« Le café est une affaire de femme »

Publié le 15 avril 2011 par Legraoully @LeGraoullyOff

alzheimer

Reclus dans leur hameau de montagne du Chatelard Denise et Robert  survivent comme ils peuvent en attendant la mort qu’ils souhaitent parfois.

Il s’appelle Robert, 81ans au compteur depuis le 3 avril dernier, comme beaucoup de vieux il répète plusieurs fois la même chose  pour que vous ne partiez pas tout de suite. Il vit avec son épouse Denise 81 ans également  qui est   « plus con qu’une vache dans une étable ». Et pour cause elle perd de plus en plus la tête. Alzheimer. La pauvre à vomis deux fois aujourd’hui mais ne s’en souvient plus, assise sur une chaise de la cuisine de leur modeste maison de montagne elle n’en bougera plus jusqu’au soir. Robert  est exténué par sa femme qui lui cause « un litige » .  Il ne peut plus jardiner, se promener ni faire quoi que ce soit, l’état de santé de Denise  nécessite une présence permanente à ses côtés. Sans enfant, ni famille, les visites se font attendre, l’aide à domicile et les quelques habitants de ce hameau  passent rarement dans cette rue isolée. De temps en temps une  copine vient boire le café avec son épouse, « une affaire de femme »comme il dit, mais cela  devient de plus en plus difficile  et parfois cela tourne à la farce. L’autre jour Denise a déposé sur la table à côté du café, un tube de dentifrice en guise de gâteau.  Mon passage est une aubaine pour ce petit vieux qui me raconte tout ce qu’il peut le plus vite possible. Tout au long de notre conversation il ne cesse de répéter qu’il ne sait plus quoi faire, placer son épouse dans une maison spécialisée ? Impossible avec sa retraite de paysan et celle de sa femme  ils n’arrivent pas à 1000 euros. On le comprend à 1300 euros mensuels, les frais d’un placement en centre adaptée sont inenvisageables. Alors quoi ?  « Dès fois je voudrais qu’elle crève mais je ne lui souhaite pas la mort non plus ». Assis face à elle il la raille constamment. Sa moquerie cache mal son profond désespoir d’être impuissant face à la maladie qui ronge celle qui l’accompagne depuis plus de 50 ans. Elle, on ne sait pas trop ce qui se passe dans sa tête, les mains croisées sur les genoux, elle balai du regard la pièce aussi vide que son regard, enfermée dans sa prison cérébral.  Je sens une profonde empathie m’envahir, j’ai « mal chez les autres », ce « côté pédé » qui me prends quand je me sens non seulement impuissant face à la détresse humaine mais en plus responsable. Je décide de partir. Quand je repasse un peu plus tard ils ont déjà  fermé les volets. Il est  17h30 , ils  se sont mis au lit. Cette nuit il lui donnera des coups de coude pour qu’elle arrête de ronfler  en espérant qu’elle soit morte. Ils mourront seuls. Nous aussi.