Notes sur la création : Christian Doumet

Par Florence Trocmé

 
(...) Or justement parce que le métier du poète est invisible, il me paraît de la plus haute importance qu’on s’y intéresse, qu’on l’interroge, qu’on tente de le décrire. C’est à mon sens ce que faisait Follain lorsqu’il parlait des activités humaines les plus diverses. En général, on situe les poètes dans trois sortes de rapports au métier : il y a les poètes étrangers à la problématique du métier, les purs intuitifs, qui parient en gros sur l’avatar moderne de la muse. Il y a les poètes dont on dit qu’ils ont du métier, c’est-à-dire cette sorte d’habileté non négligeable qui fait les Valéry et les Oulipiens. Il y a enfin les poètes qui n’ont que du métier, c’est-à-dire ceux dont on pensera à juste titre qu’il leur manque l’essentiel. On le voit, la notion de métier, en poésie, souffre d’un assez large discrédit. 
Je voudrais simplement faire remarquer que dans ce mot se croisent deux étymologies qui l’éclairent, et qui peut-être le sauvent : celle du ministerium, donc de l’office (mot cher à Mallarmé) et celle du mysterium, du mystère (autre terme mallarméen). C’est-à-dire qu’il y a dans tout office un mystère, et combien spécialement dans l’office de poésie. Le mystère tient à ceci : que comme tous les hommes de métier, le poète est quelqu’un qui s’affronte à des obstacles matériels, et qui doit y répondre en trouvant des solutions concrètes. Le mystère gît dans cette trouvaille. C’est la part de prestidigitation. Il y a des solutions pauvres à des obstacles faibles, et c’est le lot des poètes les plus indigents : il y a des solutions époustouflantes à des obstacles redoutables, et c’est le mieux qu’on puisse faire. La rime avait pour fonction de défier à chaque vers l’aptitude du poète à trouver (trobar) face à un obstacle précis. C’était son métier. Mais l’absence de rime ne fait pas tomber le métier pour autant. Les poètes continuent de dresser des obstacles dans la langue pour la trouver. 
 
Christian Doumet, La Poésie au marteau, Obsidiane, 2004 
 
 
[jean-Pascal Dubost]