pour une relance du débat sur le nucléaire qui, s'il est utile (surtout au vu des conséquences d'une catastrophe comme celle de Fukushima), paraît tout de même encore secondaire.

Mais en France, on n'a pas peur d'être ridicule. La preuve : hier soir, France 2 diffusait une émission spéciale d'Envoyé Spécial, consacrée à la situation au Japon. Terrifiant, le rappel du sacrifice des liquidateurs de Tchernobyl il y a 25 ans. Edifiant, le témoignage de Japonais ,et de Français expatriés qui décidaient de rester avec leurs familles, dans leurs villes sinistrées, pour aider, soutenir. Lamentable, celui d'un jeune Français qui courait à toutes jambes chez lui pour faire ses valoches et foutre le camp, copine japonaise sous le bras, à Osaka. Et devant les caméras en plus ! (cela a t-il été un peu mis en scène pour les besoins du reportage... J'avoue m'être posée la question 2 minutes après l'image, connaissant un peu la profession...)

Un lien direct vers le reportage d'Envoyé Spécial en question

Le Post.fr diffusait aujourd'hui le témoignage d'un Français vivant à Tokyo, et bien décidé, lui, à ne pas décamper. Il livre ce point de vue  sur les expats français qui fait regarder ses chaussures : "Les japonais travaillant avec moi sont totalement choqués d’un abandon par des français fuyant le Japon par tous les moyens, comme des rats quittant le navire. La télévision japonaise ne se prive pas d’expliquer à l’ensemble des Japonais qui vivent dans une situation pénible toute l’organisation mise en place par le gouvernement français pour faire partir les Français du Japon. Les Japonais sont polis et ne disent rien, mais ils n’oublieront certainement pas cet abandon médiatisé et je pense que nos sociétés françaises auront du mal à réacquerrir une confiance nécessaire dans les relations professionnelles ici."

A méditer... Tristement.

Il faut bien avouer une chose horrible : si le risque nucléaire ne s'était pas invité au bal, il est probable que le tsunami au Japon aurait été aussi vite oublié que celui de Nouvelle-Zélande, celui de Turquie, celui d'Haïti. Parce que bon, le Japon, c'est loin de nous. Mais là, tout d'un coup, tout le monde se sent concerné, tout le monde tremble, tout le monde prie pour que le refroidissement marche. Et on se souvient, ou on le découvre, que les liquidateurs de Tchernobyl ont évité, par leur sacrifice horrible, que l'Europe devienne une terre lunaire, inhabitable. Pourtant, aujourd'hui, tout le monde s'en fout, et ignore que si l'on peut partir au ski, inviter Camilla à dîner ce soir et claquer son salaire en fringues, c'est grâce à ces mecs-là. En en prendre conscience fait le même effet que chez Sartre : on a la nausée.

Que La Route de McCarthy ne soit pas de l'anticipation, mais le présent : aujourd'hui, c'est ce que tout le monde craint. C'est aussi peut-être pour ça que nos médias flippent plus que les Japonais. Eux qui, façonnés par une culture bouddhiste qui fait accepter les choses comme elles sont, se disent instinctivement que paniquer ne changera rien aux cours des choses.

Questions en vrac

La question que je me pose depuis une semaine est la suivante : a t-on envie de vivre avec une telle épée de Damoclès au-dessus de la tête ? Peut-on, surtout, vivre comme ça encore longtemps sans être rattrapé par notre inconséquence? Certains diront qu'après tout, une bonne explosion nucléaire pour faire un grand nettoyage par le vide ne serait pas un mal, tant l'humanité est pourrie. D'autres diront qu'il ne faut pas être si pessimiste, et qu'on arrivera bien à instaurer la paix dans le monde, à vivre dans une belle harmonie-cui-cui-les-p'titszoiseaux.

Et quand on assiste avec amertume et horreur à TOUT ce qui se passe, sans savoir quoi faire, sans plus savoir quoi penser, on se situe où ? Dans la case des crétins angéliques, ou celles des anarchistes extrêmistes (je pense toujours au Russe dans Germinal qui dit "il faudrait tout faire sauter. Quand il ne restera plus rien de ce monde pourri, peut-être pourra t-on en bâtir un autre..."), tous plus illuminés les uns que les autres ?

J'ai pas la réponse. Mais j'adore la présence d'esprit du prince héritier du Japon, news balancée à 12h et quelques aujourd'hui : il ne se rendra pas au mariage du prince William en avril prochain. Son peuple, son pays vivent l'Apocalypse, mais lui prend soin d'annoncer à la communauté internationale qu'il raye de son agenda cet événement d'une futilité injurieuse face à une telle catastrophe. Rendez-vous compte : en la situation actuelle, il ne pouvait pas manquer de nous informer de cette décision capitale. Il a pensé à ça.

(Parenthèse, mais autre exemple, et de taille ! Apple ose penser que la sortie de l'iPad 2 est mise à mal par le séisme au Japon... car plusieurs composants sont fabriqués là-bas ! Lire l'article C'est à ne pas croire, et pourtant on peut le lire. Ce n'est pas un hoax. Pas de précieux iPad 2  un an même pas après la sortie du premier... si ce n'est pas un beau Polaroid d'une société en pleine décadence... Certains, là aussi, pensent à ça.)

Tout de suite, ça resitue les choses : si par miracle il n'y a pas de conséquences atroces à Fukushima (explosion par exemple), on y enverra quelques kamikazes, qui sait (les Japonais connaissent bien ça), pour colmater, on continuera à construire des centrales nucléaires en zone sismique, et le monde continuera de tourner. Et pourra s'occuper en bonne et due forme de Khadafi.

Finalement, c'est peut-être ça notre punition pour un quelconque péché originel : vivre dans un monde où la légèreté la plus insoutenable l'emportera toujours sur l'horreur la plus profonde (et les réflexions qui pourraient en découler). "Légèreté" pouvant être aussi synonyme d' "inconséquence"...

(crédit photo : Reuters)