Quand les Russes se penchent sur leur guerre

Publié le 08 avril 2011 par Les Lettres Françaises

Quand les Russes se penchent sur leur guerre

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Éléna Joly, à qui nous devons un intéressant ouvrage sur la vie d’un des Russes les plus connus au monde, le constructeur de fusil Kalachnikov, a rassemblé les souvenirs d’une trentaine de vétérans de la Seconde Guerre mondiale, issus en général des milieux dirigeants de l’URSS. Cette guerre, présentée en URSS, comme une terrible épopée qui a montré les qualités du pays,  a toujours été plus ou moins taboue. Elle a assis le renom de l’armée.

Cependant, les 8 millions de morts au front ou en captivité, auxquels s’ajoutent les 20 millions de civils massacrés par la Wehrmacht, posent de lourdes questions à la société russe. Au premier chef celle du rôle de Staline. Les réponses, dans leur diversité, correspondent à ce que les historiens ont pu mettre à jour. Staline s’est trompé, et avec lui la direction de l’URSS, quant à la date où Hitler procéderait à l’attaque, mais il n’avait aucun doute sur son inéluctabilité. Le thème de la convergence des deux systèmes politiques ne fait guère recette en Russie. Contrairement à ce que certains ont colporté Staline ne s’est nullement effondré dans les premiers jours. Sur sa manière d’organiser la défense du pays beaucoup de précisions sont apportées. Ses incessantes interventions, certaines catastrophiques, dans la direction des opérations, la gêne ou la paralysie ressentie par ses officiers, sont à l’origine de désastres qui coûtèrent des centaines de milliers de victimes. (Kiev 41, Kharkov 42) Ce comportement s’ajoute aux purges de 37 qui décimèrent le corps des officiers et priva l’armée de cerveaux de grande valeur qui n’étaient plus là pour mettre en échec les nazis. Mais, ceci étant, Staline mena une politique de renforcement accéléré de son armée et malgré les désastres initiaux les Allemands ne purent casser les reins à l’armée rouge.

Du point de vue technique les tanks, les avions, les canons, les transmissions égalaient ou surpassaient les matériels allemands. Leur nombre s’élevait, au fur et à mesure que l’effort de guerre s’intensifiait. Les officiers soviétiques apprirent à faire une guerre moderne et à déployer plus de talents que leurs homologues allemands, réputés grands seigneurs en cette matière. L’aide occidentale n’est pas niée mais ramenée à son caractère marginal, certains matériels, tanks ou avions, étant carrément décriés pour leurs insuffisances. Enfin, pour presque tous ces combattants, même pour ceux qui le haïssent, Staline resta le pilier de l’esprit de résistance, .

La guerre aurait-elle été gagnée sans le débarquement de Normandie ? Les vétérans le pensent fortement, au vu de leurs capacités militaires, de l’abondance de leurs matériels et surtout de leur irrésistible désir de vaincre. Pourtant rien n’est nié du calvaire qu’elle fut pour toutes les populations, y compris les violences subies par les femmes allemandes.

La question légitime qui traverse ces témoignages est celle du prix humain payé, qui renvoie au développement social et culturel atteint dans les années 30. Les succès allemands sont révélateurs de lourdes insuffisances et c’est dans la tragédie que la société soviétique dut affronter ses problèmes et leur donner des solutions. Que valaient-elles vraiment ? Il est naturel que les témoins y reviennent car ce qui se passa concerne l’avenir de la Russie qui est loin d’être clair, y compris pour le lecteur occidental.

François Eychart

Éléna Joly, Vaincre à tout prix, Éditions Le Cherche midi, 18 ¤.