Recherche médicale : info ou intox ?

Publié le 09 avril 2011 par Guy Deridet
Les études et les recommandations médicales se suivent mais ne se ressemblent pas, voire se contredisent. Cet article a été publié sur le site internet de l'hebdomadaire américain Newsweek le 24 janvier. À trop suivre l’actualité dans le domaine de la recherche médicale, on risque le coup du lapin. Un jour, l’ail est supposé réduire le mauvais cholestérol. Puis — après des recherches supplémentaires — il n’en est rien. Les traitements hormonaux substitutifs sont réputés réduire les risques de maladie cardiaque chez les femmes ménopausées, jusqu’à ce qu’une étude d’envergure constate le contraire (et qu’en plus ils augmentent le risque de cancer du sein). Un robuste petit-déjeuner restreint la dose quotidienne de calories, à moins que ce ne soit le contraire, comme le prouvent les résultats d’une étude publiée la semaine dernière. Et pourtant, quand bien même la recherche biomédicale est un guide capricieux, nous comptons dessus.

Et si ces erreurs n’étaient pas l’exception, mais la règle ? Chez les universitaires qui étudient de près la recherche médicale, c’est une hypothèse qu’on avance de plus en plus. Les études erronées ne se réduisent pas à quelques cas isolés, avancent-ils. Il se pourrait au contraire que le cadre même de la recherche médicale soit faussé, conduisant en maintes occasions à des conclusions au mieux non prouvées, au pire dangereusement fausses. Avec comme conséquence un système qui induit patients et médecins à faire fausse route — et promouvant des traitements coûteux qui non seulement ne guérissent pas, mais sont susceptibles de mettre le patient en danger.

Une thèse dérangeante, avec de lourdes implications pour les médecins, les responsables politiques et les consommateurs soucieux de leur santé. L’un de ses principaux avocats, le Dr John P.A. Ioannidis vient de décrocher une tribune de premier plan après des années passées à batailler contre les affirmations sans fondements en matière de santé et de médecine. En tant que nouveau chef du Prevention Research Center à l’université de Stanford, Ioannidis asseoit sa position de principal pourfendeur de mythes en médecine. "Il y a des gens qui sont blessés, voire qui meurent" du fait de fausses affirmations en matière de santé, dit-il : il ne s’agit pas de supercheries, mais d’erreurs dans les recherches.

Ioannidis arrive à point nommé. Les frais médicaux pèsent sur l’économie et entravent les efforts de réduction des déficits et les responsables politiques tout comme les entreprises sont prêts à tout pour les réduire sans sacrifier les malades. L’une des solutions évidentes serait de ne prescrire, et de ne financer, que les traitements efficaces. Or, à en croire Ioannidis, la plupart des études biomédicales sont entachées d’erreurs.

Rien que ces deux derniers mois, deux des piliers de la médecine préventive se sont effondrés. Une étude d’envergure vient de conclure qu’il n’existe pas de preuves solides que les statines (le principe actif de médicaments comme le Lipitor ou le Crestor) soient d’un quelconque bénéfice pour les patients n’ayant jamais souffert de troubles cardiovasculaires. L’étude, menée par le Cochrane Collaboration, un consortium international d’experts biomédicaux était fondée sur l’évaluation de 14 essais distincts, totalisant 34 272 patients. Coût des statines : plus de 20 milliards de dollars par an, dont la moitié éventuellement dépensée en pure perte (Pfizer, qui fabrique le Lipitor réplique pour partie que "la gestion des facteurs de risque des maladies cardiovasculaires est complexe"). En novembre, une commission de l’Institut de Médecine a constaté que le dosage de la vitamine D dans le sang était sans intérêt : tout le monde ou presque a suffisamment de vitamine D pour assurer la bonne santé de ses os (soit 20 nanogrammes par millilitre) sans avoir besoin de compléments vitaminiques ou de calcium en cachets. Coût de la vitamine D : 425 millions de dollars par an.

