Le Tout-Puissant Orchestre Poly-Rythmo

Publié le 25 avril 2011 par Cloudsleeper

Pour ce nouveau post, voici quelques chroniques qui paraîtront dans le prochain Rif Raf: la récolte de ce mois a été exceptionnelle pour vous qui voulez scotcher vos oreilles sur des sons et des musiciens venus d'Afrique! En fin de post, interview avec le groupe new-yorkais de Gang Gang Dance qui nous parle de son nouvel album.

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Le Tout-Puissant Orchestre Poly-Rythmo

‘Cotonou Club’

Strut

Brooklyn a beau être la plus hype, c’est bel et bien de Cotonou que vient mon gros coup de cœur ce mois-ci. Et comme un bon coup ça n’arrive pas souvent alors on se lâche : il ne faut pas laisser passer beaucoup de secondes avant d’être envoûté par le groove contagieux du Tout-Puissant : depuis ses débuts dans les ‘60s, le groupe béninois mêle les influences afrobeat, funk et soukous avec des rythmes traditionnels vaudous. Inutile de dire que le Poly-Rythmo s’y connaît mieux que personne en déhanchements, transe sur tambours tribaux et convulsions hybrides. Rien que cette descente de cuivres, cette guitare et le groove imparable de ‘Ne Te Fâches Pas’ suffit à décongeler un régiment de mammouths rétif à toute danse et les faire bouger avec sourire et agilité. Une fois qu’ils sont pris, vos pieds ne vous lâchent pas de tout le CD où l’on entend quelques nouvelles compositions aux côtés de nouvelles versions de titres plus anciens. Ainsi ‘Von Vo Nono’ est un retour légitime à l’afrobeat du singulièrement pop ‘Dadje Von O Von Non’ qui ouvrait la compil’ ‘Legends Of Benin’, sortie sur le label Analogue Africa. Avec Soundway, celui-ci qui avait contribué à la résurrection discographique du Poly-Rythmo et c’est Strut qui lance la résurrection scénique avec ce ‘Cotonou Club’ en avant goût. Très bientôt chez nous, ne les manquez pas : quand on entend comment claque ‘Gbeti Madjro’ comme un James Brown sous soukous, c’est sûr, le Poly-Rythmo reste plus que jamais «  en avance ! » (jd)

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Aurelio

‘Laru Beya’

Realworld

Les Caraïbes cristallisent bien des phantasmes… îles de rêves, pirates robinsons, trésors magiques... Pour ma part, il s’agit d’espèces sonnantes et trébuchantes musicalement. Après ce qui a été déterré par divers labels en Haïti, en Guadeloupe, sur la côte Colombienne et au Bélize, voilà que Realworld nous glisse sous les oreilles un jeune musicien du Honduras, Aurelio. Issu de la communauté des Garifunas (fondée par les rescapés du naufrage d’un bateau négrier au 17ème siècle), il nous fait vivre en toute simplicité le métissage des musiques jouées sur les plages de chez lui : quelque accords de guitares, des maracas et autres percussions locales à base de carapaces de tortues et os de requins, un chœur de femmes au timbre négroïde et beaucoup, beaucoup de rythmes… Dans le syncrétisme antique d’Aurélio, on trouve tout ce que l’Afrique et les influences latines ou locales peuvent offrir de mieux : une décontraction à toute épreuve, des mélodies savoureuses et espiègles et des mouvements d’une nonchalance… ‘Laru Beya’ est sans doute la chanson qui vous ouvrira le chemin de ce disque très réussi. Derrière tout cela, on trouve Ivan Duran qui connaît bien la région puisque c’est à lui qu’on devait le fantastique ‘Umalali : The Garifuna Women’s Project’ sorti en 2008. Pour Aurelio, Ivan a pu rameuter le label Realworld avec Youssou n’Dour comme parrain et chanteur qui se fond à la perfection avec les Garifunas. Lui-même a amené quelques musiciens et instruments de son pays, ce qui parfume mieux encore le paysage musical. Candidats survivants, qui ? Départ ! (jd)

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Rango

‘Bride Of The Zar’

30 IPS

Rango est un collectif basé au Caire qui joue du… rango. Ce xylophone traditionnel du Soudan était utilisé pour toutes sortes de cérémonies sacrées et clandestines. Conformément à la légende qui vaut pour beaucoup de groupes de « musique du monde », cet instrument était en passe d’être oublié par les générations actuelles jusqu’à ce que l’énigmatique Hassan El Nagger le ressorte de l’oubli et partage publiquement l’art du Zar, rituel de transe jadis assez mal vu. Pour ce faire, les vibrations profondes du rango sont accompagnées de percussionnistes qui ne jouent ni tout à fait du djembé, ni vraiment du tambour ainsi que de quelques chanteurs qui reprennent et amplifient vigoureusement les incantations de Hassan. Lequel entend ouvrir sa musique à d’autres sonorité en invitant un joueur de nay et en jouant lui-même du simsimiyya électrique sur quelques titres. Que dire à ce propos si ce n’est que cet instrument artisanal à cordes dégage un son très acidulé et saturé… Tout cela vous dit quelque chose ? Oui, Rango est indubitablement le lointain cousin de Konono. Ni vraiment arabe ni tout à fait africaine, cette fascinante musique est le fruit d’une fusion des traditions entamée au 19ème siècle lorsque les Soudanais migraient en Egypte pour trouver du travail. Dans ce disque exceptionnel, l’art du Zar est présenté ici de façon modernisée et abordable sans diminuer son puissant impact hypnotique et son authenticité. (jd)

