Max | Scorpions

Publié le 08 avril 2011 par Aragon

C'est un papier, un simple papier paru hier sur le site de l'Express.fr. C'était me direz-vous au siècle dernier. C'était en 1995. C'est impossible ces choses-là, en tout cas maintenant, en 2011, IMPOSSIBLE ! Pas possible non, ça ne peut pas recommencer, chez nous en Europe à une heure d'avion de Paris. Chez nous, dans notre belle Europe. Quand j'ai vu ce film, plein de choses se sont bousculées, affolées dans ma tronche, je me suis dit, c'est pas possible, ils descendent du camion, non, c'est un film, non... oui, c'est vrai puisque c'est un doc filmé, je vois, je suis en train de voir... non, c'est pas possible, ils vont tout stopper, ils vont les détacher, se serrer la main, puis se barrer, chacun de leur côté, enfin, ils vont faire quelque chose de bien, de normal quoi, c'est une erreur, c'est pas possible, les gens ont une conscience, enfin un truc, un coeur, quelque chose comme ça, ça ne s'est pas passé comme ça la guerre des Balkans, non, c'est une erreur, non, c'est pas possible. Les gens, ces gens, sont des gens, sont des hommes, ont une conscience, un coeur, oui, un truc comme ça, enfin quoi merde... Puis je les vois s'allonger, puis le reste qui me fauche à moi aussi, qui me tue à moi aussi, qui me laisse sans vie.

Ce matin, ici chez moi comme chez vous il fait si beau, il fait un soleil magnifique, on va aller faire du vélo, on va aller se balader, voir l'océan, glander, enfin sais pas moi, on va vivre. Ce matin je ne crois plus en rien. Je sais que tout est possible. Je sais que l'impossible s'est fait chair. C'est pas le "Verbe" qui s'est fait chair un jour. C'est "l'impossible" qui se fait chair tous les jours. En Bosnie il s'est fait chair, à Fukushima sous une autre forme, à Abidjan, en Libye, partout il se fait chair. Demain dans nos rues il se fera chair. Je ne crois plus en rien. Ces images sont impossibles, pourtant elles se sont faites chair.

Le papier en question et le film :

Scorpion serbe: le cauchemar d'une mère

Par Henri Haget, publié le 07/04/2011 à 16:30

http://www.lexpress.fr/actualite/societe/justice/scorpion-serbe-le-cauchemar-d-une-mere_980483.html#xtor=AL-447

Au cimetière de Potocari, à Srebrenica, Nura Alispahic se recueille sur la tombe de son fils, Azmir, exécuté à l'âge de 17 ans par le commando du Scorpion serbe Milorad Momic.  

Photo : L'Express/Jean-Paul Guilloteau

C'est une morte qui s'avance parmi les morts. Lors du siège de Srebrenica, Nura Alispahic, 63 ans, a perdu tous les hommes de sa famille: son mari, ses deux fils, mais aussi onze de ses cousins et neveux. La neige crisse sous ses pas comme pour scander sa solitude dans le mémorial désert de Potocari. Au fond du cimetière, allée 2, rangée 123, la cinquième tombe est celle d'Azmir, son plus jeune fils, exécuté, à l'âge de 17 ans, par le commando de Milorad Momic. 

Longtemps, elle a voulu croire qu'il reviendrait, comme il avait fui à travers les collines, la peau sur les os, avec son pull-over rapiécé et son quignon de pain. "C'était un enfant, murmure-t-elle. Je ne pensais pas qu'ils tuaient aussi les enfants..." En 2003, le cadavre calciné d'Azmir sera identifié, au fond d'un charnier, à 100 kilomètres au sud de Srebrenica. 

Le 2 juin 2005, comme tant d'autres, Nura découvre à la télévision les extraits de la tuerie de Trnovo (à voir ici). Son hurlement d'effroi résonne encore dans les collines. Elle reconnaît Azmir. Elle voit son corps se désarticuler sous la rafale, Momic et sa bande rire au-dessus de sa dépouille. C'est comme ça qu'ils l'ont tué. C'est comme ça qu'ils l'ont tuée, elle aussi. Pour la millième fois.  

Aujourd'hui, Nura vit seule dans la ville martyre, avec sa pension de veuve, 140 euros par mois. Elle n'a pas voulu que la municipalité reconstruise le premier étage de sa maison, pillée et détruite lors du génocide. Ses cauchemars sont bien suffisants pour héberger tous ses fantômes. Ses voisins sont serbes. "Dès que je sors de chez moi, ils me demandent où je vais et pourquoi j'y vais. Ici, rien n'a changé." 

Nura a longtemps hésité avant de rencontrer des journalistes. Elle l'a fait pour son fils. Pour répondre à cette question: "Vous croyez qu'en France Momic, il pensait à Azmir?" 

Grâce à cette vidéo, exhumée du néant en 2005, la vérité a pu être faite sur le massacre de Trnovo, dix ans plus tôt, et la réalité, longtemps niée, du génocide de Srebrenica.

 

On n'a jamais su pourquoi Slobodan Medic, le chef des Scorpions, avait ordonné de tourner cette vidéo qui, dix ans plus tard, l'accablera, lui et ses hommes. "A l'inverse des Tigres d'Arkan qui avaient l'habitude de filmer leurs actions pour ensuite les disséquer comme des footballeurs en séance vidéo, les Scorpions préferaient l'ombre à la lumière," souligne la plume historique de l'hebdomadaire Vreme, Dejan Anastisevic, qui fut le premier journaliste serbe à témoigner au procès de Slobodan Milosevic. Peut-être, la fin de la guerre approchant (nous sommes en juillet 1995), Medic a-t-il voulu détenir la preuve que les Scorpions n'étaient pas que des bandits de grand-chemin, mais d'authentiques serviteurs de l'idéal nationaliste. La première partie du montage que L'Express a choisi de diffuser, grâce à l'aimable autorisation de Natacha Kandic, la présidente de l'Organisation serbe des droits de l'homme, montre la bénédiction des miliciens par un prêtre orthodoxe. Le pope galvanise les troupes au fil d'un discours de haine avant de les bénir, un par un, dans un lancinant défilé d'hommes en noir remplis de piété. La seconde est celui ou les six civils bosniaques, capturés lors du siège de Srebrenica, descendent d'un camion à bâches, sur le bord d'une route, près de Trnovo. On aperçoit furtivement Milorad Momic, arrêté le 31 janvier 2011 en France. Les six prisonniers ont entre 16 et 35 ans. Ils vont d'abord subir un simulacre d'exécution avant d'être abattus, à tour de rôle, de plusieurs balles dans le dos. Enfin, les otages sont emmenés, sous l'escorte de Momic et de ses complices, vers un sous-bois où aura lieu la mise à mort. Les cadavres des victimes seront ensuite brûlés avant d'être versés dans un charnier.  Douze ans plus tard, le 10 avril 2007, le chef des Scorpions, Slobodan Medic, a été condamné à 20 ans de prison par la Cour spéciale pour les crimes de guerre à Belgrade. Le 31 janvier 2010, Milorad Momic, devenu Guy Monier, a été arrêté à La Verpillière (Isère) où il avait refait sa vie.