« regarde, Chérie, le paysage
impeccable — impeccablement quadrillé
par police et d’autoroutes — un peu
comme dans notre enfance mais
en plus parfait encore — en plus pur —
oui : le paysage est de plus en plus pur
et le monde de plus en plus parfait
depuis que la race exsangue règne
sur toute la surface du connaissable
et que les matières de synthèse ont
l’avantage, »
(p.42)
Poète, Cédric Demangeot ne porte pas un regard charmé encore moins optimiste sur un monde où « la solitude tue/un poète par jour », voire porte-t-il vers une vision apocalyptique : la ruine totale menace au quotidien. Police, matraque, uniforme, qui cognent et recognent dans les poèmes, forgent son aversion, nullement dissimulée, et connectent le lecteur sur un certain 1984 d’Orwell, par quoi la pensée est matraquée à longueur de journée ; « Chérie, viens/voir : c’est/une ère nouvelle// qui s’ouvre : l’ère/de la terreur blanche/et du sens vidé. » Poésie protestataire, qui ne veut, mais ne peut (lire les autres livres de Cédric Demangeot) se calmer, mais qui maîtrise colère et insoumission, versifiées : d’un esprit qui ne trouve ni le repos ni l’apaisement, dont la vocation poétique n’est pas d’attendrir les mœurs ni d’adoucir, à l’encontre d’un discours se généralisant d’une poésie susceptible de distribuer amour, espoir, bien-être autour de soi, apostolique. On sait gré à Cédric Demangeot de rappeler les possibilités subversives de la poésie, qu’elle puisse appeler à l’émeute individuelle ; la dernière section est intitulée « Émeute, ébauche », où la parole, s’émeutant dans le corps, tente de « forcer/un passage à/travers l’irrespirable »… réalité du monde réducteur de têtes pensantes. L’étrange force de la poésie de Cédric Demangeot est de mêler l’explicite et l’ellipse, de sectionner le vers à fleur de peau ; quand la poésie nous enjoint de penser par nous-mêmes.
Jean-Pascal Dubost
1 Pour plus d’informations
Cédric Demangeot
Sale temps
Atelier La Feugraie
144 p., 15 €