Les 42 ans de « révolution » de Mouammar Kadhafi

Publié le 28 mars 2011 par Africahit

Les révoltes actuelles en Libye abrègent la longue parenthèse « révolutionnaire » de la Jamhariya arabe libyenne. Une grosse désillusion pour Mouammar Kadhafi.

Connu pour son penchant moderniste, Seif El Islam, le fils aîné du Guide, dépassé par les événements, a livré une facette de lui jusque-là inconnue des médias, au cours d’une intervention de 45 minutes prononcée aux premières heures de la révolution sur un ton menaçant. L’« ingénieur », comme le surnomme le speaker de la télévision libyenne, n’était pas là, un certain 1er septembre 1969, quand son père, un obscur capitaine originaire de Syrte, s’emparait d’un trône vacillant occupé par un roi malade.

Guide bénévole d’une assemblée de tribus

Aussitôt au pouvoir, le jeune bédouin, alors âgé de 27 ans, nationalise le pétrole libyen aux mains des multinationales et s’emploie à faire évacuer de son pays toute présence militaire américaine. Le dernier GI quittera la Libye en 1977. S’inspirant de l’égyptien Gamal Abdel Nasser, son modèle, il était alors la nouvelle idole pour un monde arabe désillusionné par la guerre de six jours. Capitaine autoproclamé colonel, Kadhafi tente de faire prospérer à l’ombre des dunes son socialisme panarabiste, en déclarant la révolution du peuple. Le nom du pays change en une improbable « Jamahiriya Arabe Libyenne Populaire et Socialiste » qui propose le « gouvernement direct » en lieu et place d’une administration classique.

Officiellement, le colonel ne gouverne pas, n’assume aucune fonction, outre celle d’un guide bénévole d’une assemblée de tribus. S’il ne règne pas, comme il le prétend, le colonel a toute autorité pour déclarer la guerre ou la paix. En 1973, il annexe une poche du territoire tchadien : la bande d’Aouzou. Il y sera délogé de force par l’armée tchadienne, appuyée par la France. Le tristement célèbre Idi Amin Dada de l’Onganda, qu’il entreprit de défendre contre une rébellion interne par l’envoi de 3000 soldats en 1979, apprendra le renversement de son pouvoir alors qu’il prenait son thé sous une tente climatisée en Libye.

Un revirement total

Bête noire de l’Occident, Kadhafi fera l’objet de plusieurs attentats, souvent manqués. Son ton agressif vis-à-vis d’Israël et son anti-américanisme primaire lui vaudront une certaine aura dans le monde arabe. En 1986, il échappe au bombardement de son Palais par Ronad Reagan qui appréciait peu les diatribes du maître de Tripoli. Les attentats de Lockerbie, organisés en représailles des raids menés à Tripoli et à Benghazi, lui vaudront un embargo de la communauté internationale, de l’Occident en particulier. Seuls quelques pays africains violeront le blocus en entretenant des relations stratégiques avec un pays généreux en pétrodollars. La première guerre du Golfe et les conséquences de l’embargo pousseront le colonel à opérer un revirement total à la fin des années 90, en livrant les auteurs présumés de l’attentat de Lockerbie à la justice écossaise. Parallèlement, le panarabiste hors pair se mue en panafricaniste et emploie son temps et son énergie à l’unité africaine. L’Union africaine, nouvelle version de l’OUA, est née à Syrte en 1999 en présence de tous les leaders africains.

Les attentats du 11 septembre et le sort de Saddam Hussein auront raison du Kadhafi révolutionnaire. C’est un nouveau Kadhafi, vêtu du boubou africain aux couleurs bariolées, qui entame des négociations avec les USA et la Grande-Bretagne, renonce volontairement à son programme nucléaire, tout en ouvrant les vannes de son pétrole aux multinationales.

Ce grand virage, en parfaite contradiction avec le Livre vert, va s’accentuer tout au long de la première décennie des années 2000. Les victimes des attentats de Lockerbie sont dédommagées via une fondation de Seif Al Islam, qui passait pour être un dauphin en cours d’apprentissage. La libération des infirmières bulgares accentue la nouvelle approche kadhafienne. Au crépuscule de son règne, le guide redorera son blason révolutionnaire en obtenant de Berlusconi, sans état d’âmes face au potentiel pétrolier libyen, une déclaration de repentance assortie d’une coquette somme destinée à compenser la colonisation.

Cette victoire symbolique allait renforcer le leadership du Guide face à ses pairs africains, divisés quant à la démarche à suivre pour cette unité rêvée par Kadhafi. En 2010, il voudra, en vain, rempiler pour un deuxième mandat (grande première dans les annales de l’Union africaine), que lui refusent Yoweri Museveni de l’Ouganda et tout le groupe dit « des unionistes graduels ». En fait, l’influence libyenne, forte sur les bordures du Sahel, peinera toujours au-delà. Avant la révolte en cours, le leader libyen n’avait jamais été confronté à une colère généralisée. D’où sans doute ce long silence durant les premiers jours du conflit, qui a fait croire à certains médias que le Guide était en partance pour l’Amérique du Sud.

Son dernier carré des fidèles

A l’heure où s’écrivaient ces lignes, le guide s’est retranché dans la caserne de Bab El Aziza, pour un ultime combat au sort connu d’avance. Autour de lui, les derniers irréductibles, liés à lui par le sang, les enjeux financiers et rarement par les convictions. Le commandant des forces spéciales, Khamis Kadhafi, âgé d’à peine 30 ans était à ses côtés. Egalement, dans la forteresse protégée par des murs, des barbelés et des appareils électroniques, Seif El Islam, le fiancé libéral que l’Europe a répudié suite à un discours révélateur où, derrière le costume BCBG et les appuis bénévoles aux causes humanitaires, s’est dévoilé une logique dictatoriale aveugle. L’ex coqueluche des médias l’a averti. Son plan A, B et C c’est vivre et mourir en Libye. Dans le dernier carré des fidèles, reste également le beau frère du guide, Abdallah Al-Senoussi, qui chapeaute les services de renseignements et qui est présumé responsable de l’attentat contre un avion UTA au dessus du Niger. Aussi, Moussa Koussa, qui a eu un vif accrochage avec les journalistes d’Al Jazeera dans un entretien téléphonique où il reprochait à la chaîne qatarie son manque d’objectivité. Moussa Koussa passe pour un modéré aux yeux des partenaires occidentaux du régime. Egalement parmi les fidèles restés au poste, Bashir Salah Bashir, maître des investissements libyens en Afrique. Chef de cabinet du guide, il préside le fonds LAP (Libyan Arab Portfolio), l’un des plus gros investisseurs dans le Sahel.

Khalid Berrada, Casablanca