UN DIMANCHE A LA CAMPAGNE de BERTRAND TAVERNIER

Publié le 25 avril 2011 par Abarguillet

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Cinéphile éclairé et talentueux, Bertrand Tavernier a, en une dizaine d'années, pris place parmi les meilleurs cinéastes contemporains et compte au moins deux chefs-d'oeuvre à son actif. Pour moi, le plus évident est sans nul doute Un dimanche à la campagne, qui renoue avec une tradition oubliée du cinéma français, celle que compose la méditation toute en nuance et en délicatesse sur le temps qui passe de ce film où les passions ne sont exprimées qu'à mots couverts et où l'essentiel reste comme calfeutré dans un univers proche de sa fin. Inattendu de la part de l'auteur du Coup de torchon, ce film a été une surprise et le reste, sorte de lueur automnale dans une filmographie habituellement plus provocante et éclatante de santé. Mais là, il apparaît que le cinéaste a été pris d'une émotion subite pour un monde qui vit ses derniers jours et auquel il a voulu dédier cette oeuvre  poignante de douceur.

Né à Lyon en 1941, ce fils de l'écrivain René Tavernier tient de son père son goût passionné pour la littérature. Mais le cinéma l'attire également et bientôt prend le pas sur des tentatives inabouties dans le domaine des lettres. Melville, l'ayant choisi comme assistant pour Léon Morin, prêtre - l'amateur contemplatif devient actif et participe peu de temps après à la réalisation de deux films à sketches : Les baisers  ( 1963 ) et La chance et l'amour ( 1964 ), expérience peut-être prématurée pour déboucher sur des lendemains immédiats. Tavernier ne revient au cinéma qu'en 1973, grâce à Philippe Noiret, et adapte alors un roman de Georges Siménon  : L'horloger de Saint-Paul. Le succès sera au rendez-vous et le film remportera le prix convoité Louis Delluc.

Tavernier, d'emblée, prend ses distances avec la Nouvelle Vague et fait appel à Aurenche et Bost pour le scénario, ce qui est une revanche, certes tardive, mais néanmoins délectable pour ceux qui avaient été tellement moqués par les lions de la N.V. Pour sa seconde réalisation Que la fête commence, le cinéaste choisit un sujet historique, avec costumes et musique d'époque, aux antipodes de ceux habituellement traités par des Godard et Truffaut, ce qui prouve que l'art est le lieu privilégié des éternels retours. Mais quelques maladresses de construction et une mise en scène un peu hésitante feront que le film sera moins apprécié que le précédent. Heureusement Le juge et l'assassin, avec Noiret et Galabru,  atteste que Tavernier a tous les moyens de surprendre, voire même d'éblouir, et l'étape suivante sera décisive pour l'avenir de sa carrière.

Coup sur coup, il va produire deux films totalement différents mais qui font date et où il affirme sa formidable présence dans le cinéma français. Loin, Du coup de Torchon, d'une sève acide et d'une écriture truculente, Un dimanche à la campagne développe une tonalité unie, sans fausse note, et révèle une finesse, une subtilité, dont beaucoup ne croyaient pas le cinéaste capable. C'est le mérite des gens de talent de surprendre au moment où l'on s'y attend le moins.

Un dimanche de l'été 1912, Monsieur Ladmiral est seul dans sa vaste demeure de campagne. Seul avec sa vieille servante Mercédès, ses souvenirs et ses regrets. Entre autre regret, celui de ne pas avoir su ou pu saisir l'opportunité du mouvement impressionniste et d'être resté ainsi un peintre mineur. Mais en cette journée estivale, il s'apprête à recevoir son fils, sa belle-fille et ses trois petits-enfants et il s'en réjouit. Réunion de famille ordinaire sans doute, mais qui met un peu de diversion dans son existence monotone. Tout se passerait comme à l'accoutumée, si sa fille Irène ne survenait à l'improviste et ne bouleversait par sa fantaisie, sa modernité, son dynamisme, sa gaieté, une assemblée trop confite et compasssée dans ses habitudes. Admirablement interprété par Sabine Azéma et Louis Ducreux, ce long métrage est centré sur ces deux personnages, tête à tête tendu et émouvant d'un père et de sa fille aussi dissemblables que possible, mais comme auréolés d'une tendresse déchirante. Deux mondes se font face dans leur solitude sans s'affronter, ni se blesser, comme saisis de vertige devant l'ampleur du fossé qui les sépare. C'est un adieu en forme de poème, le poème des regards qui se cherchent, se donnent, puis se voilent et sont à l'origine de ravissants moments de comédie. Sabine Azéma atteint parfois des accents sublimes lors de ces dialogues pétris d'affection et de nostalgie. Mais un coup de téléphone va rompre le charme : l'amour l'appelle loin de ce père qui ne peut plus participer à sa vie de jeune  femme active. Elle repart et Monsieur Ladmiral se sent ce soir-là encore un peu plus seul, un peu plus âgé. Il retourne à ses tableaux et probablement à ce qui sera sa dernière composition.  Avec ce film, qui n'exprime guère que les mouvements du coeur, Tavernier se détache et fait cavalier seul, confirmant que, bien inspiré, il peut écrire l'une des pages les plus émouvantes et les plus personnelles de notre cinéma.

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