Musique classique et anime : un accord presque parfait

Publié le 31 mars 2011 par Mackie

Remarque préliminaire : cet article, que j'ai en projet depuis longtemps, est candidat au concours des Sama Awards. N'ayant pas fini de visionner certains des anime concernés, à savoir : Nodame Cantabile, La Corda d'Oro, Piano, et Princess Tutu, j'ai préféré ne pas en parler pour l'instant. Ils seront ajoutés à une nouvelle version de l'article, qui sera remontée dans le blog. J'ai tout de même choisi de proposer l'article en l'état au concours, d'abord parce qu'il tient la route, ensuite et surtout pour  respecter ma parole d'y participer avec du matériau spécialement écrit. Merci pour votre indulgence !  Et merci pour votre régularité à me lire, ça me donne du courage !

Amitiés,

Mackie


Questions existentielles...

Musique classique et anime... Si j'ai décidé d'aborder ce sujet, ce n'est pas par hasard, mais pour deux raisons : 1- l'envie de partager avec vous, lecteurs déjà conquis par l'anime, ma passion pour la musique classique, et 2- l'envie de me faire plaisir, en donnant un cadre à l'assouvissement de mes deux principaux centres d'intérêt.
Cela fait des années que je fréquente la musique classique, et que je tente (et que parfois, je réussis) d'y convertir mes amis et mes proches. En leur prêtant des disques, en les invitant au concert... Aujourd'hui, en découvrant le manga et l'anime, et en inversant les rôles, je suis redevenu un newbie, demandeur de vos précieux conseils. Alors si je peux vous rendre la pareille...
L'anime a un rapport intime avec la musique classique. C'est ce qui m'a immédiatement frappé lorsque j'ai découvert Neon Genesis Evangelion, ma porte d'entrée dans le monde de l'anime. Tout naturellement, j'en ai d'ailleurs fait un sujet de plusieurs articles. J'en ai également parlé au sujet de Gankutsuou et de Piano Forest. Aujourd'hui, ce que je me propose de faire, c'est d'élargir ce champ d'investigation à d'autres anime, et de proposer un état des lieux.


Mais évoquer la musique classique dans l'anime, c'est se heurter à un obstacle de taille : la matière est tellement abondante, que pour avoir une vue d'ensemble, il faut avoir une grande connaissance du sujet. Or, si j'ai plusieurs années de passion pour la musique classique à mon actif, à travers les concerts, les festivals, les disques, les revues, je ne peux pas en dire autant de l'anime. Au cas où vous l'auriez oublié, peut-être à cause de mon rythme d'écriture bloguesque, je suis un newbie, et je suis encore au commencement de ma découverte de l'anime. En manga, ça va, j'ai déjà bien rattrapé, les volumes commencent à déborder de mon étagère et je songe à m'équiper au casse-toirama local pour augmenter la capacité. Mais en anime, je ne sais pas, c'est peut-être l'obligation de passer des heures devant l'écran de mon ordi (je n'ai pas la télé) qui me bloque, alors que j'ai en stock la matière à regarder. Or lorsque je vois : Nodame Cantabile saison 1 : 24 episodes, La Corda d'Oro : 25 épisodes, et encore je ne vous parle pas de Legend of Galactic Heroes... j'ai comme un gros moment de fatigue... Hé, je vous signale que j'ai un boulot, une vie de famille, des loisirs et même quelques amis, et qu'en plus, le soir, des fois j'ai envie de... ne rien faire. Seriously, si ça devait devenir une obligation, je laisserai tomber.
Après ce premier moment d'angoisse dépassé - le tout, c'est de s'y mettre, vieux motard mieux vaut tard que jamais - nouvelle sueur froide : en plus des animes susmentionnés, faut-il que je mate au pifomètre des kilotonnes de séries dont j'ignore tout pour y trouver les extraits musicaux qui me feront fredonner pompom pompom tralalala? Bah oui, faut-il inclure tous les passages de films ou d'anime comprenant deux minutes de Mozart, ou une pauvre adaptation au clavier bontempi de la lettre à élise? Parce que là, je devrais m'en avaler jusqu'à la Saint-Sylvestre, au minimum. Pas sûr que je veuille réellement visionner l'intégrale de Love Hina dans le seul but d'y dégotter un bref extrait de la première Gymnopédie d'Erik Satie... Je me concentrerai donc sur les animes où la musique classique est présente de manière significative, et créative.

Reste la forme et le fond que je dois donner à cet article. Plusieurs angles d'attaque sont possibles. Faire dans le genre catalogue, lister les épisodes et les films, et les oeuvres qui y figurent, c'est possible, mais ça ne risque pas d'être palpitant à lire. Trier, donc exclure, et déterminer une typologie déterminante, c'est l'idéal, mais bien entendu, c'est le résultat des visionnages qui l'aura déterminé. Et le résultat, en gros, revient à trier les anime en trois catégories :
1- les anime dont la musique est le sujet, ou un des sujets : ils mettent en scène des musiciens, et parlent des oeuvres elles-mêmes, sous un angle souvent pédagogique ;
2- les anime dont la musique est une inspiration : aussi rares que passionnants, ils partent d'une oeuvre sur laquelle l'histoire est développée ;
3- les anime dont la musique sert d'illustration : innombrables, ils se servent de la musique classique comme fond musical, se basant sur des tubes mille fois entendus (donc connotés) pour souligner une ambiance, une atmosphère ou un climax. Dans ce dernier cas, je ne prétends pas à l'exhaustivité, c'est évident !
Cet état des lieux n'aurait pas grand sens, si je ne commençais pas par rappeler que le Japon a, vis-à-vis de la musique classique, une approche différente de la nôtre. Ce sera donc mon préambule.

Mais au fait : qu'est-ce que la musique classique?

La question n'est pas anodine, car la réponse est fluctuante.


- Définition 1 : Au sens le plus restrictif : la musique classique, c'est l'ensemble de la musique composée à l'époque classique, soit entre 1750 et 1820 environ. Avant, c'était le baroque (par exemple : Bach, Vivaldi), après, c'était le romantisme (par exemple : Brahms, Wagner). Dans ce sens propre, mais étroit, de l'expression "musique classique", il n'y aurait, en gros, que Mozart et Beethoven (je caricature).


