François Taddei, Dominique Sciamma, deux parcours, une même volonté de changer le monde

Publié le 24 février 2011 par Gaya

Publié initialement sur Knowtex

Quand on rencontre François Taddei et Dominique Sciamma à quelques jours d’intervalle, le rapprochement saute aux yeux. Je me suis amusée à faire une liste de leurs points communs… Verdict : ces deux hommes, qui ne se sont jamais rencontrés, ont tout pour s’entendre et changer le monde ensemble !

Des idées pour changer le monde

Idea worth spreading. Des idées qui méritent d’être diffusées. La « tag phrase » des conférences TED s’applique à l’un comme à l’autre, pour peu qu’on les écoute quelques minutes. Et pour cause, ces deux personnages atypiques sont intervenus aux conférences TEDx à Paris en 2010. En janvier, à TEDx Paris, pour François Taddei qui a présenté « Pour un nouveau modèle d’éducation ». En octobre, à TEDx Paris Universités, pour Dominique Sciamma qui s’est exprimé sur le thème « Produire de l’invention ». C’est d’ailleurs à cette occasion que j’ai découvert ce dernier.

Dur d’associer ces deux hommes au premier regard tant leurs domaines de recherche semblent éloignés… Malgré des parcours et des discussions buissonnants, ils s’accordent pourtant sur plusieurs mots clés : créativité, recherche, éducation et pluridisciplinarité.. Des composantes essentielles du monde de demain. Chez TED, ils avaient 18 minutes pour souligner l’importance du questionnement et de la créativité aujourd’hui. À travers leurs exemples, ils ont montré combien il est important (et urgent !) de changer de point de vue, d’inventer un nouveau système éducatif.

Deux chercheurs

Qui sont-ils finalement ? Le mot le plus évident qui les rassemble serait sans doute celui de « chercheurs ». Cela paraît évident pour François Taddei. Après un doctorat de biologie (1) où il a étudié l’évolution de la variabilité génétique, il a en effet été détaché à l’Inserm pour y monter très rapidement une équipe qui travaille sur la communication des bactéries. Très jeune, il a été récompensé par des prix de recherche prestigieux comme le Prix de recherche de l’Inserm ou encore l’« European Young investigator Award ». Aujourd’hui, il n’hésite pas à dire, en riant, que « le jour, [il] fait de la recherche en biologie et la nuit [il] s’attache à repenser l’éducation. » (!)

Lorsqu’il travaillait sur les bactéries, François Taddei a mêlé les aspects théoriques et expérimentaux, ce qu’il s’efforce de reproduire aujourd’hui dans le domaine de l’éducation. « Je me suis rendu compte que les bactéries sont capables d’échanger de l’information, de coopérer, de coopérer pour échanger de l’information et d’échanger de l’information pour coopérer ». Ce système doit pouvoir s’appliquer ailleurs. Et c’est là l’un de ses points forts : cet homme est doté d’une capacité à généraliser un système. Il voit rapidement un ensemble d’applications se décliner potentiellement à partir d’un sujet.

Avoir une vision systémique, penser à plusieurs dimensions… c’est aussi le job du designer. Pour Dominique Sciamma, d’abord diplômé de l’université Paris VII en mathématiques et en informatique théorique, le designer tient du chercheur. Avec sa créativité, une compétence qu’il utilise au service des autres de façon généreuse et désintéressée, « il participe à l’élaboration du monde… et à sa compréhension ».

Le parcours étonnant de cet homme l’a toujours maintenu dans le monde des technologies de l’information et de la communication (TIC). C’est donc tout naturellement qu’il a été amené à travailler pour Strate Collège Designers dès 1998. Là, il y crée, en 2007, le département « Systèmes et Objets Interactifs » avant d’en prendre la direction de la recherche en 2010. À ce titre, dans une récente intervention aux Microsoft Techdays, il s’est attaché à expliquer pourquoi l’enjeu pour le design se situe maintenant au niveau de la recherche. Une recherche collaborative qui nourrit la recherche appliquée.

Un lieu pour transmettre sa vision

Ce n’est pas le tout d’avoir des idées, encore faut-il les transmettre et les appliquer ! Chacun à leur manière, nos deux créatifs se sont organisés pour dispenser leur enseignement dans une structure qui leur correspond. D’un côté le Centre de recherche interdisciplinaire (CRI) appuyé par la Fondation Bettencourt Schueller ; de l’autre, Strate Collège Designers.

François Taddei a commencé par créer le Master de recherche « Approche Interdisciplinaire du Vivant » en 2004 puis une école doctorale en 2006 nommée « Frontière du Vivant » et, enfin, la licence « Frontière du Vivant » qui ouvrira ses portes à la rentrée prochaine. Maitre-mot de cette formation : l’interdisciplinarité. Il cherche aujourd’hui à favoriser les échanges et les pratiques de pédagogie innovantes. Pour lui, il s’agit de promouvoir l’innovation en créant des « lieux d’innovation ».

