Lire dans l'himalaya

Publié le 04 avril 2011 par Abarguillet

Lire sur le toit du monde

Avec cette étape, notre périple prendra de la hauteur, la hauteur maximum qu’il connaîtra tout au long de ce voyage, en effet, nous enjamberons le Massif Himalayen en quittant l’Inde pour rejoindre la Chine, un escalier gigantesque entre deux mondes immenses. Même sur le toit du monde, il y a des écrivains et nous vous proposerons aujourd’hui de découvrir, ou redécouvrir pour certains, quelques auteurs qui sont désormais traduits dans notre langue. Notre premier étape sera pour Samrat Upadyay, un Népalais, qui enseigne désormais aux Etats-Unis, avant de visiter Pälden Gyatso, un moine tibétain, maltraité par les Chinois et Kunzang Choden qui nous donnera un premier, pour nombre d’entre nous j’en suis sûr, regard sur le Bhoutan et sa culture. Et, pour ne pas nous égarer sur les périlleux sentiers du plus imposant massif montagneux de la planète, nous demanderons à Alai, Chinois du Tibet, de nous guider sur ces chemins dangereux comme un sherpa qui accompagnerait des alpinistes professionnels ou des touristes en mal de sensations.

Les pavots rouges  de Alai ?

« J’étais juste un passant, venu sur cette terre merveilleuse quand le système des chefs de clan approchait de sa fin.» Il était le second fils du chef du clan des Maichi, là-bas à l’est du Tibet, aux confins de la Chine, où « les chefs de clan avaient toujours préféré l’empire temporel de l’est au pays spirituel de l’ouest. » On le disait idiot… mais l’était-il ? En tout cas, c’est lui qui raconte l’histoire du clan des Maichi, de son expansion, de sa splendeur et de sa déchéance.

Dans les années trente, dans ces vallées perdues, les chefs de clan disposent d’une pouvoir absolu sur leur territoire et leurs sujets et se livrent des guerres fratricides pour assurer leur hégémonie et accroître leur trésor. Pour vaincre un vassal félon, le chef du clan des Maichi fait appel à la puissance du voisin chinois qui lui fournit des armes modernes pour assurer une victoire aisée et un prestige certain auprès des autres seigneurs.

A cette occasion, le Chinois incite le chef du clan vainqueur à planter des pavots dont il achètera, lui-même, la production, ce qui apportera une grande richesse à celui qui en assurera la culture. Après plusieurs échauffourées, guerres et autres amabilités entre voisins, tous les clans disposent des graines de pavot et se lancent dans la culture spéculative sans retenue jusqu’au jour où la carence en céréales vivrières crée une dure famine. Seul le clan Maichi, qui a semé de l’orge, tire profit de cette calamité pour augmenter encore ses richesses en vendant son orge à des prix mirobolants et en installant une forme d’autorité sur les autres clans. Le pays entre alors dans l’ère de l’économie de marché, l’idiot construit une véritable ville commerciale à la frontière du pays des Han. « C’était la première fois, dans l’histoire des chefs de clan, que l’on transformait une forteresse en marché. »

Mais cette ouverture deviendra rapidement néfaste aux populations car les blancs et les rouges qui s’opposent en Chine, exporteront vite leur conflit sur la terre tibétaine pour le plus grand tort de cette civilisation des chefs de clans qui connaîtra alors un déclin inéluctable.

Ce vaste récit, à la fois roman picaresque et rocambolesque, conte épique mais aussi parabole sur le pouvoir et son exercice, la puissance et la gloire, le déclin et la déchéance, est prétexte à brosser un vaste portrait de ce Tibet particulièrement méconnu, loin de Lhassa et de son pouvoir, bien différent de l’imagerie habituelle, plus proche de la Chine. Mais, l’auteur, même s’il est Tibétain, est aussi un bon Chinois récompensé par le plus grand prix littéraire de son pays, le prix Mao Dun, aussi sa version n’est-elle pas forcément la plus objective, mais c’est un regard qu’il ne faudrait tout de même pas oublier.