- Définition 2 : Au sens large, la musique classique désigne l'ensemble de la musique composée en occident, à l'exception des musiques folkloriques, traditionnelles et populaires. On peut donc la faire démarrer avec le chant grégorien du moyen-âge, et l'étendre à la musique contemporaine savante, en passant par tous les grands compositeurs des époques médiévale, renaissance, baroque, classique, romantique, moderne et contemporaine. Cette définition, la plus courante, exclut donc des genres et des styles proches, comme la musique de film, la musique orchestrale populaire (une adaptation des musiques de Mario Bros pour orchestre symphonique n'est pas de la musique classique), et la musique ancienne ou savante hors d'occident (musiques orientales, notamment).
C'est cette deuxième définition qui est habituellement retenue, et sur laquelle je me base. En conséquence, par exemple, Joe Hisaishi compose de la (très belle) musique orchestrale pour les films Ghibli, mais ce n'est pas réellement de la musique classique. En revanche, Toru Takemitsu, bien que japonais, est considéré comme un compositeur de musique classique, car ses oeuvres s'inscrivent dans la tradition artistique des compositeurs classiques occidentaux, comme Debussy, Stravinsky et Messiaen. Et pour compliquer encore un peu les choses, pas mal de compositeurs de musique classique se sont intéressés au cinéma, et ont composé des bandes originales de films! Vous me suivez?
Mais je vais simplifier la définition une bonne fois pour toutes. Dans le cadre de cet article, grosso modo, la musique classique, c'est la musique des compositeurs Européens des 18ème, 19ème et début 20ème siècles. Et il sera surtout question de Bach, Mozart Beethoven, Chopin, Wagner, Ravel et quelques-uns de leurs collègues.
Vous allez mieux? J'en vois deux qui dorment au fond. Allez, un petit coup de Wagner et ils se réveilleront !
La musique classique au Japon
Ce que je définis plus haut comme "la" musique classique, est avant tout perçue au Japon comme de la musique occidentale. Les japonais ont une culture plus que millénaire, et possèdent leur propre musique savante, cf. toute une série de formes musicales basée sur des instruments spécifiques (luth shamisen, flûte shakuhashi...) et liée à des manifestations culturelles variées, souvent des spectacles (dont le Kabuki). Notre musique classique est donc au Japon une musique d'importation, avec des instruments occidentaux, des compositeurs occidentaux et un background culturel exclusivement européen (et même surtout germanique, vu la pré-éminence des Bach, Mozart, Beethoven, Schubert et Wagner - tous des allemands ou des autrichiens). Cependant, force est de constater que la musique classique y est aujourd'hui extrêmement vivace, au moins autant, sinon plus que chez nous. Quelques signes sont révélateurs :
1- le nombre important de jeunes pratiquants amateurs, au sein des associations et clubs scolaires : au Japon, un collégien doit faire partie d'une assoc'. Le contraire, s'il est possible, est mal vu. C'est une conséquence de la culture de la collectivité, qui veut que les jeunes soit formés, via leurs loisirs, à l'esprit de groupe, essentiel dans la société. Il en découle que pas mal de jeunes se tournent vers la pratique d'un instrument, et forment des orchestres amateurs, ou des formations de chambre. En France, ce phénomène est inconnu, et la musique classique est dès le départ perçue comme un truc élitiste. C'est souvent dans ce cadre que l'on voit des jeunes héros d'anime pratiquer la musique classique (exemple : le quatuor des children de Neon Genesis Evangelion, Shinji, Rei, Asuka et Kaworu).


2- le nombre important d'orchestres symphoniques de haut niveau, qu'ils soient publics ou privés : parmi les plus notables ou originaux, je citerai : l'Orchestre symphonique de la NHK (au sein de la radio & télévision publique japonaise), l'Orchestre symphonique Yomiuri du Japon (seul orchestre au monde appartenant à un groupe de presse écrite, le Yomiuri Shimbun), le Bach Collegium Japan (remarquable, et spécialisé dans la musique... de Bach), l'Orchestre Saito Kinen (fondé par le chef Seiji Ozawa, il est éphémère, et se compose de musiciens d'autres grands orchestres, à chaque édition du festival de Matsumoto), etc...  

  

Un bémol, tout de même, assister à un concert au Japon reste onéreux, et n'est pas à la portée de tous. On assiste donc à un phénomène connu chez nous : les salles de concert reçoivent un public plutôt nanti, et pas forcément très jeune. C'est pourquoi des initiatives apparaissent, comme la Folle Journée de Tokyo, petite cousine de la Folle Journée de Nantes, depuis quelques années. Comme le dit Tanaka Yasushi, éditeur de presse spécialisée dans le domaine de la musique classique, "Les Japonais entretiennent un rapport paradoxal avec la musique classique : elle est présente partout dans leur quotidien ; le Japon est le plus gros marché de musique classique avec les Etats-Unis ; il y a plus de 20 concerts de classique par jour à Tokyo ; on enseigne aux enfants les bases de cette musique ; et pourtant, seulement 2% de la population japonaise en écoute régulièrement. Le classique reste une musique d’élite, et c’est dans ce contexte que la Folle Journée a été exportée dans notre pays."

Cela dit, les japonais, quand ils aiment, font rarement les choses à moitié. Témoin, Yukio Yokoyama, (ci-contre) un pianiste connu, a annoncé récemment son intention de battre son propre record du plus long concert de Chopin, en enchaînant les 212 morceaux pour piano composés par le musicien lors d'un concert de 18 heures à Tokyo. Cela se déroulera cette année, en mai 2011, à l'opéra de Tokyo. Yukio Yokoyama n'est pas un rigolo : il a eu le 3ème prix au concours Chopin en 1990. Pas un rigolo, mais un doux dingue, peut-être !

 
3- ce qui nous amène au succès croissant des jeunes musiciens japonais professionnels aux concours internationaux : de plus en plus, les jeunes solistes japonais remportent des premiers prix (cf. Dai Miyata, vainqueur 2009 du concours Rostropovitch, Kazuki Yamada lauréat 2009 du Concours des jeunes chefs d'orchestre de Besançon).
Il faut aussi citer le fait que le Japon possède plusieurs écoles très dynamiques dans l'enseignement de la musique classique, principalement auprès des jeunes enfants : les écoles Yamaha et Suzuki, notamment, dont les méthodes efficaces sont exportées jusque chez nous (cf. les écoles de musiques Yamaha, que l'on voit un peu partout).
- enfin, est-il utile de citer tous les musiciens japonais célèbres? Juste quelques-uns alors et en images seulement - pas la place de faire autant de biographies) :



Chez nous, en France, la musique classique est si profondément liée au patrimoine, qu'elle possède un déficit d'image auprès de la jeunesse. Elle est associée aux musées, aux cathédrales, aux vestiges du passé, aux cours d'histoire. Et au si rasoir cours de musique obligatoire du collège... Tout est fait comme si la musique classique devait être vecteur d'ennui, d'obligation, de radotage. Au Japon en revanche, il y a comme je le disais plus haut une identification immédiate de la musique classique à la culture européenne, à quelque chose d'un peu exotique, et de prestigieux. Cela se voit dans les anime. C'est même un effet facile, et à la mode. Lorsque l'on veut illustrer un moment solennel, ou un passage dramatique, ou au contraire romantique, quoi de plus naturel que de convoquer Bach, Beethoven, ou Wagner? Ah, les violons, le piano, les voix angéliques, l'orgue d'église... Les exemples, dont je citerai certains plus bas, ne manquent pas (à droite, une illustration d'un visual novel, Tsuki no Sango - je sais, c'est pas de l'anime, mais c'est joli, non?).