Ioannidis, 45 ans, ne s’était pas destiné à une carrière de pourfendeur de mythes médicaux. Cet ex-enfant prodige (à trois ans, il pratiquait le calcul décimal et à huit, publiait un recueil de poèmes) est sorti premier de sa classe de l’école de médecine d’Athènes, a fait son internat à Harvard, a supervisé des essais cliniques sur le SIDA au National Institutes of Health au milieu des années quatre-vingt-dix, et dirigé le département d’épidémiologie à l’école de médecine de l’université d’Ioannina, en Grèce. Au NIH, Ioannidis a une révélation. Les essais cliniques de médicaments "positifs", ceux qui constatent qu’un traitement est efficace, et les essais "négatifs", dans lesquels le médicament montre son inefficacité, prennent autant de temps à mener. "Mais il fallait aux essais négatifs deux à quatre ans supplémentaires avant d’être publiés", remarque-t-il. "Les résultats négatifs restent au fond d’un tiroir, ou les essais sont prolongés dans l’espoir que les résultats tourneront positifs". Avec des milliards de dollars en jeu, les labos sont peu enclins à déclarer inefficace un nouveau médicament. Du fait du retard pris à publier les essais négatifs, des patients se voient prescrire un traitement qui est, de fait, inefficace. Ioannidis en vient à se demander combien d’études biomédicales sont erronées.

Il y répond dans un article de 2005 : "la majorité". Des essais cliniques de nouveaux médicaments à la génétique de pointe, la recherche biomédicale fourmille de conclusions incorrectes, y déclare-t-il. Pour le prouver, Ioannidis a recours à un raisonnement mathématique abscons, que certains ont pu critiquer. "Je suis d’accord pour dire que nombre de conclusions sont bien plus ténues qu’on le considère généralement, mais pour "prouver" que la plupart sont erronées, dans tous les domaines de la médecine, il faudrait un modèle statistique différent, et plus de preuves empiriques que n’en utilise Ioannidis", indique le biostatisticien Steven Goodman de Johns Hopkins, qui s’inquiète de voir l’affirmation selon laquelle la plupart des études sont fausses "entraîner la diffusion d’un scepticisme malsain au sujet de la recherche médicale, exploité en vue d’alimenter une ferveur antiscientifique".
Il suffit d’un rapide coup d’œil à la littérature médicale pour voir que de plus en plus d’études autrefois célébrées tombent en désuétude. Deux études en 1993 déclaraient que la vitamine E prévenait les maladies cardiovasculaires. Une thèse infirmée par des expérimentations plus rigoureuses en 1996 et en 2000. Une étude de 1996 affirmant que la thérapie œstrogénique réduisait chez la femme âgée le risque de développer un Alzheimer fut démentie en 2004. De nombreuses études avançant que les antidépresseurs les plus répandus fonctionnent en altérant la chimie du cerveau ont aujourd’hui été désavouées (l’efficacité de ces médicaments dans les cas de dépression légère ou modérées, lorsqu’elle est avérée, s’explique par un effet placébo), tout comme les études affirmant que le dépistage précoce des cancers (au moyen, par exemple, du dosage du PSA) sauve systématiquement des vies. La liste est longue.

En dépit de la nature explosive de ses accusations, Ioannidis a collaboré avec quelque 1 500 autres scientifiques et Stanford, quintessence de l’établissement, l’a embauché en août pour diriger son centre de médecine préventive. "L’essence même de la médecine est d’établir des certitudes permettant de guider la prise de décision chez les patients et les médecins" affirme Ralph Horwitz, directeur du département de médecine de Stanford. "John est au premier rang des théoriciens les plus innovants en matière de preuves biomédicales, ce qui en faisait le candidat évident pour nous".
Ioannidis s’est attaqué en premier aux méthodes statistiques médiocres utilisées dans les premières études génomiques. Les chercheurs passaient en revue chaque gène ou petit groupe de gènes les uns après les autres cherchant à établir un lien avec toutes les maladies possibles et imaginables. Ce qui, statistiquement, garantissait l’apparition de correspondances. Lorsque Ioannidis s’attaque à la littérature en génomique, on croit voir Sherman ravager la Georgie : aucun de ces gènes candidats n’a pu voir son action confirmée. L’affirmation selon laquelle le gène du récepteur de la vitamine D explique trois quarts du risque d’ostéoporose ? Faux, a-t-il prouvé avec ses collègues en 2006 : ses variations n’ont aucun effet sur l’ostéoporose. Ce groupe de gènes identifié par l’Institut de Recherche sur le Génome Humain est capable de prévoir les maladies cardiovasculaires ? Non (2009). Une variation dans ces six gènes augmente le risque de maladie de Parkinson ? Non (2010). Et pourtant, les affirmations selon lesquelles le gène X entraîne un risque accru de la maladie Y contaminent la littérature scientifique, influencent nos décisions de santé, et font tourner le secteur des tests génétiques individuels.