Dennis Coffey

‘Dennis Coffey’

Strut

Je me disais bien que ce nom m’était familier… oui cette balle ‘Gimme That Funk’, un hit obscure, début des années disco à caser parmi Gary Toms, Brass Construction… donc ça claquait sévère. Dennis fut le guitariste de référence de Del Shannon, Funkadelic et des Temptations et membre du backing band de la Motown, les Funk Brothers… rien que ça ! La nouvelle plaque d’un personnage pareil a de quoi être alléchante d’autant qu’il s’est offert un beau lifting en s’entourant de quelques hot shots de la soul actuelle. Le nouveau héros de Stone Throw, Mayer Hawthrone se paye avec lui le ‘All Your Goodies AreGone’ des Parliaments. Avec Fanny Franklin des Orgone, Dennis font une nouvelle version du ‘Don’t knock My Love’ de Wilson Picket. La chanteuse des Bellrays nous ressert une petite perle soul avec ‘Somebody’s Been Sleeping’ et les Detroit Cobras mise sur l’excellent ‘I Bet You’ de Funkadelic. Du lourd donc et un disque dense, enfumé de solos wah-wah et de soul psyché. Mais c’est sans doute sur scène qu’il sera le plus intéressant de voir Dennis, tout comme ce fut le cas avec Larry Graham qui ouvrit l’an dernier le concert de Prince d’une façon absolument magistrale. (jd)

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Dub Colossus

‘Addis Through The Looking Glass’

Realworld/Rough Trade

A Town Called Addis’ avait déjà ouvert une voie très pertinente dans la fusion de la musique éthiopienne avec ses rejetons jamaïcains. Sur fond de dub, d’éthiojazz et autres sucreries pop locales, le producteur Dubulah avait non seulement réussi son pari mais également fait main basse sur une pépinière de talents locaux. Doté d’un groupe solide et baignant dans ce dub avec autant d’aisance que dans ses explorations orientales de jadis, le fondateur de Transglobal Underground n’allait certainement en rester là. À l’instar de ce pays qui n’a jamais été vraiment colonisé, ce sont les membres du groupe qui ont proposé à Dubullah «  ce coup-ci, c’est nous qui te disons ce qu’on veut faire », le dévissant gentiment du rôle de producteur omnipotent. C’est donc un disque plus ancré dans l’immense patrimoine éthiopien qu’une fusion dub etc (si créative soit-elle) tel que l’était le premier. Une pièce éthiojazz aux pattes de velours ouvre les portes vers ces nouvelles destinations. La flûte enchanteresse de ‘Wey Fikir’ nous emmène aux confins d’une chanson pop éthérée bondissant doucement sur un fond de basse. ‘Yeh Shimbraw Tir Tir’ est la chanson acoustique que Page et Plant auraient écrit s’ils étaient passé par les campagnes du pays.‘Guragina’ est une sorte de funk qui sonne étrange (comme tout dans ce pays), basé sur un rythme comme passé à l’envers ou à contretemps, ce qui ne l’empêche pas d’être excellent. Avec ‘Wehgene’ on retrouve la patte de basse de Dubullah sur un dub où l’on jurerait que Natacha Atlas a laissé le micro à la non moins talentueuse Mimi Zenebe, surnommée la Piaf d’Addis. Si on ajoute la reprise en langue et en style local de ‘Uptown top Ranking’, on a un bel aperçu de la originalité de ce disque mosaïque. (jd)

Miel synthétique pour casque percutant

De l’étrange oiseau carnavalesque qu’il était, le Gang Gang Dance a encore muté. Une nouvelle peau en perle de pluie insecticide, un nouvel univers sonore en perpétuelle évolution qui vous projette de l’ambient psyché à du township funk raboté à l’electro délirante de sorciers arty… Confondu par quelques titres pop sur la bord de cornée, le trip est percussif, intense et dansant, très dansant. On a demandé à Brian (clavier) et Lizzie (chant) de nous raconter dans quelles sphères est né leur nouveau‘Eye Contact’

Glass Jar’ qui ouvre l’album est un long morceau ambient qui prend son temps pour prendre l’auditeur dans le trip, un peu comme dans un début de concert. C’est un titre élaboré sur scène concert après concert ?