Ce récit a aussi le mérite de démontrer comment une culture hautement spéculative a pu, en s’appuyant sur la cupidité des hommes, conduire une civilisation vers son déclin en lui inculquant la gangrène que véhicule l’économie de marché, à l’image des drogues et maladies vénériennes qui envahissent les villes nouvelles dévolues au commerce. Les bordels s’installent aux côtés des auberges, des banques et autres échoppes et répandent la syphilis dans les populations corrompues. L’enrichissement brutal de ce pays, resté jusque là dans les nimbes médiévales, va inéluctablement attirer le regard du puissant voisin qui, en manipulant les chefs de guerre frontaliers, va trouver, là, une excellente porte pour entrer dans ce territoire qu’il revendique depuis un certain temps déjà.

L’idiot qui narre cette saga familiale, l’aventure de tout un peuple, la déchéance d’une civilisation, la fin d’une époque, n’est peut-être finalement pas si idiot que ça. Car, s’il n’a pas forcément l’intelligence de son frère aîné, il a des intuitions souvent très opportunes, un bon sens bienvenu, et il sait user à bon escient de la ruse et de l’astuce qu’il oppose à la force brutale des autres. « Je savais, à présent, quand je devais surprendre ceux qui me méprisaient en ayant l’air d’être la personne la plus intelligente du monde. Puis, quand je leur avais fait assez peur pour qu’ils me traitent comme un garçon intelligent, j’agissais à nouveau stupidement. » Et, c’est un intéressant discours sur le pouvoir et son exercice, l’intelligence et l’intuition, la stratégie et le hasard, que nous propose Alai à travers ce texte qui pourrait paraître un peu primaire à certains, d’autant plus, qu’en ce qui me concerne, je n’ai lu qu’une version traduite de l’américain. Les risques de déperditions et de transformations ne sont tout de même pas nuls en passant du chinois à l’américain et de celui-ci au français.

J’ai eu l’impression, par moments, d’entendre comme des roulements de tambour venus du côté de chez Gunther Grass, mais ce n’est peut-être qu’une impression, « … même les gens intelligents sont quelquefois stupides. »

 

Dieu en prison à Katmandou  de Samrat Upadyay  ( 1954 - ... )

Upadyay est Népalais, même s’il enseigne désormais aux Etats-Unis. Dans ce livre, il évoque la rencontre difficile entre la tradition népalaise et la culture moderne qui a envahi Katmandou, devenue une vaste mégapole anarchique, victime d’un développement très rapide de sa population sans aucun aménagement ni aucune planification, c’est l’anarchie permanente gérée par un régime totalement anachronique et dépassé par les événements. Dans ce roman, une famille réussit à marier son fils indiscipliné avec une riche héritière affligée d’une légère boiterie, mais un bon mariage arrangé, construit sur des bases solides par les deux familles, vaut, parfois, aussi bien qu’un mariage soi-disant d’amour.

Le feu sous la neige  de Pälden Gyatso  ( 1933 - ... )

Pälden Gyatso est un moine tibétain qui a participé au soulèvement de 1959 contre les occupants chinois, il a été arrêté et interné en prison. Ce livre est le récit de sa détention qui a duré trente trois ans avant qu’il puisse s’enfuir à Dharamsala où réside l’administration tibétaine en exil dans le nord de l’Inde. Pour raconter son aventure, ses détentions, ses tortures, son passage dans les camps de rééducation et sa fuite finale après sa libération définitive en 1990, il s’est adjoint l’appui de l’historien tibétain Tsering Shakya. Aujourd’hui, il témoigne à travers le monde sur le sort des détenus tibétains dans les prisons chinoises en exhibant les stigmates des tortures qu’il a subies et les quelques objets qu’il a pu sortir de son pays comme preuve de ses malheurs.

Le cercle du karma  de Kunzang Choden  ( 1952 - ... )

Merci Kunzang d'entrouvrir la porte du Bhoutan, de ce pays si mystérieux et si refermé sur lui-même, où la religion, une certaine philosophie et peut-être même un certain obscurantisme, conduisent les populations à subir leur karma avec sagesse et résignation. Pour Tsomo le karma n'a pas été ingrat, il lui a tracé un long chemin tant par la distance que par les rencontres qu'elle a faites et les avatars qu'elle a connus. Ces malheurs à répétition retirent un peu de sa crédibilité au récit et le privent de la véritable dimension spirituelle qu'il aurait pu avoir. Il n'est pas toujours nécessaire de charger la barque pour retenir et émouvoir le lecteur qui de ce fait retient plus l'exotisme du roman que les messages qu'il distille sur la religion, l'acceptation du sort ou la libération de la femme.

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