Les coups de chances statistiques empoisonnent également l’épidémiologie, discipline dans laquelle les scientifiques cherchent des liens entre santé et environnement, y compris dans la façon dont les gens se comportent et se nourrissent. Telle étude va tenter de savoir si le café accroît le risque de douleurs articulaires, ou de maux de tête, ou de maladie de la vésicule biliaire, ou de centaines d’autres affections. "Lorsqu’on mène des milliers de tests, les lois de la statistique font qu’on obtient des faux positifs", souligne Ioannidis. Les labos pharmaceutiques gagnent des fortunes sur ce genre de statistiques hasardeuses. En testant un médicament déjà autorisé pour d’autres usages, ils obtiennent par hasard des résultats positifs "et les médecins s’appuient sur ces résultats pour prescrire ce médicament dans ce nouveau domaine. À mon sens, c’est un problème". Après même qu’une affirmation soit démentie, elle continue de traîner, comme un locataire indélicat impossible à expulser. Des années après qu’on eut désavoué l’affirmation selon laquelle la vitamine E prévient les maladies cardiaques, la moitié des articles scientifiques qui y font référence la présentent comme vraie, constate Ioannidis en 2007.

La situation n’est pas désespérée. Les généticiens ont pour l’essentiel amendé leurs méthodes et introduits plus de rigueur dans leurs critères statistiques, mais il est d’autres domaines où il faudrait faire un brin de ménage, selon Ioannidis. La pratique chirurgicale, par exemple, est loin d’avoir été contrôlée comme le sont les médicaments. "Je ne serais pas surpris d’apprendre qu’une proportion importante d’actes chirurgicaux n’a aucun fondement réel et de voir s’évaporer les [affirmations d’efficacité] après des tests minutieux", déclare Ioannidis. Ce qui pourrait également permettre d’économiser des milliards de dollars. George Lundberg, ancien rédacteur en chef du Journal of the American Medical Association estime qu’en appliquant des critères stricts tels ceux qu’appuie Ioannidis, on pourrait alléger de 700 à 1000 milliards de dollars chaque année les dépenses de santé aux Etats-Unis.

Bien entendu, les principes communément admis en matières de santé ne sont pas tous faux. Fumer tue, l’obésité morbide ou la maigreur excessive vous expose à une mort précoce, les viandes transformées augmentent le risque de certains cancers, et le contrôle de la pression sanguine réduit le risque d’infarctus. Ce que le consommateur doit en retenir, c’est qu’en matière médicale, les connaissances qui ont su affronter l’épreuve du temps — ainsi que des essais randomisés à grande échelle — sont probablement plus fiables que les dernières annonces sur tel ou tel aliment ou médicament.

SOURCE : NEWSWEEK

N.D.L.R

Tout le monde se doutait que la recherche médicale, financée par l’industrie pharmaceutique privée, n'est pas neutre. Encore fallait il prouver ; M. Ioannidis l'a fait.

Il ne s'agit pas de mettre en doute la recherche médicale, il s'agit de rester très prudent lors de l'annonce de découvertes médicales retentissantes.

Autrement dit, ne pas croire, par exemple, à la pilule qui fait maigrir mais manger moins et bouger son cul ! Tout le monde sait aujourd'hui ce qu'il faut faire ou ne pas faire en matière de santé. Ne pas fumer, ne pas manger ou boire trop et surtout bouger. A partir de là, quand on fait ce qu'il ne faut pas faire, il ne faut pas s'étonner si on a des problèmes.

Notre santé dépend, avant tout et sauf accident bien entendu, de nous mêmes, et pas de la médecine.


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