Par ailleurs, si on se rappelle que le Japon et l'Allemagne ont eu des liens politiques à une certaine époque de leur histoire, on peut comprendre que la musique germanique a bénéficié d'une certaine prééminence. D'où la forte présence, dans les b.o., des compositeurs allemands et autrichiens, de Bach à Wagner. Le goût pour la culture et le luxe français ont favorisé également les compositeurs bien'd'cheu nous, comme Ravel ou Satie. En revanche, les compositeurs italiens (Vivaldi, Rossini, Verdi...) ou russes (Tchaikovsky, Stravinsky, Prokofiev...), pourtant très joués en Europe, n'ont pas la même aura au Japon. Cela dit, il faut relativiser, le choix d'oeuvres demeure assez vaste, comme on le verra maintenant.


Les anime mettant en scène des musiciens
Il s'agit des séries : Nodame Cantabile, La Corda d'Oro, Piano, Princess Tutu ; et des films : Piano Forest et Goshu le violoncelliste. Dans ces exemples, la musique est au centre de l'oeuvre. De façon souvent assez pédagogique, la musique sert de prétexte à l'affirmation de la personnalité, à la construction de l'individu, à son apprentissage de la relation à autrui, et à l'intégration à un groupe (orchestre, club, école) qui symbolise la société.

Goshu le violoncelliste

Sero Hiki no Goushu

d'Isaho Takahata (1981)

Goshu est typiquement une histoire d'initiation, où la musique sert à magnifier l'échange et la collaboration entre les êtres, grâce à l'écoute mutuelle. Au départ, Goshu est un garçon introverti, incapable de jouer correctement dans l'orchestre municipal dont il fait partie. Doué techniquement, il est ne sait pas jouer avec son coeur. C'est en s'isolant dans une cabane, en pleine nature, qu'il va recevoir, plusieurs nuits durant, la visite d'animaux, qui vont lui inculquer le goût de l'effort, du don de soi, et de l'harmonie. L'orchestre est comme la nature, il ne vaut que comme un tout harmonieux, où Goshu doit trouver sa place. Comprenant que la musique, lorsqu'elle est jouée de toute son âme, peut apporter de la joie, il retourne auprès de l'orchestre, et peut aller enfin à la rencontre de ses pairs, et du public.

Basé sur un conte original de l'auteur japonais Kenji Miyazawa, dont un des principaux thèmes est l'évocation de la nature dans la campagne nippone, Goshu le violoncelliste est devenu un classique de l'animation (c'est le cas de le dire), désormais montré dans les écoles de musique pour éveiller les élèves à l'oeuvre de Beethoven, à travers une de ses plus célèbres symphonies : la 6ème, dite "Pastorale". C'est un juste hommage à l'intention première de Takahata, qui déclara : "Peut-être aurait-on pu réduire les interludes musicaux du film, mais j'ai insisté pour qu'on utilise les morceaux principaux dans leur intégralité. Je souhaitais que le spectateur ait envie de réécouter la sixième symphonie après avoir vu le film." Cette déclaration amène deux remarques : d'une part, le choix de la Symphonie Pastorale, qui n'est pas dans le conte original, est un choix délibéré de Takahata. En effet, la Pastorale, comme son nom l'indique, est une évocation de la nature à travers des scènes champêtres, et Beethoven avait même écrit un véritable scénario pour sa symphonie : les quatre mouvements s'intitulent : 1- "Éveil d'impressions agréables en arrivant à la campagne "; 2- "Scène au bord du ruisseau" ; 3- "Tonnerre - Orage" ; 4- "Chant pastoral. Sentiments joyeux et reconnaissants après l'orage". Bref, la Symphonie Pastorale est une oeuvre à programme, ce qui est relativement nouveau dans la musique de l'époque, mais qui correspond à son caractère romantique. D'autre part, ce n'est pas tout-à-fait l'oeuvre originale que l'on entend dans Goshu, mais une adaptation, par Michio Mamiya (qui retavaillera avec Takahata pour le Tombeau des lucioles), dans le but de mettre en avant le rôle soliste du violoncelle. A noter que la Symphonie Pastorale figure, également retravaillée (par Leopold Stokowsky) dans le film de Disney, Fantasia.

Pour aller plus loin : Discographie : la plus belle version discographique de la Symphonie Pastorale est probablement celle de Carlos Kleiber, dirigeant l'Orchestre d'Etat de Bavière, en live, chez Orfeo. On peut aussi en trouver d'autres, passionnantes, par exemple Philadelphie/Szell (Sony), Dresde/Blomstedt (Brilliant Classics),  ou encore Berlin/Karajan (DG), Europe/Harnoncourt (Teldec).

Pour vous, un extrait libre de droits (donc, d'avant 1960) : tout le 1er mouvement "Éveil d'impressions agréables en arrivant à la campagne", par l'orchestre Philharmonia, Karajan, 1953 (durée, 9mn20s) :

Piano Forest

Piano no Mori

de Masayuki Kojima (2007)

A l'instar de Goshu, Piano no Mori est un film tous publics, notamment destiné à l'éveil des plus jeunes à la musique classique. Comme je le disais dans un billet récent, le but est de montrer au jeune public, à travers l'histoire de Kai et de Shuei, que la musique classique n'a rien d'austère ni de rebutant, et qu'au contraire, elle est source de joie et de plaisir. On voit en effet ces deux enfants, à travers une histoire merveilleuse de piano abandonné dans la forêt, confronter leurs façons totalement différentes de concevoir la musique, et au final, apprendre mutuellement l'un de l'autre. Shuei, le jeune futur concertiste, redécouvre la joie simple de jouer, et de s'exprimer de façon personnelle et libérée, tandis que Kai, le sauvageon génial, découvre les vertus des gammes et le plaisir d'apprendre des oeuvres de grands compositeurs.

