Albert Monier

Publié le 26 avril 2011 par Gérard Charbonnel @gcharbonnel
Le photographe maudit
Du noir, du blanc, du gris... de la vie. Le " photographe maudit " comme il aimait se surnommer, aura, à travers chacun de ces clichés, posé une note de poésie sur l'arc-en-ciel de nos existences et la magie de nos paysages. Ses quelques 80 millions de cartes postales vendues auront fait connaître cet enfant du Cantal dans le monde entier.
Avant de devenir le père de la carte postale, Albert Monier fut le gamin de Savignat, ce hameau de la commune de Chanterelle dans le Cantal. C'est là qu'il est initié par ses cousins à la magie du développement photographique. Mais il quitte la région, avec son père qui s'installe comme marchand de meubles à Pont-Audemer en Normandie. Là, coup de pouce du hasard, un de ses professeurs lui envoie régulièrement des cartes postales de Paris et d'ailleurs. C'est alors la révélation. Il fait ses premières armes de preneurs d'images sur les traces d'Yvon, le grand maître de la carte postale d'alors.
Albert Monier possède un 6x6 double objectif, un modeste Voïgtlander. En 1935 il est couronné avec " Premier plan ", un prémice de tout son style. Il s'agit d'une scène paysanne prise en contre-plongée entre les jambes d'un paysan qui révèle déjà un coup d'œil prometteur de talent. A vélo, il sillonne la campagne normande et immortalise paysage et personnages tel Michalot le fossoyeur.
Il rêve de photographier New-York, ses gratte-ciels, ses habitants, ses scènes de rue et s'apprête a embarqué sur le Normandie où son père lui a trouvé une place comme mousse alors que la guerre éclate. Son rêve de gosse se brise. A la fin des années quarante, après avoir repris l'affaire de ses parents et s'être adonné à la boxe et la course automobile, il part avec femme, enfant et appareil photo pour Casablanca... à défaut de New-York. Il y ouvre un studio et parcourt le bled, affinant sa technique et son art.
Un an après, il est de retour en France, certes ruiné mais tellement riche de ce que ses yeux ont vu. Il décide alors d'éditer des cartes postales sur Paris. Il arpente les artères de la capitale, flâne sur les quais toujours prêt à saisir un instantané, une scène... à mettre la vie en boite. " Tout se passe dans ma tête au 1/25° de seconde. Je vois la photo. Je m'approche à deux mètres. Je sors du sac l'appareil photo qui est déjà réglé. Je le mets sur ma poitrine, je regarde les gens dans les yeux et je prends la photo alors qu'ils ne s'y attendent pas ".
Ses premières pellicules, Albert Monier ira les développer à Savignat, dans la maison natale. On lui fait crédit pour les cent mille feuilles de papier photographique dont il a besoin. Ces cartes tranchent par la qualité de l'image mais aussi par celle de la reproduction. Il s'agit de véritables photographies alors que la qualité d'impression des cartes classiques est médiocre. Mais, si belles soient-elles, les cartes de Monier souffrent d'un handicap : elles sont nettement plus chères et le tarif rebute les acheteurs. Pour vendre ses cartes, Albert Monier se transforme en démarcheur mais court d'échec en échec jusqu'à ce qu'un libraire de la rive gauche lui en achète un lot de cinq cents. C'est le début d'un succès qui n'allait plus se démentir et qui fera le connaître du monde entier. Ces images, telle celle des deux clochards sous les ponts de Paris prennent une dimension pour lesquelles le temps n'aura de prise comme marque d'un art accompli.

'' Premier plan '' - 1935

Monier publie un livre d'images sur Paris et demande à Henri Pourrat de le préfacer. C'est le début d'une collaboration et d'une amitié qui verra paraître deux livres, " Au pays des grands causses " et " L'aventure du Roquefort ". De cette rencontre, demeurent deux portraits d'Henri Pourrat.
Après Paris, Monier se consacre à son pays natal et s'attache à photographier ces humbles congénères. " J'ai beaucoup aimé les gens d'Auvergne et j'ai essayé de les célébrer ". Certaines images s'imposent d'elles-mêmes, d'autres ne viennent qu'avec le temps.
En vingt ans, Monier publie plusieurs centaines de cartes postales, des dizaines de posters ( une de ces innovations ) en noir et blanc ou en couleur. Au début des années 70, après la disparition du dernier bromurier fabriquant le papier spécifique pour ses cartes, Monier se retire sur un goût d'inachevé.
Reconnu par le grand public mais boudé par ses pairs restera probablement le drame de sa vie de photographe. A l'inverse de ses confrères qui voulaient hisser la photographie au même rang que la peinture, Monier cherchera à mettre la photographie dans la rue pour la partager avec le plus grand nombre loin de toute démarche élitiste. " La carte postale devrait être à la photographie ce que le disque est la musique " se plaisait-il à dire.
Mais après tout, qu'importe. L'artiste ne créé t-il pas d'abord pour le public ? Et ce dernier le lui a bien rendu en faisant de lui le plus grand photographe cartophile des années cinquante et soixante.