A l’occasion du thème du mois, il est opportun d’évoquer l’indépendance de la France.
Ceci est le premier d'une série de trois billets.
I Un bref retour historique nous ramène à la geste gaulliste et au discours sur « l’indépendance nationale ». L’époque est à la guerre froide : elle est surtout jalonnée par deux événements historiques dont l’un marque encore tous les esprits quand le second n’occupe que les seuls stratégistes.
Le premier remonte à juin 1940, cette débâcle incroyable lors de laquelle une des meilleures armées d’Europe (j’entends déjà les ricanements d‘Immarigeon) se fait culbuter en six semaines. Je ne veux pas évoquer les raisons de cette défaite ; je m’attache seulement à indiquer la profondeur du traumatisme subi. Ce n’était pas seulement une défaite : après tout, 1870 avait été cuisante, et en 1914 comme en 1918 on avait frôlé le pire du côté de la Marne. Mais dans le cas présent, c’était une déroute suivie d’une occupation. La France avait perdu son indépendance, malgré le faux-nez de Vichy…. D’ailleurs, les Français constataient rétrospectivement, en 1945, une perte encore plus humiliante de leur indépendance. C’est parce qu’une majorité de Français avait cru au discours du maréchal et à la préservation d’un État indépendant que la même majorité fut d’autant plus humiliée de s’apercevoir qu’elle avait été bernée. Autrement dit, c’était le couple défaite/réaction à la défaite qui posait un problème foncier, plus que la seule défaite.
L’autre événement, plus récent, remonte à l’affaire de Suez en 1956. L’échec n’est pas militaire, il est d’abord politique. Une dernière tentative d’action « indépendante » européenne échoue, à cause du bluff des Soviétiques et de l’opposition des Américains. Il motive, dès la IV° république, le choix du nucléaire qui sera le garant de l'indépendance nationale.
Ces deux événements « militaires » sont des événements « politiques ». Le discours d’indépendance française serait donc un discours moderne, et contemporain ? Il est notable que ce soit un des plus vieux Etats du monde qui renouvelle alors cette idée d’indépendance. Mais il n’est pas anormal que ce soit la nation la plus politique qui l’ait inventée.
En effet, tout remonte au cri de « vive la nation » lancé par les soldats français à Valmy. Alors, la Nation est universelle. Elle se propage comme un feu de brousse, d’abord au moyen de la geste napoléonienne, puis au travers du printemps des peuples (la Grèce dès 1821, puis les mouvements européens de 1848). Alors, on ne parle pas d’indépendance, mais de « libération nationale ». Le feu s’étend aux colonies, et notamment à celles qui sont passées entre temps dans le giron de la nation libératrice d’hier.
On constate alors que l’indépendance nationale est inventée, en France, au lendemain justement de ces décolonisations difficiles. Dans la bouche de De Gaulle, la France n'est pas seulement indépendante vis-à-vis des deux grands : elle est aussi indépendant de ses anciennes colonies : chacun connaît la dialectique du maître et de l'esclave selon Hegel (le maître devient dépendant du travail de son esclave, il devient esclave de son esclave). En se libérant de l’esclave, c’est aussi le maître qui se libère. De Gaulle, en quelque sorte, était hégélien.
O. Kempf
(à suivre)