Une des grandes qualités de ce long métrage est le soin extrême apporté au réalisme de l'animation des doigtés sur le clavier : je n'avais jamais vu cela auparavant. L'autre qualité est le niveau exceptionnel de l'interpétation musicale, la direction artistique ayant été donnée à un immense musicien, Vladimir Ashkenazy (photo), vainqueur du concours Chopin en 1955 et aujourd'hui chef d'orchestre. Ceci contribue aussi à la vérité du contexte musical de l'oeuvre, et notamment la scène de l'organisation du concours des jeunes pianistes. Ce passage met en lumière la pression de la compétition, mais en donne une conclusion aussi drôle qu'innattendue (non ! je ne spoilerai pas).

Côté musique, Piano no Mori donne un intéressant florilège d'oeuvres célèbres, Chopin, Mozart, Bach se taillant la part du lion (également un peu de Beethoven, Mendelssohn et Shumann). Un des moments emblématiques du film, c'est lorsque Kai supplie le professeur de musique de lui apprendre à jouer la "valse-minute" (ou "valse du petit chien") de Chopin.  

Extrait libre de droits : Chopin : Valse n°6 dite "Valse du petit chien" ou "valse-minute", par Dinu Lipatti, 1950.

En fait, chacun à sa manière, Goshu le violoncelliste et Piano no Mori délivrent le même message : jouez, ou écoutez du classique ! A travers mes articles, je ne dis pas autre chose...

  

(Au sujet de Nodame Cantabile, La Corda d'Oro, Piano, Princess Tutu : cette section est vide, insuffisamment détaillée ou incomplète. Votre aide est la bienv Oui ben ça va, je sais que je suis à la bourre, alors j'en parlerai quand j'aurai fini de les visionner !)

La musique classique, source d'inspiration
Je ne citerai que deux exemples : Tableaux d'une exposition, d'Osamu Tezuka, et Harlock Saga. J'aurais pu citer aussi Magnetic Rose, un des trois courts de "l'omnibus" Memories, où figurent des allusions aux héroïnes d'opéras de Puccini, surtout Madame Butterfly (avec même un extrait, chanté par Maria Callas) - mais même si je l'aime beaucoup, il n'est pas aussi exemplaire, musicalement, que les Tableaux et que Harlock Saga.

Tableaux d'une exposition

Tenrankai no E

d'Osamu Tezuka, 1966

D'une durée de 37 minutes, soit exactement le minutage de l'oeuvre musicale qui lui sert de support, Tableaux d'une exposition est un film à part, tant dans l'oeuvre de Tezuka que par rapport aux autres anime japonais. D'un style avant-gardiste, et d'inspiration satirique, il se compose de 10 courts, chacun étant un "tableau" accroché aux murs d'une exposition de peinture imaginaire. Lorsque la caméra s'approche de l'un d'eux, il s'anime, et une petite histoire sans paroles commence. On voit successivement la caricature d'un journaliste, un jardin triste et artificiel dans une zone hyperurbanisée, un chirurgien esthétique, un directeur d'usine qui traite ses ouvriers comme des machines, des poussins psychédéliques, un éléphant boxeur, le tournage d'une publicité, un délire sur la méditation transcendentale, une dénonciation de la guerre et un final à la fois ironique et en apothéose. Le ton général est pessimiste, féroce, mais drôle. A noter que ce film ne ressemble, graphiquement, à presqu'aucune oeuvre phare du maître : ici, Tezuka se lâche, et expérimente, pusique chaque court qui compose ces tableaux est d'un style différent - bien qu'aujourd'hui, on puisse le trouver daté.

Les Tableaux d'une exposition sont basés sur un long poème musical, du compositeur russe du 19ème siècle  Modeste Moussorgsky, en l'occurrence une illustration musicale d'une exposition de peinture, dont les tableaux ont réellement existé. A l'origine, l'oeuvre est composée pour le piano, mais elle a été rendue célèbre par l'arrangement, pour orchestre symphonique, qu'en fit Ravel. La structure en est assez simple : le thème principal est celui de la promenade, sur un ample rythme de marche, et s'arrête lorsque le visiteur s'attarde sur un tableau. Commence, alors, chaque fois, un nouveau thème musical, qui illustre la scène représentée. Les Tableaux d'une exposition, par leur facilité d'accès, et par leur caractère descriptif, sont très populaires auprès du grand public, notamment auprès des enfants. Dans le film de Tezuka, la musique est interprétée par l'Orchestre Symphonique de Tokyo, dirigé par Akiyama Kazuyoshi. Le film figure, avec d'autres courts comme la Légende de la Forêt ou Histoires du coin de la rue, sur un DVD distribué par les Films du Paradoxe. (Pour voir un extrait du film, cliquez sur la jaquette.)

Pour aller plus loin : Discographie : s'il fallait un seul disque pour découvrir les Tableaux d'une exposition, je citerais, sans hésiter : celui où figurent les deux versions de l'oeuvre, d'abord pour piano, jouée par Byron Janis, ensuite celle pour orchestre, par le symphonique de Minneapolis, dirigé par Antal Dorati. Ce disque est une fête pour les oreilles, avec une stéréo extraordinaire, et des interprètes de premier plan. Un de mes disques préférés, tout simplement. Je vous le recommande vraiment !

Extrait libre de droits : Moussourgsky : Les Tableaux d'une exposition, intégrale, par l'orchestre Philharmonique de Berlin, direction Igor Markevitch, 1953.

Harlock Saga

Harlock Saga : Nibelung no yubiwa - Rhein no ôgon

Yoshio Takeuchi, d'après Leiji Matsumoto, 1999

Harlock Saga est un cas. C'est, à ma connaissance, le seul anime (basé sur le manga du même nom) qui s'inspire d'un synopsis d'opéra.Vous me direz, c'est une façon de prendre l'expression space opéra au pied de la lettre. Mais plus sérieusement, il s'agit réellement d'une adaptation de la Tétralogie de Wagner, soit le cycle de quatre opéras (L'or du Rhin, La Walkyrie, Siegfried,  le Crépuscule des Dieux) que Wagner acheva en 1874, et qui a marqué l'histoire de la musique. Le manga est, d'après ceux qui l'ont lu, bien plus achevé et complexe que l'anime. L'objet de cet article n'étant pas de le critiquer, je ferai tout de même une comparaison entre l'anime et le cycle de Wagner.

