Toute société a ses modèles. La nôtre, me semble-t-il, exacerbe l’extraordinaire, le toujours plus, l’exploit. La dictature de la réussite peut même se cacher derrière les plus louables idées. Ainsi celle de résilience. Dans le courrier que je reçois, depuis quelques mois, plus d’un correspondant se présente comme résilient. Rappelons d’abord le concept, la résilience est la capacité de rebondir, de ne pas se laisser terrasser par l’épreuve, de faire face en un mot. La notion vient heureusement contredire tant de préjugés qui enferment l’individu dans son malheur, qui rigidifient les déterminismes et qui nous plongent in fine dans le désespoir et le découragement. Non, un enfant battu ne battra pas nécessairement sa descendance. Une personne handicapée ne vivra pas fatalement à l’écart du bonheur. Bref, ici est mis l’accent sur la formidable faculté d’adaptation dont peuvent faire preuve les hommes et les femmes, même meurtris. La lueur d’espoir ainsi apportée est des plus salutaire.
Primo Levi me rappelle avec force la nécessité de s’engager, de persévérer. Il m’interdit de regarder en arrière ou de trop me braquer sur le futur. Aujourd’hui, je vais m’en sortir. À cette fin, je puis faire un pas, juste un petit pas, celui de ce jour. Je sais que, jamais, je ne pourrai m’installer dans quelque sécurité. Je devine aussi que si résilience il y a, elle se reçoit et se bâtit d’instant en instant. Je n’ai que très peu de marge de manœuvre dans cette histoire sinon celle-ci : persévérer et bien m’entourer. Mais ai-je vraiment le choix de persévérer ? Voilà peut-être l’authentique héroïsme du quotidien : maintenir le cap, avancer, progresser un petit peu chaque jour. J’estime les sportifs d’élite, les artistes, les aventuriers et les inventeurs. Mais la prouesse qui emporte toute mon admiration est celle d’une vie qui gagne du terrain loin de l’amertume et de l’égoïsme et qui découvre dans l’épreuve autant d’occasions de devenir plus libre et léger.