Dominique Sciamma, lui, dispense sa vision du design chez Strate Collège où il met actuellement en place un vaste programme de recherche avec de nombreux partenariats. Dès 1992, date de la création de l’école, il était persuadé que le design allait devenir stratégique. Dans cette école, la structure pyramidale – qui constitue l’un des fondements de notre société française… – n’est pas à l’honneur. « Même si quelqu’un décide au final, il n’y a pas de patron de droit divin, tout se débat. » La mutation permanente : une démarche fatigante mais qui permet d’ajuster la stratégie de l’école. L’enjeu : favoriser les échanges et instaurer l’idée d’une société plus horizontale que pyramidale. Le « collège » du nom de l’école prend alors tout son sens.

De la créativité, de l’interaction

Pour François Taddei, on est face aujourd’hui à un bouleversement des organisations où changements de technologies et de culture se combinent. De nouvelles technologies seront nécessaires pour connecter les gens autour de centres d’intérêts communs (#knowtexpower !) sans négliger les lieux de rencontres. « Il faut aussi favoriser les rencontres et les échanges « en vrai » » souligne-t-il. À son échelle, et parce que cela participe de son envie de changer le monde, il aimerait trouver et rassembler des gens qui ont, d’un côté, un même centre d’intérêt, de l’autre l’envie d’innover.

Mais le domaine de l’éducation reste primordial. « A l’échelle de la planète, les grands problèmes ne peuvent pas être traités si celui de l’éducation n’est pas résolu d’abord. On forme des gens dans un monde qui ne sera pas celui dans lequel ils interagiront ». Il faut leur donner des clés pour que l’on puisse s’adapter au monde qui change vite.

Il note la convergence de différentes disciplines sur différents objets (biologie synthétique par exemple) associée à un progrès technologique non négligeable. Par exemple, l’accès aux ressources est facilité par la numérisation. « Ce qui se passe dans le domaine des sciences se retrouve aussi dans la vie courante. Pour résoudre un vrai problème de la vie, on effectue une combinaison de plein de disciplines. »

C’est peu ou prou ce qui commence aussi à se passer dans nos grandes écoles. À ce sujet, Dominique Sciamma raconte dans une anecdote l’une des aventures dans laquelle ses étudiants de Strate Collège sont impliqués. « Nous faisons partie d’un programme pour la constitution de projets innovants qui réunit l’Essec, Centrale et Strate. Regroupés par équipe, deux ingénieurs, deux commerciaux et deux designers sont plongés une journée avec des industriels qui leur exposent un problème. À la fin de la journée, les ingénieurs ont déjà la réponse… alors que les designers se demandent encore si la question posée est la bonne !»

Ces groupes sont, de fait, soumis à toutes sortes de tensions liées à leur différence de culture et de mode de pensée mais le but est d’élaborer peu à peu une pensée commune entre le commercial (ou marketeur), l’ingénieur et le designer. Au delà, il ne fait aucun doute, pour Dominique Sciamma, que le XXIe siècle sera celui de l’intelligence, non seulement dans sa référence à comprendre le monde mais également dans notre capacité à vivre ensemble avec… un rôle clé pour le chercheur-designer.

Des références communes

Les deux hommes partagent aussi un vocabulaire commun quand ils parlent dempowerment (un mot intraduisible en français mais à la mode). Idem, un homme les rassemble : le patron d’Apple, Steve Jobs qui conforte François Taddei lorsqu’il affirme n’avoir rien appris à l’université (sauf la calligraphie !) et qui fascine Dominique Sciamma car il pense comme un designer tout en « instrumentalisant » le désir des gens (n’est-ce pas lui qui aime envoyer des nouvelles sur ses produits au compte-goutte ?).

Pour finir, il est intéressant de remarquer que pour l’un comme pour l’autre, le processus compte plus que la finalité. Par définition, l’innovation s’accompagne de chances plus fortes de se tromper. Mais comme dans la recherche en sciences de la vie, « dans le cadre de l’innovation, l’erreur est nécessaire pour s’adapter à la pression de sélection ».

Dominique Sciamma, enthousiaste, conclue : « le processus compte plus que la finalité. Aujourd’hui nous avons la nécessité de travailler et de collaborer (N’oublions pas Aristote, « l’Homme est un animal social » ) Mais ce qui est nouveau et lié aux nouvelles technologies, c’est le degré de compréhension possible de notre monde et surtout à laquelle nous pouvons accéder ! »

Note

(1) Intitulé de la thèse de recherche de François Taddei : Environment and controls of genetic variability.