Dans l'oeuvre de Wagner (qui en plus de composer la musique, écrivit aussi le livret, c'est-à-dire l'histoire) les Dieux sont en déclin. Wotan, le roi des Dieux, craint que les hommes n'accélèrent leur chute. Alberich, le Nibelung, en profite pour voler l'or du Rhin, et s'en sert pour forger un anneau de pouvoir. Wotan parvient à le lui reprendre, mais l'anneau est maudit, et provoquera désormais la chute de celui qui le possède. Wotan l'offre d'abord aux frères géants, Fasolt et Fafner, en récompense d'avoir construit le Walhalla. La malédiction les frappe : Fafner tue son frère pour posséder l'anneau. Plus tard (après bien des évènements très très compliqués), Siegfried, un humain (mais petit fils de Wotan) a été élevé par Mime, le frère d'Alberich. Mime lui donne une épée pour tuer Fafner et reprendre l'anneau. Siegfried y parvient mais la malédiction le frappe (ainsi que presque tout le monde). Il perd la mémoire, trahit son amour, la Walkyrie Brünnhilde et meurt de la main de Hagen, le fils d'Alberich (vous suivez?). Brünnhilde se suicide en pardonnant à Siegfried, en se jetant dans un bûcher. Mais le Rhin se réveille, éteint l'incendie, et détruit le Walhalla avec les Dieux dedans. Hagen tente de récupérer l'anneau mais se noie. L'anneau, purifié, revient entre les mains des filles du Rhin. Les Dieux sont morts, c'est l'avènement de l'âge des hommes.

Dans Harlock Saga, l'histoire est à peu près la même, mais sans Siegfried (à la place, on a Harlock?). La différence est que cela se passe dans l'espace, que Mime est une femme et l'amie d'Harlock, et qu'elle tente de protéger le vol de l'or du Rhin (le Rhin est une planète) par Alberich, puis elle aide Harlock a récupérer l'anneau, avec la puissance du vaisseau Arcadia.

J'ai pas réussi à faire plus court, désolé. Mais bon, les quatre opéras à la suite, ça fait bien dans les 15 heures de musique non-stop ! Musicalement, l'oeuvre de Wagner est révolutionnaire en bien des points, que je ne saurais tous résumer ici. Je balaie tout de même un malentendu : l'opéra de Wagner n'est PAS une musique de nazis. Wagner est mort 50 ans avant l'avènement du Reich, tout de même. Ce que les nazis en ont fait, ça n'a rien à voir. Bref. L'oeuvre de Wagner est passionnante car pour la première fois, elle réalise la fusion du chant, de la musique et du décor, dans le fameux théâtre de Bayreuth, conçu par Wagner. L'idée étant de proposer un spectacle total, et non un spectacle juste musical avec une succession d'airs chantés à la suite les uns des autres. Dans un opéra de Wagner, la musique et le chant sont un flot continu, construit par succession de motifs (les fameux leitmotivs) musicaux. Je vous assure que s'il faut un jour casser sa tirelire pour aller voir un opéra une fois dans sa vie, autant que ça soit du Wagner, histoire d'en prendre plein les oreilles et les mirettes...

Harlock Saga reprend la musique de la Tétralogie, en exploitant le principe des motifs, mais sans le même extrêmisme. Cela reste un anime, tout de même ! Il n'en demeure pas moins que l'utilisation des thèmes musicaux de Wagner est remarquablement efficace, en accord avec les images. Le motif le plus utilisé ici est celui de la marche funèbre, dès l'opening, pour bien souligner que ce qui suit est un combat où se joue le sort de l'humanité... A noter qu'il s'agit d'adaptations, réalisées par Kaoru Wada (Gunnm, Princess Tutu, Casshern Sins...). Mais toujours fidèles à l'esprit. Bref, un essai passionnant (quoique imparfait, mais c'est une autre histoire).

Pour aller plus loin : Discographie : la Tétralogie de Wagner, en CD, c'est forcément un coffret, d'environ 14 CD. Faut être d'humeur. Mais un best-of, ce n'est pas ça non plus : on risque de ne rien comprendre. Dans la mesure où Harlock Saga ne reprend que des passages orchestraux, c'est-à-dire non chantés, je vous recommande donc de vous rabattre sur une sélection des passages purement orchestraux de Wagner. Avec, pourquoi pas, des extraits d'autres oeuvres de Wagner, comme Lohengrin ou le Hollandais Volant. Il y en a une excellente, c'est celle du Philharmonia Orchestra, dirigé par Otto Klemperer, chez EMI. Un bon double CD d'intitation à Wager, que je recommande.

Et allez, zou, non pas un, mais deux extraits orchestraux, faut bien ça avec un si gros beau monument !

Extraits libres de droits :

1- La chevauchée des Walkyries, Orchestre du Festival de Bayreuth, Karajan, 1951

2- La marche funèbre de Siegfried, Philharmonia Orchestra, direction Wolfgang Sawallisch, 1958

La musique classique en fond sonore

Restent les cas où la musique classique n'est ni le sujet, ni le fondement de l'histoire. Méchamment, je pourrais insinuer qu'elle n'est plus là qu'en fond sonore. Mais, parfois, avec une réelle pertinence, jusqu'à apporter une nouvelle dimension à l'anime qu'elle illustre, ou mieux, incarne.

Il faut donc distinguer entre les cas où la musique participe activement au développement de l'anime, à son identité (Neon Genesis Evangelion ; Gankutsuou ; Nazca ; Legend of galactic heroes ; Gunbuster), et les cas où elle n'est là que pour souligner un moment clé, de façon allégorique (La traversée du temps ; A wind Named Amnesia ; Cowboy Bebop ; FLCL). Et puis il y a aussi tous les anime où la musique classique ne fait que de la figuration, de façon plus ou moins anecdotique. Ces anime sont légion, et il serait vain de les citer tous (surtout que, ceux-là, je serai honnête, dans la plupart des cas, je ne les ai pas vus, juste trouvés au fil de mes recherches.). Dans ces exemples, si les oeuvres sont faciles à identifier, il est par contre trop difficile de trouver les interprètes, sauf à farfouiller des heures durant dans les crédits...

Je vous donne tout de même quelques exemples, disons, de ceux que j'ai mis sur mes tablettes, et que j'ai prévu de visionner plus tard :

Kare Kano (Elle et Lui) : Dance Polovtsienne n°17, extraite de l'opéra de Borodine, "le Prince Igor"

Noir :  Dance Polovtsienne n°17, extraite de l'opéra de Borodine, "le Prince Igor"

Patlabor III le film : adagio de Sonate n°8 "Pathétique", de Beethoven

Rahxephon : Dance Polovtsienne n°17, extraite de l'opéra de Borodine, "le Prince Igor"

Read or Die : 4ème mouvement de la 9ème symphonie de Beethoven.

 Vous avez remarqué? Cette intriguante "Danse Polovtsienne", qui revient trois fois. Vous la connaissez certainement, pas forcément par son nom mais par sa mélodie, c'est un tube de la musique russe... Il s'agit d'un passage spectaculaire de l'opéra "le Prince Igor", de Borodine (1888). Comme je suis sympa, je vous propose un extrait (libre de droits, mais oui, on sait), et puis c'est vrai que c'est très beau !