GGD : « On pourrait dire ça, oui. Il a été le fruit d’une pratique répétée mainte et mainte fois, que ce soit sur scène avant qu’on entame l’album ou bien lors des répétitions. Au bout du compte c’est un titre improvisé et chaque fois qu’on le faisait, on le jouait de façon différente. On savait d’où partir et là où l’on voulait arriver ce qui nous laissait beaucoup de liberté pour élaborer de nouvelles choses entre, et le ressenti sur scène nous a bien aidé pour cela. C’est comme si on avait des briques, qu’on assemble peu à peu pour faire une maison et quand tout est assemblé, tout le monde se rapplique et c’est « time to party ! »

C’est là votre processus créatif ou bien fonctionnez-vous différemment pour les autres morceaux ?

GGD : « On a principalement une seule façon de travailler, c’est l’improvisation. On ne pourrait pas fonctionner autrement. On joue durant cinq ou six heure d’affilée, après on réécoute et on pose ainsi nos repères sur ce qu’on veut creuser comme idée. Mais parfois on n’arrive pas à recréer ce qu’on veut, quel son est venu comment, de qui, alors on superpose plusieurs idées, plusieurs rythmes, ce qui donne des morceaux assez abstraits et complexes. On ne fonctionne pas sur le mode où quelqu’un apporterait une idée mélodique ou rythmique censée imprimer une direction. Peut-être à un certain stade d’avancement du morceau, quelqu’un va faire une suggestion et encore c’est rare car on ne se parle pas beaucoup, on sent bien si on est dans la bonne direction ou pas. »

Vous avez un nouveau batteur. Comment ça s’est passé avec lui car ça ne doit pas être évident d’intégrer un groupe dont l’identité est fortement liée à cet aspect percussion ?

GGD : « On le connaissait depuis un bon moment et il nous a rejoint avant qu’on commence à écrire l’album. On a donc pu évoluer ensemble. Mais ce n’était pas tellement différent de passer de l’un à l’autre. Leur style est différent mais ils sont chacun porteur d’une énergie apportant une façon de voir les choses bien précise. Pour nous c’est ça qui est important. »

Il y a un titre où vous jouez un rythme afro assez typique, très ‘Township Funk’, c’est Mindkilla’. On a l’impression c’est vraiment le rythme qui porte le morceau ?

GGD : « En fait ‘Mindkilla’ repose un peu sur la même rythmique que ‘First Communion’ de l’album précédent. Il y a un côté punk, très cru dans cette musique africaine. Quand on a un rythme comme ça très puissant, on adore et ça permet d’explorer des trucs intéressants, je repense à ‘Bebey’ de l’album précédent aussi. Le rythme a un côté orchestral, un côté 3D où les sons, les mélodies et les percussions nous entourent, se développent et se démarquent tour à tour, entrent en collision, retournent au néant… juste dans l’espace de nos oreilles. C’est du miel pour écouter au casque et c’est ce qu’on a pu particulièrement bien soigner sur cet album ! »

On entend également que vous avez soigné les mélodies sur certains titres comme ‘Chinese High’ ou encore ‘Romance & Layers’ qui est une chanson pop en fait…

Lizzie : « C’est rigolo d’entendre ça… si tu savais comment on l’a faite celle-là ! C’est la moins construite et écrite de toute ! Ce truc de soft funk est quand même fort différent de ce qu’on fait habituellement… et en effet plus mélodique ! C’est aussi parce qu’on a donné plus d’attention à mes parties vocales (rires) ! C’est aussi tout le travail en studio qui m’a permis d’approfondir ce que je faisais sur scène et d’être mieux guidée. Ceci dit on essaie surtout de faire une dance music honnête et brute. J’aime danser et j’aime non seulement quand les gens comprennent notre intention dansante mais surtout quand ils se laissent aller et dansent sur notre musique pendant tout le concert ! »

Le titre de l'album, 'Eye Contact', laisse croire que l’aspect visuel (de la vidéo de ‘Glass Jar’ à la pochette du disque) est plus important que jamais dans votre identité…

Brian: « Oui c’est peut-être pour ça qu’on a choisi ce titre, c’est une autre forme de communication qui ne passe pas par le verbal. C’est aussi une partie de notre background : au début on a beaucoup joué lors d’expositions, pour des artistes vidéastes etc. Cela nous a donné pas mal d’idées non seulement sur les possibilités créatives à partir de tels contextes mais aussi sur ce qu’on voulait obtenir en terme de représentation visuelle de notre propre travail. La pochette de ‘Rawwar’ était faite de divers imprimés provenant d’amis graphistes et ‘Retina Riddim’ comportait un DVD où l’on creusait déjà certaines idées visuelles qui ont débouché sur ‘Glass Jar’. Mais il n’y a pas d’idée préconçue quant à adopter telle ou telle esthétique pour le groupe. Je commence habituellement à faire le « artwork » quand on est occupé à enregistrer, j’y mets ce que j’entends dans la musique et il va logiquement suivre la forme que prend cette musique. »