50 ans après Youri Gagarine, quel avenir pour Baïkonour ? (D. Martens)

Publié le 26 mars 2011 par Egea

Un bel article sur les relations russo-kazakhes, mais aussi russo-françaises (il n'y a pas que le mistral, dans la vie, mais aussi Kourou) : une affaire d'espace, et de puissance.

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Merci à l'auteur : Le chef d’escadron David MAERTENS est stagiaire de la 18ème promotion de l’Ecole de guerre. Il suivra une formation spécialisée en langue russe à l’Institut national des langues et civilisations orientales au cours du cycle 2011-2013.

Olivier Kempf

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Au mois d’août prochain, Européens et Russes lanceront conjointement et pour la première fois une fusée russe Soyouz à partir du Centre spatial guyanais de Kourou. Pour des raisons essentiellement techniques mais aussi financières, les autorités russes ont en effet décidé de quitter le site de lancement historique de Baïkonour, dont le nom reste associé aux grandes épopées de Spoutnik et du premier homme dans l’espace, véritables mythes fondateurs de l’univers spatial soviétique.

Certes, Russes et Kazakhs ont signé une « déclaration d’amitié éternelle » en 1998 et le statut de Baïkonour est fixé sous administration russe jusqu’à 2050. Cependant, la Russie a-t-elle encore besoin de continuer à utiliser le coûteux site kazakh, alors que le centre guyanais permet de mettre en orbite tous types de lanceurs y compris les vols habités ? Quoi qu’il en soit, si la Russie devait quitter définitivement Baïkonour, il est probable que les relations russo-kazakhes prendraient définitivement une forme nouvelle alors que cette zone du globe demeure réputée comme sensible.

Entre indépendance et interdépendance

Depuis le début des années 1990, le Kazakhstan met tout en œuvre pour diversifier ses partenaires économiques et scientifiques. Ainsi, la récente série de contrats signés avec la France et Areva témoigne de ce rapprochement avec nombre de puissances occidentales et plus seulement avec la Russie. En dépit de cette volonté de garantir son indépendance, ses relations avec le puissant voisin russe demeurent cependant étroites, même si des frictions sont apparues sur le droit de passage du pétrole en territoire russe ou encore sur le statut de la mer Caspienne aux richesses souterraines convoitées. Par ailleurs, la Russie souhaite conserver son influence dans l’espace post-soviétique d’Asie centrale et ne peut s’affranchir de bonnes relations avec le Kazakhstan qui constitue une zone tampon face au monde islamique. Enfin, près d’un quart de la population du Kazakhstan est russe et dès l’éclatement de l’union soviétique, l’instauration de la langue russe comme deuxième langue officielle était demandée par Moscou, de même qu’était soulevé le problème de la double nationalité pour les Russes vivant au Kazakhstan.

Baïkonour, un symbole coûteux

Le statut de Baïkonour illustre parfaitement l’ambivalence du souhait d’indépendance du Kazakhstan d’une part et de la volonté russe de préserver sa présence et ses activités spatiales dans la zone d’autre part. En effet, hormis le site de Plessetsk qui est très éloigné de l’équateur et donc inadapté au lancement de certains satellites, la Russie ne possède pas de site de lancement moderne sur son territoire. Boris Eltsine a tenté de combler ce manque dès les années 1990 en transformant le site militaire de Svobodny en Sibérie en site de mise en orbite géostationnaire. Hélas, pour des raisons principalement financières mais aussi techniques du fait de son éloignement de l’équateur, la Russie a été contrainte de geler la montée en puissance du Cosmodrome sibérien et demeure, dès lors, dépendante du site kazakh. Le site de Baïkonour, proche de la ville minière éponyme, restera donc administré par la Russie et à titre d’exemple, le maire de la ville est choisi par les autorités des deux Etats. Baïkonour représente par ailleurs le symbole de la conquête spatiale soviétique depuis le premier vol de Soyouz et la Russie n’a d’autre choix que de payer près de 120 millions de dollars par an pour la location du site de lancement dont le « loyer » a été revu à la hausse après l’accident de deux fusées Proton qui se sont écrasées en territoire kazakh en 1999. Ceci allait favoriser le rapprochement russo-européen jusqu’à lui faire prendre une nouvelle forme avec le projet de lancement de fusées russes à partir de la Guyane française.

Soyouz à Kourou : un logique aboutissement

L’arrivée du célèbre lanceur russe en Guyane est l’aboutissement d’une collaboration scientifique russo-européenne initiée dans les années 1970 et de l’accord franco-russe prévoyant des lancements à partir de Kourou signé en 2003 entre MM. Raffarin et Kassianov. Aujourd’hui, Européens et Russes y voient des avantages techniques et financiers significatifs. Pour les Européens, c’est là l’occasion de mettre en œuvre un nouveau lanceur intermédiaire réputé comme extrêmement fiable et capable de mettre en orbite des satellites dits « moyens » de 2 à 3 tonnes, alors qu’Ariane 5 est conçue pour de plus gros satellites de l’ordre de 5 à 10 tonnes. Pour les Russes, la proximité de l’équateur du centre spatial guyanais facilite la mise en orbite géostationnaire et l’aménagement d’un pas de tir spécifique débuté en 2007 touche à sa fin. Pour l’heure, les lancements de vols habités ne sont pas prévus à partir du sol guyanais mais l’arrêt du programme de la navette spatiale américaine laisse à Soyouz l’exclusivité de ce type d’activité spatiale. Il reste donc à savoir si la collaboration entre les Européens et les Russes ne pourrait pas se poursuivre à l’avenir en se tournant vers le lancement de vols habités à partir de Kourou, ce qui accroîtrait encore l’éloignement de la Russie du site de Baïkonour.

Quatre à cinq lancements de Soyouz-ST emportant des satellites commerciaux sont prévus chaque année à partir de Kourou. Dans le même temps, la Russie maintient sa présence et ses activités spatiales au Kazakhstan. S’il semble raisonnable de penser que la présence russe à Baïkonour n’est pas uniquement animée par des enjeux scientifiques et techniques, les interrogations qui subsistent sont donc liées à la place de Baïkonour dans les futures relations russo-kazakhes et, dès lors, à l’avenir du Cosmodrome lui-même.

D. Maertens