Extrait libre de droits : Borodine :  Ouverture et Danses Polovtisennes, par l'orchestre Philharmonia, direction Lovro Von Matacic, 1958 (durée 11mn29s - le passage le plus célèbre commence à 3mn50s) .

Classique et space opera

C'est assez amusant de rapprocher musique classique et space opera. Je rappelle que l'expression space opera désigne une saga de science-fiction, se déroulant dans l'espace intersidéral, mettant en scène des forces antagonistes dans un contexte généralement de guerre, avec un background complexe.  L'expression space opera évoque à la fois le gigantisme, l'héroïsme, et... une musique qui a de la gueule. Si on se réfère aux  grandes sagas hollywoodiennes,  Star Wars pour n'en nommer qu'une, force est de constater que la musique symphonique y joue un rôle capital. Peut-on seulement imaginer Star Wars sans les thèmes de John Williams?

En anime, le space opera a connu des genres musicaux différents. On peut citer Captain Future, dont la bande originale a des accents jazz et funky, dus à la patte du talentueux Yuji Ohno, également responsable de la musique de Lupin III. Il y a aussi le précurseur Super Dimension Fortress Macross, qui fait la part belle aux chansons nippop de Linn Minmei.

Plus typique est la musique de Gunbuster, qui sans pouvoir être classée explicitement dans la catégorie musique classique, possède une bande originale de style symphonique grandiose, et magnifiquement arrangée. La musique de Gunbuster comporte de nombreux titres directement inspirés d'oeuvres classiques existantes, parfois à la limite du pastiche (il pastiche aussi outrageusement la musique du film "les Chariots de feu" !). C'est ainsi que le titre "Gekou - shin sekai yori" est un calque du 2ème mouvement de la 9ème symphonie de Dvorak, dite "du Nouveau monde"... Un autre morceau, au piano solo, ressemble à s'y méprendre à une sonate de Mozart., tandis que le morceau curieusement intitulé "Kiki", illustrant l'attaque des aliens, reprend l'introduction du poème "Mars", du compositeur Holst (mais Holst a été très pastiché, y compris, par... John Williams dans Star Wars !). 

Je ne reviendrai pas encore une fois sur Harlock Saga, car c'est un cas d'école. En revanche, Legend of galactic heroes (Ginga Eiyû Densetsu) mérite qu'on s'y attarde. Pas sur les innombrables épisodes de la série, un post ne suffirait pas à lister tous les chefs d'oeuvre de musique classique qui lui servent d'illustration (il existe un coffret de 23 CD, dont 22 uniquement consacrés à la musique classique !). Je me concentrerai sur le film fondateur, remontant déjà à 1988 : My conquest is the sea of stars.

Pour ceux qui n'ont jamais vu un épisode, ni un des films de Legend of galactic heroes, je précise que la  musique classique est presque omniprésente. Typiquement, il s'agit de thèmes essentiellement romantiques, et presque toujours germaniques : Beethoven, Schubert, Brahms, Wagner, Brückner, Mahler sont les plus souvent présents. Cela tient bien entendu au fait que l'une des parties en présence, dans cette guerre sans merci, est l'Empire Galactique, une monarchie inspirée par la Prusse du 19ème siècle. On imagine mal le fier Reinhard Von Müsel avec du Rossini en musique de fond...

Ceci étant, le film My conquest is the sea of stars présente un exemple remarquable de ce que la musique classique peut apporter à un space opera, lorsqu'elle est choisie avec goût et discernement : c'est l'inoubliable scène de la quatrième bataille de Tiamat, avec... le Boléro de Ravel en fond musical. Imaginez, cette musique en crescendo permanent, répétant encore et toujours le même motif de danse, de plus en plus fort, jusqu'au climax, où tout l'orchestre martèle les derniers accords comme autant de coups de tonnerre... jusqu'à l'effondrement final. En adéquation parfaite avec les phases de la bataille : observation, manoeuvres, feintes, assauts... Les vaisseaux qui forment un véritable ballet... Pas sûr que c'est ce que Ravel avait en tête, mais ça fonctionne à la baguette... Mais comme une vidéo vaut mieux qu'une longue explication, voici l'extrait en question. Attention, ça déchire (durée : 15mn - désolé pour les 35 premières secondes qui n'ont rien à voir, c'est un jingle).

   A propos du Boléro de Ravel, il convient de rappeler qu'en France, l'oeuvre n'est pas considérée comme étant tombée dans le domaine public. Si on applique la loi stricto sensu (Code de la propriété intellectuelle), elle ne pourra être diffusée sans payer de droits qu'en 2018. Seulement, selon une directive européenne, visant à harmoniser les règles dans les différents Etats membres de l'Union, le Boléro de Ravel... serait déjà dans le domaine public depuis 2008 ! Je prends donc le risque de mettre un lien musical, en espérant ne pas devoir le supprimer.
Extrait libre de droits
(j'espère ne pas me tromper): Ravel : le Boléro, par le Boston Pops Orchestra, dirigé par Arthur Fiedler, 1953 (durée 7mn36s). Une version amusante, rutilante, hyper speed, presque en accéléré, lorsque la durée normale est plutôt de 15mn ! Enjoy.

La musique classique comme carte de visite

Musique d'illustration, musique d'atmosphère, la musique classique sert aussi parfois à donner une identité, ou un supplément d'âme à un anime. C'est le cas par exemple pour Nazca, série de 1998 entre aventure et fantasy sur le thème des incas, dont je ne discuterai pas ici des qualités intrinsèques (je dirais simplement que ça a pas mal vieilli, et que je ne l'ai pas finie - voilà). Nazca se signale en revanche par une musique de générique d'opening qui marque, consistant en une reprise d'un prélude extrait du Clavier bien tempéré, de Bach, version chantée, avec le poème "Faust" de Goethe comme texte, et une rythmique drum'n'bass. Le résultat, assez kitsch, passe bien, et c'est ce qu'on retient de Nazca : la série bof avec la chanson qui bute. Le résultat est quand même très éloigné de l'original, que je vous mets juste après. Visionnage (notez l'allemand avec un accent assez particulier) : 


Extrait libre de droits : Bach, Clavier bien tempéré, prélude n°16, par Rosalyn Tureck, 1953.

Dans Gankutsuou, la musique a une présence bien plus importante. J'aurais pu à la rigueur même citer cette remarquable série parmi celles qui ont la musique pour sujet, à l'instar de Nodame Cantabile ou de la Corda d'Oro. Mais si un des personnages, la jolie Eugénie Danglard, est effectivement pianiste, et même concertiste professionnelle, ce n'est pas le thème principal. Reste que la musique classique est très présente, à certains moments clé de la série, et qu'elle y joue un rôle plus que décoratif. Les morceaux choisis sont en phase avec le style visuel de Dankutsuou, et en adéquation avec le roman de Dumas dont elle s'inspire : le Comte de Monte Christo.

