Par Bernard Vassor
C'est dans un grenier de la rue de la Huchette que le chanteur des rues Marcelin, né aux alentours des années 1770, qui se faisait appeler Aubert, se confia à Eugène Briffault ce chroniqueur des goguettes parisiennes. Marcelin avait été élevé dans des églises, on pouvait même croire qu'il y était né.
"Quelques fois à l'autel
Je présente au grand prêtre ou l'encens ou le sel:
J'entend chanter de Dieu les grandeurs infinies,
Je vois l'ordre pompeux de ses cérémonies"
Il vivait au presbytère, il y avait le vivre et le couvert, car le curé le choyait, la gouvernante louait sa voix et ses grâces d'archange. On lui reservait les plus beaux vêtements et le linge le plus fin.
La révolution de 1789 le jeta sur le pavé à l'âge de vingt ans, démuni de tout, sans couvert et sans toit.
Il se trouvait sur le pont-Neuf une nuit lorsqu'il entendit une voix nasillarde acompagnée
par un crin-crin, chantant sur l'air d'un cantique que lui même avait chanté maintes fois, des paroles égrillardes et blasphématoires qui le firent rougir. Il ne put s'empêcher toutefois de fredonner la musique. Surpris d'entendre une si jolie voix, le violoneux invita Marcelin à venir partager un repas chez lui. A travers un dédale de rues sombres sale et étroites et après avoir gravi un escalier branlant les deux hommes pénétrèrent dans un réduit immonde. Mais le principal pour Marcelin fut la soupe aux choux, lui qui n'avait pas mangé depuis plusieurs jours, et les énormes morceaux de lard qu'il avala bien que ce jour était un vendredi. Le repas terminé le bonhomme demanda à Marcelin de chanter, ce qu'il fit avec plaisir. A la fin de la chanson, le joueur de violon lui demanda de rester à coucher chez lui et lui fit la proposition de l'accompagner dans les rues; lui jouerait du violon et Marcelin chanterait.
L'asssociation obtint aussitôt un vif succès. Les pièces tombaient en pluie des fenêtres des maisons. Marcelin eut bien de la peine à remplacer les paroles des cantiques par des airs à la mode, mais bientôt dès qu'il se produisait dans une cour, de sa belle voix de baryton, les gens se pressaient autour de lui pour l'acclamer. On lui fit bientôt des propositions alléchante pour le lancer, mais il les refusa toutes pour ne pas se séparer de son bienfaiteur. Bientôt, son répertoir s'élargit aux chansons chevaleresques : "Vous me quittez pour aller à la gloire, L'Astre des nuits, Dans un paisible éclat, Je vais partir, Agnès l'ordonne, Partant pour la Syrie". Son répertoire s'élargit même aux chansons grivoises !
Un petit peu girouette sur les bords il s'adapta à tous les régimes, allant au Champ de Mars crier "Le ça ira, et la Carmagnole", sur le carreau des Halles il entonna "la Bourbonnaise" à la fête de l'Etre suprème il chanta une toute nouvelle chanson "La Marseillaise". Il donna à entendre aussi toutes les chansons à la gloire de l'Empereur, et à toutes les victoires des guerres napoléoniennes. Après les cent jour, il interprêta "Vive le Roi !Vive la France! " Puis, à la mort de son compagnon, il prit le nom de Aubert et alla s'installer dans un modeste logis de la rue de la Huchette (gravure en frontispice). La particularité d'Aubert, était qu'il accompagnait de commentaires tous les couplets de ses chansons. Il est mort autour des années 1820. Nous pouvons noter qu'une autre chanteuse des rues, fille d'un colporteur était née quand Aubert venait de mourir, connu quelque succès, mais contrairement à son prédécesseur, elle accepta les propositions qui lui firent faites de jouer dans un théâtre. Elle s'appelait Elisabeth Rachel Félix....