C'est ainsi que la première rencontre entre Morcerf et d'Epinay, et le Comte, se situe à l'Opéra de Luna (sur la Lune, oui oui, c'est de la S-F, je rappelle), lors d'une représentation de "Robert le Diable", un opéra romantique du compositeur français Meyerbeer. Cette oeuvre, qui est une variation sur le mythe du pacte avec le diable, est évidemment choisie en tant que clin d'oeil à la nature quasiment démoniaque du Comte.

Une autre scène importante se déroulera lors d'une représentation d'opéra, au Palais Garnier à Paris cette fois, celle où Haydée, la belle extra-terrestre, va attirer tous les regards du public... A ce moment, sur scène, se joue la "scène de la folie", de l'opéra Lucia di Lammermoor, de Donizetti. Là aussi, la scène, tragique, est choisie avec soin, puisque que Lucia di Lammermoor est un drame qui raconte, sur fond de meurtres et de trahisons, le glissement vers la folie (et la mort) de Lucie, victime d'une machination. L'opéra servira encore de cadre au récital d'Eugenie Danglard, lorsqu'elle interprète le concerto pour piano de Rachmaninoff, grand moment de romantisme où la jeune pianiste peut enfin donner toute sa mesure à son tempérament artistique, elle qui d'habitude est si réservée. A d'autres moments, on entend encore Eugénie jouer à plusieurs reprises de son piano, notamment Mozart, Schumann et Debussy. Elle finira par réussir en tant que concertiste, jusqu'à lancer une véritable carrière.

Il faut tout de même reconnaître que la musique qui reste dans les mémoires, après avoir vu Gankutsuou, c'est la superbe chanson d'opening, due à Jean-Jacques Burnel - mais là aussi, le classique n'est jamais loin : la mélodie s'inspire d'une pièce de Chopin, l'étude n°3 opus 10 pour piano... Le même morceau qui a servi de modèle à Gainsbourg, pour sa chanson Lemon Incest. Eh oui, un bon paquet des chansons de Gainsbourg (et d'autres chanteurs) sont directement puisées dans le répertoire classique... Pour vous en rendre compte, l'extrait en question :

 

Extrait libre de droits : Chopin, étude n°3 opus 10 pour piano, dite "Chanson de l'adieu", par Alfred Cortot, 1933.

Mais l'anime qui aura le plus marqué par son exploitation de la musique classique, c'est bien entendu Neon Genesis Evangelion. L'anime aura également rendu cet "emprunt" au centuple, puisque certains fans (les stats des moteurs de recherche de mon blog peuvent en témoigner) recherchent encore aujourd'hui les références discographiques des oeuvres de musique classique qu'on y entend !

Dois-je revenir ici en détail sur chaque oeuvre que l'on peut entendre dans Neon Genesis Evangelion? J'y ai déjà consacré un dossier et sept articles... Tiens, allez, je vous remets la liste pour vous faire plaisir.

Evangelion : suite pour violoncelle de Bach, par Shinji

Evangelion : Kaworu et Beethoven

Evangelion : Komm, süsser Tod : Bach, Pachelbel ou Beatles? Anno!

Evangelion : Pachelbel : le canon (de la mort).

Evangelion : le fond de "l'Air" effraie

Evangelion : ma compilation "classique" (en domaine public)

Evangelion : Jésus, calme ta joie

Pour résumer, la présence de musique classique dans Evangelion a participé à l'élévation de cette série au rang de mythe chez les otakus. Elle y figure de trois manières :

1- jouée par Shinji, seul ou en quatuor avec les trois autres children, Rei, Asuka et Kaworu, elle est une émanation de sa personnalité, lorsqu'il arrive à être lui-même, en paix, dans un monde sans evas, sans anges à combattre, un garçon comme les autres, en somme. Le prélude de la 1ère suite pour violoncelle seul de Bach illustre sa sensibilité  artistique, et son tempérament solitaire, tandis que le canon de Pachelbel montre sa capacité à jouer en harmonie avec les autres.

2- en illustration des combats d'evas, la musique de Beethoven et de Bach sert à magnifier deux moments parmi les plus dramatiques de la série : d'une part, le dernier mouvement de la 9ème symphonie de Beethoven, joué en intégralité, accompagne la descente de Kaworu l'ange vers le central dogma, et sa mort choisie et acceptée, de la main de Shinji ; d'autre part, l'aria de la suite pour orchestre de Bach accompagne le dernier combat d'Asuka contre les evas de série, combat d'une violence insoutenable. Dans les deux passages, la musique, lumineuse, profondément humaine, joue en contraste total avec les images.

3- à la fin, lorsque se joue le sort de l'humanité, la version pour piano du choral "Jésus, que ma joie demeure", de Bach (encore) offre une pause à l'esprit de Shinji en train de s'interroger sur sa relation avec le monde. Ce moment d'une rare poésie, accompagné d'images en prise de vues réelles, renvoie également au spectateur sa propre image (scènes de public dans une salle de spectacle).

Beethoven, Pachelbel, mais surtout Bach, trois compositeurs dont la musique possède une grande élévation spirituelle, ou philosophique, qui cadre avec les multiples messages qu'Hideaki Anno a voulu faire passer. Ou, pour être plus juste, avec son état d'esprit au moment de la réalisation de Neon Genesis Evangelion.

La musique classique comme illustration

Avant de conclure, il me reste à évoquer les animes dont la musique classique n'est qu'un moment parmi d'autres, mais qui par leur qualité, et par le choix judicieux des oeuvres, sortent du lot des innombrables anime qui se contentent de puiser dans le répertoire classique pour faire un fond sonore.

Je vais vous surprendre, mais je citerai en premier lieu FLCL, alias Fuli Culi, dont le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il est quand même assez rock'n'roll. Il se trouve quand même que l'anime  possède un morceau de musique classique d'une minute quarante secondes (pas plus, hein) dans sa bande originale, pour illustrer de manière idéale un passage assez speed (ben oui, il n'y a pas que Bach dans la vie) : c'est le Galop des Comédiens, de Kabalevsky, un compositeur russe du 20ème siècle. L'oeuvre est extraite d'une musique de ballet composée en 1940.

Pour vous en rendre compte, je vous mets le lien ici, histoire de ne pas surcharger l'article en vidéos.

Plus sérieusement, quoique... non en fait, Cowboy Bebop a également eu recours à la musique classique, à deux reprises :

1- dans l'épisode 5, "Ballad of Fallen Angels", une scène se déroule à l'opéra, et un ténor chante "l'Ave Maria" de Schubert. Ce n'est pas un passage très marquant, mais je le signale quand même, comme pour FLCL, on ne s'attendait pas à cela d'une série aussi rock. A signaler que "l'Ave Maria" de Schubert n'est pas un air d'opéra, mais en fait un lied (pour chant et piano), cela dit rendu célèbre par les grands ténors comme Luciano Pavarotti, et massacré interprété par des artistes aussi pointus que Céline Dion, Beyoncé ou Mylène Farmer. Mais je m'égare.

2- beaucoup plus notable, et carrément drôle, est l'utilisation de la "Valse des fleurs", du ballet Casse-noisette, de Tchaikovsky, lors du final de l'épisode 11, "Toys in the Attic" (titre d'épisode en référence à Aerosmith, groupe de hard-rock, soit dit en passant). Le passage est remarquable car d'une rare ironie, avec un énorme clin d'oeil à 2001, l'Odyssée de l'Espace. On y voit un frigo (je ne vous raconte pas pourquoi) flotter dans l'espace, en tournoyant, au son de la valse... J'ai trouvé cela excellent et très bien trouvé. Ecoutez l'extrait ci-dessous, imaginez CowBoy Bebop en images dessus, et savourez le décalage...

Extrait libre de droits : Tchaikovsky, la valse des fleurs, extrait du ballet Casse-Noisette, Philharmonia orchestra, dirigé par Igor Markévitch, 1954.

Mais plus qu'une simple illustration, la musique classique peut valloir une véritable allégorie. Ce sont les deux exemples ci-dessous, que j'ai choisis avant de terminer ce long (long? long!!) article.

 

Dans la Traversée du temps, comme dans A wind Named Amnesia, on entend une musique géniale, intemporelle (justement), que vous connaissez certainement : les Variations Goldberg, de Bach. Il s'agit d'une étude pour clavier, composée à l'origine pour le clavecin, d'une durée totale d'environ 30mn, constituée d'un thème exposé lentement et appelé Aria, suivi de 30 variations sur le même thème dans tous les styles de clavier de l'époque : danse, canon, contrepoint, fugue, à une ou plusieurs voix. L'oeuvre se termine par la reprise de l'Aria. Bach l'avait conçue à la fois comme un exercice et comme un divertissement, à destination des musiciens amateurs de bon niveau. Aujourd'hui, les Variations Goldberg (qui prennent leur nom d'un certain Goldberg, supposé dédicataire de l'oeuvre) sont l'oeuvre pour clavier la plus populaire de Bach, qui se joue essentiellement au piano.

La structure de l'oeuvre, par sa répétition de variations dans la même tonalité, suggère l'idée de l'écoulement du temps, avec la succession des minutes suivant le mouvement des aiguilles d'une l'horloge. Le temps comme une boucle sans fin. C'est bien entendu pour cela qu'elle a été choisie pour illustrer la Traversée du temps, film dont l'histoire présente une structure de thème avec variations : lorsque Makoto découvre qu'elle a la faculté de remonter le temps, elle effectue de multiples sauts dans le passé immédiat, ce qui lui fait revivre, avec des variations sans cesse renouvelées, les mêmes moments de la journée écoulée. Rarement, une oeuvre de musique classique a semblé autant en harmonie avec un anime. A croire qu'elle a été écrite spécialement... On pourrait dire, d'une certaine manière, que la Traversée du temps, ce sont les Variations Makoto...

Je l'avais déjà mise en ligne, mais pour vous (et surtout pour moi, j'ai décidément un faible pour la Traversée du temps) je vous re-propose la Bande annonce :



En raison de son expressivité, et aussi de sa popularité, cette musique s'entend dans de nombreux  films, spectacles, et même des jeux vidéos. Et donc, aussi, dans A wind named Amnesia. Dans ce film, toute l'humanité a inexplicablement perdu la mémoire, suite à un cataclysme. On se retrouve donc dans un temps figé, comme à la fin de toute histoire, ce que souligne l'utilisation des Variations Goldberg. Cette fois, par-contre, ce n'est pas la version originale que l'on entend, mais une transcription au synthétiseur (très années 80). Il n'empêche que cette version cadre bien avec l'atmosphère, fantomatique, minimaliste et mélancolique de l'anime.

 Pour aller plus loin : Discographie : le meilleur moyen de découvrir les Variations Goldberg, c'est encore avec Glenn Gould, au piano, en 1981, à la fin de sa vie ; il avait enregistré l'oeuvre dans une version rapide, pleine de vigueur et de jeunesse, en 1955, mais ici, l'oeuvre est décantée, suspendue dans le temps, quasiment mystique. Un immense disque, un must.

Et pour terminer en beauté, écoutez-le jouer l'aria des Variations, dans le film de Bruno monsaingeon : Glenn Gould, au-delà du temps.



Conclusion

Il y a une poignée d'années, retrouver Bach et Beethoven dans une série nommée Evangelion, avait fini par me convaincre que l'anime pouvait être pris au sérieux. Jamais, auparavant, je n'avais trouvé pareille utilisation d'une symphonie de Beethoven, ou d'un air de Bach. De fil en aiguille, j'ai continué à me rendre compte de la richesse des sources d'inspirations de l'anime. Cela ne vaut pas que pour la musique classique ; le rock, le jazz, le cinéma, la littérature, tout y passe, et renouvelle le regard que l'ont peut avoir blasé par chez nous. Au fond, je peux presque affirmer que c'est la musique classique qui m'a amené à l'anime, et l'anime a dépoussiéré cette passion que j'ai depuis longtemps.

Si la musique classique peut amener à l'anime, il n'y a aucune raison que le contraire ne soit pas possible ; je fais le pari que l'anime peut amener vers la découverte de la musique classique. C'est peut-être un peu naïf, ou au contraire très prétentieux, mais si ce panorama que j'ai commencé à débroussailler pour vous peut vous y inciter, alors je serais très heureux. Parce qu'il n'y a de blogs qui vaillent, quelle qu'en soit la forme et le sujet, que ceux qui ont pour but de partager la, ou plutôt les passions.

P.S. Comme vous l'avez noté, un passage de l'article reste à développer. En réalité, c'est l'article tout entier qui devrait probalement être remanié. Il sera remanié. J'envisage de le compléter par une discographie sélective, avec références discographiques plus détaillées, pour vous guider dans vos choix d'achats de disques. Vous me ferez part de vos commentaires, remarques, enrichissements à y apporter. Je compte sur vous.

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